Le Prophète et les brigands
Dr Abderrahmane MEKKAOUI (Maroc)
Politologue, spécialiste des questions sécuritaires et militaires. Membre du Collège des conseillers internationaux du CF2R.
Cette analyse a pour but de mettre en exergue les liens organiques entre l’islamisme violent et la philosophie des brigands qui terrorisaient l’Arabie avant l’avènement de l’islam. En effet, des groupes de bandits anarchistes et nihilistes ont été transformés par le Prophète Mahomet en une redoutable armée qui allait assujettir et islamiser par la force toutes les tribus de la péninsule arabique avant de se tourner vers d’autres horizons plus rentables et attrayants, au Moyen-Orient et au Maghreb. Ces rebelles, appelés Al-Saàliks, ont joué un rôle déterminant dans le rayonnement de l’islam grâce à l’interaction conjoncturelle qui eut lieu entre leur doctrine de rébellion et la prophétie de Mahomet.
On en retrouve les traces évidentes dans plusieurs sourates du Coran médinois. Avant leur adhésion à l’islam, leurs poèmes exprimaient la supériorité, l’orgueil, la bravoure et la lutte contre les riches. Suite à celle-ci, les thèmes de la supériorité des musulmans sur les autres hommes, de l’allégeance et du désaveu sont venus s’y ajouter.
Les brigands en Arabie pendant la période de « l’Ignorance » (Jahilyya) et leur philosophie
Ces brigands sont des Arabes qui vivaient avant l’islam, vers 520, et qui multipliaient leurs exactions dans toute la péninsule arabique. Ils appartenaient à différentes tribus mais rejetaient leur autorité et leurs devoirs envers elles.L’esprit de corps tribal appelé l’Assabyyaétait chez eux transcendé et remplacé par un esprit de rébellion déniant les hiérarchies tribales, les injustices et les frontières. La plupart des rebelles de ce mouvement nihiliste étaient pauvres et poètes, et leurs poèmes exprimaient la violence de leur doctrine, laquelle a été récupérée par le Prophète Mahomet.
C’est à cause de leur refus de rentrer dans le rang que leurs tribus les rejetèrent et leur enlevèrent toute protection vis-à-vis des autres clans. À cette époque, les relations entre les tribus étaient régies par des lois coutumières qui stipulaient l’échange de ces rebelles et/ou leur élimination physique. Le souk Okad, qui était une rencontre annuelle et d’échanges entre les tribus d’Arabie, devint l’occasion de dénoncer les méfaits de ces rebelles et le désordre qu’ils propageaient dans tout ce territoire désertique, aride et rude.
Suite à leur rejet par les tribus et en raison de leur pauvreté, les brigands se réfugièrent dans les montagnes et les grottes, en des endroits très éloignés et inhospitaliers. Ils se réunissaient en groupes ou tribus ayant leur propre code fondé sur les razzias, les rapts et le partage du butin avec les pauvres et les misérables, en violation de tous les traités et pactes signés entre les tribus. C’était une attitude révolutionnaire par laquelle les Saàliks combattaient la misère et la répression. Il faut noter que le rejet dont ils étaient l’objet n’a pas empêché certaines tribus, y compris à La Mecque, de faire appel à leurs services contre leurs propres ennemis.
Les brigands étaient divisés en trois catégories :
– le premier groupe était constitué des rebelles proscrits, rejetés par leur propre tribu d’origine à cause de leurs actes considérés comme incompatibles avec les coutumes tribales (vol, assassinat des chefs, non-respect des traités et pactes et non-participation à la protection de la tribu). Ces bandits étaient généralement des fils de la noblesse tribale ;
– la deuxième catégorie comprenait des fils d’esclaves éthiopiens d’Abyssinie dont les pères n’avaient pas reconnu la légitimité et refusaient de les intégrer à la descendance des familles fondatrices de la tribu ;
– le troisième groupe était composé des rebelles ayant choisi le brigandage et le rapt comme profession et comme mode de vie, qui se considéraient comme des chevaliers et des braves en raison de leurs exploits et de leurs actions bénéfiques au profit des pauvres.
A la fin du VIe siècle, la péninsule arabique assista ainsi à l’apparition de petites tribus dont les activités principales étaient le rapt et le vol, à l’image des tribus Touhama (qui contrôlaient les routes caravanières entre le Yémen et la Syrie), de la tribu Ghifara (proche de La Mecque, qui fut instrumentalisée par les riches commerçants de cette ville) et de la tribu Houdaïl (qui contrôlait un territoire désertique situé entre la ville actuelle de Taef et la mer Rouge). Elles étaient reconnues pour leur rapidité dans les razzias et la diligence avec laquelle elles procédaient à la décapitation de leurs ennemis et de ceux ne partageant pas leur doctrine. Leur descente des montagnes vers des zones fertiles et leurs attaques des caravanes marchandes et des pèlerins se dirigeant vers La Mecque devinrent monnaie courante.
