Renseignement d’origine électromagnétique pour tous !
Olivier DUJARDIN
Le ROEM, ou renseignement d’origine électromagnétique, est historiquement et uniquement une discipline de renseignement au service des Etats. Ecoute des communications, étude des réseaux télécoms, étude des signaux radars sont, entre autres, autant de disciplines à connotation fortement militaire. Cependant, le monde civil utilise aussi le spectre électromagnétique, et même de plus en plus. Les applications se multiplient dans tous les domaines (IoT, 5G, géolocalisation, domotique…) et demandent de plus en plus de bande passante. La maîtrise du spectre électromagnétique est certes un sujet militairement stratégique, mais elle est aussi stratégique économiquement. Il faut aujourd’hui, encore plus qu’hier, être maître de son spectre électromagnétique afin de garantir le fonctionnement des multiples applications et services qui reposent sur les ondes ; des pans entiers de notre économie en dépendent. Le surveiller est donc essentiel et, à l’instar de l’imagerie satellitaire il y a une quinzaine d’années – quand celle-ci est devenue accessible au monde civil -, cette surveillance du spectre offre de nouveaux services et de nouvelles applications. D’ailleurs, les premiers opérateurs privés ROEM civils arrivent sur le marché et, comme c’est très (trop) souvent le cas, ils sont surtout américains.
Surveillance du spectre, pour quoi faire ?
Que ce soit professionnellement ou dans notre vie personnelle, nous utilisons de plus en plus d’applications ou de systèmes communicants grâce aux ondes électromagnétiques. Il existe au moins trois cas où il est nécessaire de surveiller ce spectre :
– Brouillages ou perturbations.La multiplication des équipements utilisant les ondes nécessite parfois de contrôler les émissions électromagnétiques en cas de dysfonctionnement. En effet, les cas d’interférences ou de brouillages, volontaires ou involontaires, ne sont pas rares et, avant d’incriminer un équipement, il est bon de s’assurer, d’une part, que ces équipements ne se gênent pas entre eux ou, d’autre part, qu’il n’existe pas un émetteur qui perturbe leur fonctionnement. L’étude du spectre électromagnétique permet alors d’identifier la source qui pose problème et d’en déterminer l’origine. De même, il faut aussi s’assurer de la compatibilité électromagnétique des différents équipements électroniques, émettant ou non. Cet aspect est souvent pris en compte dès la conception des matériels de façon à s’assurer qu’ils fonctionnent correctement, même s’ils sont proches de sources d’émissions et que les phénomènes de couplage sont limités, c’est-à-dire que les ondes ne viennent pas perturber le fonctionnement des composants électroniques. Malgré ces précautions, cela n’empêche pas forcément les problèmes lors de l’utilisation courante.
– Sécurité/vulnérabilité. La surveillance du spectre est nécessaire aussi pour des raisons de sécurité. Le cas le plus classique est la détection d’éventuels micros, caméras-espions ou de tout dispositif de surveillance ou d’espionnage. Aujourd’hui les opérations de contre-mesures de surveillance technique (OCMST ou TSCM) vont plus loin. La surveillance du spectre doit à la fois permettre de détecter des objets indésirables mais aussi d’étudier toutes les vulnérabilités potentielles que permet l’ensemble des réseaux : commandes, connections utilisant des ondes électromagnétiques d’un lieu ainsi que tout ce qui peut émettre, même involontairement, des ondes comme les réseaux électriques (courant porteur en ligne CPL) par exemple. C’est un travail qui se situe à mi-chemin entre la cyberdéfense et les opérations de « dépoussiérage » traditionnelles. En effet, une émission électromagnétique peut être utilisée à la fois pour écouter ou enregistrer le trafic transitant via ce moyen, mais aussi comme porte d’entrée dans un réseau qui pourra ainsi devenir cybervulnérable. Il ne fait aucun doute que toute vulnérabilité sera exploitée à un moment ou un autre(https://cf2r.org/rta/guerre-electronique-une-menace-qui-concerne-aussi-le-secteur-civil/). Il convient donc d’avoir pleinement conscience de ce que l’on émet dans le domaine radioélectrique et des vulnérabilités potentielles que cela génère afin de s’en prémunir au mieux. Dans le contexte actuel de guerre économique exacerbée entre Etats et entre entreprises, il n’y a pas d’amis et ces vulnérabilités – notamment celles liées au cyber – sont particulièrement exploitées, car elles permettent d’accéder à des informations importantes pour un coût marginal et un risque très faible, voire nul.
– Santé publique. Nous évoluons dans un monde de plus en plus saturé d’ondes électromagnétiques et, bien qu’officiellement les mesures montrent que l’on reste dans les normes fixées par la loi, les seuils de ces normes sont élevés et tolèrent des niveaux de rayonnement électromagnétique extrêmement importants. Par exemple, en Russie et en Chine, les seuils admis sont 10 fois inférieurs à ceux préconisés par la Commission européenne. Les normes françaises reposent sur les recommandations européennes (1999/519/CE) qui ne se basent que sur les effets mécaniques immédiats des rayonnements, c’est-à-dire l’échauffement thermique pour les hautes fréquences et les effets sur le système nerveux pour les fréquences basses. C’est un peu comme si les seuils de radioactivité toléré étaient basés uniquement sur les effets immédiats (brûlures, nausées, radiodermites). Il manque des études sur les effets à long terme de l’exposition aux ondes électromagnétiques. Si l’Agence nationale des fréquences (ANFR) cartographie (www.cartoradio.fr)de nombreux émetteurs en France, elle ne les positionne pas tous pour autant. Ainsi, pour la plupart, les radars – pourtant une des sources les plus puissantes de rayonnement – ne sont pas cartographiés par l’ANFR. En effet, un radar peut émettre une puissance crête de l’ordre de 200 000 W à 2 000 000 W quand un relais de téléphonie portable émet généralement entre 30 et 55 W…. Ces radars n’étant pas référencés, leur niveau de rayonnement n’est donc pas mesuré. Il vous sera également difficile de demander des mesures spécifiques aux sociétés habilitées par l’ANFR en l’absence des informations sur la position et les gammes de fréquences utilisées par ces radars (www.arcanit.com). Ces sociétés se concentrent surtout sur la surveillance des réseaux de télécommunications et de télédiffusion. Il existe donc un vrai risque de santé publique en l’absence d’études scientifiques sur le danger représenté par l’exposition prolongée aux ondes électromagnétiques. Pour améliorer la connaissance du spectre par le grand public, des mesures indépendantes doivent être réalisées en grand nombre afin de servir de base à de futures études de santé publique.