La violence de ces groupes se traduisit dans leurs poèmes révolutionnaires[1] jalonnés de cris contre la pauvreté, la faim et l’isolement. Leurs discours poétiques se caractérisaient par l’orgueil, la volonté de suprématie et le sentiment de dignité dans la vie. Leur philosophie révolutionnaire préconisait la haine des riches, des avares et le rejet d’une vie de confort, et préconisait, à leur image, une existence guidée par le courage, la patience et la force. Leur devise était : « Voler de la main droite pour donner de la main gauche aux familles et aux nécessiteux ».
Cette matrice philosophique fut reprise par le Prophète Mahomet dans les sourates médinoises, principalement la sourate n°8 appelée, Al-Anfal, (« le Butin »), la sourate n°9 Al-Touba, (« la Repentance », ainsi que le verset Al-Seif, « l’Épée », dans cette même sourate, « La Repentance »), la sourate n°58, Al-Moujadala, (« la Polémique »), la sourate n°60 Al-Moumtahina, la sourate n°47, Mohamed, etc. Toutes ces sourates reflètent donc les idées et les orientations des Saàliks, c’est-à-dire des brigands. Elles abrogent les sourates mecquoises et insistent sur la suprématie de la force sur le dialogue et la conviction.
Comment cette métamorphose, le passage des sourates mecquoises prônant plutôt l’amour et la justice aux versets médinois haineux et exclusifs a-t-elle pu se produire ?
La rencontre du Prophète et des brigands : prophétie contre butins et rapts, stratégie du donnant-donnant
L’analyse de toutes les sourates mecquoises du Coran, lesquelles étaient considérées comme pacifiques, prêchant la tolérance et l’amour entre tous les humains vivant à La Mecque, ville ouverte et accueillante, permet d’y noter l’absence de culture du brigandage et du rapt.
Néanmoins durant son séjour à La Mecque, le Prophète Mahomet ne convainquit pas tout le monde, notamment les brigands réfugiés dans cette ville sacrée. Seule une centaine de pauvres et d’enfants jugèrent bon de le croire. Il investit son patrimoine, hérité de sa richissime femme – judéo-nazaréenne- Khadija, dans l’affranchissement et la libération de plusieurs esclaves. De même, la richesse de son compagnon Abu Bakr – ami intime du prophète et commerçant de profession – fut investie dans ce projet prophétique. Pourtant, les relations entre le Prophète Mahomet et les principales tribus d’Arabie se caractérisèrent par un rejet de sa prophétie.
Son entente avec l’empereur chrétien d’Abyssinie, auquel il fit une proposition d’alliance, fut considérée comme la goutte d’eau qui fit déborder le vase et provoqua un conflit à La Mecque entre les partisans du Prophète et ses opposants. Cette situation de tension précipita la fuite du Prophète et de ses compagnons à Yathrib[2], ville juive située au centre du territoire de deux tribus – Al-Aouss et Al-Khazrajs – connues pour leur jalousie et leur haine vis-à-vis des juifs sédentarisées de cette ville.
Le Prophète fut accueilli favorablement par ces tribus, connues pour leur barbarie, leur haine vis-à-vis de leurs voisins juifs. Il conclut alors un pacte fraternel avec ces tribus, appelé « Le Pacte de sang » (Al-Akaba), qui stipula la reconnaissance des Saàlikset de leur philosophie. Par cette alliance, le Prophète Mahomet reconnaissait et légitimait toutes les pratiques de ces brigands en échange de leur engagement à reconnaître sa prophétie et sa primauté en tant chef politique et chef de guerre.
Le ralliement à sa cause de près de 1 500 rebelles permit au Prophète de conduire une quarantaine de razzias victorieuses, lesquelles permirent l’islamisation des tribus par la force et la contrainte. En ces occasions, le Prophète Mahomet perçut un cinquième du butin, sa part de femmes et d’esclaves, tandis que les fantassins brigands en percevaient un dixième et les cavaliers deux dixièmes.
C’est cette rencontre du glaive et de l’idéologie qui aboutira à la création d’une armée homogène, féroce, riche et courageuse, dont les principaux piliers furent l’allégeance à Allah et à Mahomet, et le désaveu de tous ceux qui ne croyaient pas au Messager d’Allah.