Quels services et applications à partir de la surveillance du spectre ?
Les sources d’émissions électromagnétiques se sont multipliées au cours des trente dernières années pour améliorer la navigation maritime et aérienne, la sécurité, le sauvetage, etc. A partir de la connaissance technique et de la géolocalisation de tous ces émetteurs (radars, AIS, balises, ADS-B, téléphonie mobile, etc.), de nouveaux services et de nouvelles applications sont possibles. En voici une liste non exhaustive :
– La détection, la géolocalisation des balises AIS et des radars des navires permettant de comparer les positions officiellement déclarées par les navires (position transmise par l’AIS) et la position réelle du navire et, ainsi, de détecter les navires au comportement suspect. De même la géolocalisation des émissions des radars et des communications d’un navire permet de le détecter même si celui-ci a intentionnellement coupé son AIS afin d’échapper à la surveillance (www.he360.com).
– La géolocalisation d’émetteurs permettant d’améliorer la recherche et le sauvetage par la détection des balises, des émissions radio ou des téléphones, même si les émetteurs ignorent leur position lors de naufrages, d’accidents ou de catastrophes naturelles (www.he360.com). De même des services de géolocalisation à partir de téléphones portables ou de balises spécifiques, permettent de connaître la position de personnes dans des pays à risques afin d’améliorer leur sécurité sur le terrain (détection de déplacements non prévus) et même de leur envoyer des alertes en temps réel concernant des risques potentiels.
– La détection, en temps réel, de menaces posées par les systèmes d’armes sol/air pouvant être un risque pour le vol des aéronefs civils comme l’a connu le vol MH-17 au-dessus du Donbass (www.arcanit.com).
– La préparation des plans de vol permettant d’améliorer la sécurité des vols grâce à la connaissance préalable des emplacements des systèmes d’armes.
– L’adaptation des plans de vol permettant d’améliorer la sûreté des vols en connaissant les zones couvertes par les radars primaires de veille aérienne et de s’assurer d’être toujours suivi même en cas de panne des moyens de communications(www.arcanit.com). Un aéronef qui disparaît des écrans radars suite à un accident sera retrouvé plus rapidement qu’un aéronef qui était hors détection radar, ce qui aura une influence directe sur l’efficacité des secours.
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Le ROEM a toujours été associé au renseignement ou à l’espionnage des communications. Mais ainsi que nous venons de le décrire, la surveillance du spectre électromagnétique a un usage bien plus large d’autant que les ondes électromagnétiques ne sont pas uniquement utilisées pour communiquer. Si l’écoute des communications ou l’interception des messages transmis par les ondes reste interdite par la loi (article R-226), c’est bien le fait de chercher à démoduler et déchiffrer les transmissions pour en prendre connaissance qui est interdit et non la connaissance technique issue de mesures scientifiques. La surveillance et l’étude des émissions électromagnétiques sortent du champ d’application exclusivement militaire et investissent de plus en plus le secteur civil. Les compétences liées à l’étude du signal sont, aujourd’hui, aussi stratégiques que la maîtrise de la cybersécurité. Le problème est, qu’en France, la détention de certains matériels nécessaires à ces mesures et contrôles reste encadrée par la loi (R-226-3) car ils pourraient aussi être utilisés pour les écoutes.
Paradoxalement, ces articles de loi, qui ont pour objet de protéger la vie privée et les échanges de communication, participent indirectement à notre vulnérabilité car cela limite nos capacités à détecter les dispositifs d’espionnage et les vulnérabilités de nos propres équipements communicants. Par analogie, la loi, dans ce domaine, se comporte un peu comme si les forces de l’ordre avaient interdiction de posséder des dispositifs de mesures de vitesse au prétexte que, comme les excès de vitesse sont interdits par la loi, il n’y en a pas et qu’il est donc inutile de faire des contrôles. Une redéfinition des articles de lois permettant de mieux différencier les équipements de mesure technique de ceux donnant l’accès à l’information transportée (voix, vidéos, messages) serait nécessaire sans que cela remette en cause la protection de la vie privée et des correspondances. Cette modification est d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui, avec le traitement numérique du signal, il est assez facile de détourner logiciellement des récepteurs numériques autorisés (récepteurs TNT, Wifi, satellites, etc.) pour des applications non autorisées et à des prix de plus en plus bas. Compte tenu des ambitions affichées pour la 5G, les futurs téléphones compatibles avec ce protocole auront des capacités techniques qui n’auront pas grand-chose à envier à des équipements aujourd’hui interdits à la vente. Il est alors temps de s’interroger sur la pertinence de la loi telle qu’elle est rédigée aujourd’hui, surtout dans un contexte de guerre économique exacerbée et alors qu’un risque potentiel sur la santé publique nécessite justement de multiplier les mesures et le contrôle du spectre électromagnétique.