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Ainsi donc a eu lieu dès les premières années de l’Islam, une alliance historique entre deux idéologies : l’une pacifique et tolérante (le Coran mecquois) ; l’autre rebelle et nihiliste (les Saàliks).
A la lumière de ce décryptage, force est de constater l’existence d’un parallélisme, de fond et de forme, entre les chapitres médinois du Coran (qui font suite à la fuite du Prophète de La Mecque), au nombre de vingt-deux, et les poèmes des Saàliks.
Le Coran mecquois, est constitué de quatre-vingt-six sourates, toutes pacifiques, universalistes et considérées comme la continuité de l’enseignement du Christ, tandis que le Coran médinois est belliqueux et guerrier, prêchant la haine et la barbarie et reflétant le comportement socioculturel des tribus arabes rebelles.
A regret, nous sommes obligés de constater que c’est la culture de violence, incarnant la guerre éternelle et générale contre l’Autre, fondée sur cette économie de guerre, qui a pris le dessus et qui est réactualisée dans les temps présents par des organisations terroristes islamistes qui, inlassablement, cherchent à réitérer ces « temps idylliques de l’islam ». Ce sont ces chapitres médinois qui sont appliqués à la lettre par les djihadistes et les takfiristes, dont Al-Qaïda, Daesh et Boko Haram.
Pour mémoire nous rappellerons le livre de Mohamed Mahmoud Taha (Le deuxième message de l’Islam) dans lequel il conseillait aux exégètes musulmans d’abandonner les sourates médinoises incompatibles avec le contexte actuel et de revenir aux chapitres fondamentaux du Coran. Cette position sage d’un soufi musulman lui a valu d’être pendu en 1986 à l’âge de quatre-vingt-six ans, sur les ordres des salafistes de l’Université Al-Azhar, des Frères musulmans et des wahhabites, lesquels avaient alors peur de perdre leur pouvoir spirituel et la soumission de la société.
Malheureusement, la majorité des musulmans continue à voir l’avenir à travers les grottes du passé dessinées par les pillards d’Arabie. A travers l’analyse de l’origine du langage de la violence dans le Coran médinois, nous sommes convaincus d’ouvrir une piste encore non explorée et de proposer un nouveau champ d’étude aux chercheurs s’attachant à la compréhension de la radicalité et du terrorisme islamiste.
Nous pensons que la modification des mécanismes de transmission du texte sacré est possible, en désactivant intelligemment les sourates du djihad et de la haine dans les programmes scolaires et les prêches religieux. C’est une action à long terme que nous devons aux générations futures, afin qu’elles ne soient plus polluées par les doctrines de barbarie et d’extrémisme. Une telle réforme doit arrêter l’impression et la diffusion du Coran dans son état actuel et devrait être imposée à tous les pays par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, tous victimes de la sauvagerie islamique.
Références bibliographiques
– Sami Aldeeb,, Le Coran, texte arabe et traduction française par ordre chronologique avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs et chrétiens, CreateSpace Independent Publishing Platform, Édition Large Print, 2016 (Blog de Sami Aldeeb : http://www.blog.sami-aldeeb.com/mes-livres/ & Amazon : https://www.amazon.fr/Coran-traduction-francaise-chronologique-abrogations/dp/1533072450).
– Dr. Jawad Ali, L’Histoire des arabes avant l’islam (en arabe), Le Caire, Presses Universitaires Cairotes, 1968.
– Sayyed Al-Qimni : Le parti des Hachémites(en arabe).
– Jan Assmann, Le monothéisme et le langage de la violence, Bayard, 2018.
– Chouki Daïf : La poésie de l’ignorance.
– Anne Nivat, Islamistes comment ils nous voient, Fayard, 2006.
– Sayyid Qutb : Jalons sur la route de l’Islam(1ere édition 1964), Paris, Imprimerie de Carthage, 1968, et éditions Ar-Rissala, 1977.
– Hmami Rachid : Daesh et l’islam (https://www.amazon.fr/Daech-LIslam-LAnalyse-dUn-Ex-Musulman/dp/1935577735).
– Mahmoud Taha Mohamed : Le deuxième message de l’islam (https://www.amazon.fr/Second-Message-Islam-Mahmoud-Mohamed/dp/081562705X).
[1] Les principaux poètes Saàliks sont :Chadad Al-Dhabi, Abou Kharach Al-Houdli, Oulwa Ben Al-Ward, Salik Ben Al-Salkta,Tabata Charan, Al-Chanfara Al-Azadi, etc.