Canaris : « maître-espion » du Reich, d’un bout à l’autre de l’hispanité
Gaël PILORGET
Wilhem Canaris est sans doute, à lui seul, un des plus grands mystères de l’histoire du renseignement allemand. Sa personnalité, faite de zones d’ombre jamais réellement éclaircies, a nourri les hypothèses les plus variées, notamment quant à son réel positionnement – de « résistance » réelle ou simulée – vis-à-vis du régime hitlérien.
Le présent propos n’est pas de trancher entre des conclusions parfois aventureuses, mais bien plutôt de faire découvrir un visage méconnu de l’amiral Canaris, à savoir sa familiarité avec le monde hispanique et avec la langue de Cervantès[1].
Les origines de Canaris
Canaris n’a pas vraiment de « lignage » germanique. Les lointaines origines de la famille « Canarisi » sont italiennes, certains diront même judaïques. Mais les plus proches aïeux du futur amiral font bel et bien partie, dès le XIXe siècle, de la société allemande la plus aisée, et la famille occupe même une place de premier plan dans le secteur de l’industrie sidérurgique.
Wilhem Canaris naît en janvier 1887 dans le village d’Aplerbeck, près de Dortmund. En 1902, lors de vacances familiales à Athènes, le jeune Wilhem visite le monument dédié à un certain amiral Constantin Kanaris, héros de l’indépendance grecque arrachée à l’empire ottoman. Ledit amiral serait un ancêtre de la famille (mais, là encore, rien n’est prouvé) et le jeune Wilhem se prend sans doute là à rêver de devenir lui aussi un héros des mers. En avril 1905, il intègre en tant que cadet l’Ecole de la Marine royale de Kiel (Schleswig-Holstein, dans le Nord de l’Allemagne). En octobre 1907, fort de ses excellents résultats, il est nommé « enseigne » (c’est-à-dire, en Allemagne, officier en formation) et embarque sur le croiseur Bremen qui l’emmènera vers les côtes de l’Amérique latine, où il séjournera plusieurs années. Le polyglotte Canaris (qui parle anglais et français) apprend bien vite l’espagnol et, grâce à son aisance en société, devient une sorte d’officier de liaison entre la marine allemande et les autorités locales. Mais Canaris sait aussi mettre à profit ces échanges pour approfondir sa connaissance des pays ainsi « visités »…
Il se retrouve ainsi en position d’observation privilégiée des troubles politiques de l’Amérique du Sud et en informe Berlin dans un rapport. Au vu de l’intérêt des informations apportées, le ministère des Affaires étrangères du Reich décide de recruter son auteur comme informateur de premier choix. En mai 1909, en récompense de ce rôle d’intermédiaire, il reçoit l’Ordre de Bolivar de « cinquième classe » des propres mains du président vénézuélien, le général Gómez. En janvier 1914, alors qu’une guerre civile embrase le Mexique, Canaris fait « exfiltrer » de Veracruz 2000 civils américains, ce qui lui vaut la reconnaissance du président Wilson. Figure également, dans le flot des personnes évacuées, l’ancien dictateur Victoriano Huerta, également fort reconnaissant, on l’imagine, à l’égard de l’officier allemand.
La Première Guerre mondiale
Le soudain déclenchement de la Grande Guerre le surprend sur un autre croiseur, le « Dresden ». Canaris se voit confier la mission d’entraver les échanges maritimes des puissances ennemies de l’Allemagne, à partir et vers l’Amérique latine. Pour cela, il peut s’appuyer sur tout le réseau d’informateurs qu’il a mis en place avant-guerre, notamment en Argentine et au Brésil. Mais lesdits informateurs ne sont guère compétents et Canaris n’obtient que de biens maigres résultats : entre août 1914 et mars 1915, le Dresden ne met hors d’usage que deux navires marchands et un trois-mâts britanniques.
Pire encore : le 14 mars 1915, au large des côtes chiliennes, le Dresden, qui doit rejoindre le Río de la Plata pour y être réparé, est enjoint de venir porter secours à la flotte du vice-amiral von Spee. Seul navire ayant survécu à la bataille des Falklands (ou « Malouines »), il doit se saborder pour ne pas tomber aux mains d’un croiseur léger anglais, le HMS Glasgow. L’équipage du Dresden est retenu prisonnier sur l’île de Quiriquina et est placé, à la demande britannique, sous surveillance chilienne.
Mais début août 1915, avec le plein accord de sa hiérarchie, Canaris, aidé par les ressortissants allemands locaux, se dérobe à la vigilance de ses gardiens. Son évasion est un éprouvant et audacieux périple : il marche pendant 600 kilomètres à travers les forêts chiliennes, puis traverse la cordillère des Andes à cheval. Il arrive à Buenos Aires le 21 août ; l’attaché naval de l’ambassade d’Allemagne lui procure un faux-passeport chilien au nom de Reed Rosas. Canaris embarque alors sur un navire marchand battant pavillon hollandais, débarque à Amsterdam, puis rejoint Hambourg le 4 octobre.
Le colonel Nicolai, chef des services spéciaux allemands, l’envoie bientôt à Madrid, avec la mission de mettre en place un système de ravitaillement des sous-marins allemands. La mission de Canaris comprend également la mise sur pied d’un réseau d’observation des mouvements de navires ennemis en Espagne. En janvier 1916, sous le nom de code « Carl », il commence à développer son réseau, qui s’étendra bientôt jusqu’à Tripoli, dans cette lointaine Libye alors sous coupe italienne.
Mais la véritable nature des activités de « Carl » est mise à jour par les services français et britanniques. Les Français en avisent leurs homologues italiens, qui font procéder à l’arrestation de Canaris à Gênes, le 24 février 1916, alors qu’il tente de rentrer en Allemagne par l’Italie puis la Suisse. Canaris, violenté en prison pendant deux mois mais n’ayant rien avoué, est finalement libéré. Il refait surface en Espagne dès le 19 mars. Toutefois, il est à présent fortement surveillé par les services alliés et sa marge d’action devient bien étroite. Il cherche à quitter l’Espagne à de nombreuses reprises, mais les mêmes services l’en empêchent. Cependant, le 1er octobre 1916 au petit matin, au large de Carthagène (région de Murcie), Canaris parvient à s’échapper dans un sous-marin allemand, qui l’emmène jusqu’à la base navale autrichienne de Cattaro (aujourd’hui Kotor, au Monténégro). Il se voit de nouveau attribuer la mission de se rendre en Espagne, pour renforcer le réseau de renseignement de la marine allemande.
Canaris arrive à Madrid début décembre, toujours sous l’identité chilienne de Reed Rosas. Il s’est choisi à présent le nom de code « Kika » et jouit d’une grande liberté d’action, mais en rend quand même compte à l’attaché allemand à Madrid, le commandant Kalle, chef de la « station » madrilène de l’Abwehr (le service de renseignement de l’état-major allemand). Il est également en contact étroit avec le lieutenant-colonel von Winterfeld et le secrétaire de l’ambassade, Eberhard van Stohrer, futur ambassadeur du Reich auprès de Franco. Canaris hante les ports espagnols et recueille auprès de ses informateurs les données liées aux mouvements des flottes alliées en Méditerranée. Par l’intermédiaire de l’ambassadeur d’Allemagne Max von Ratibor, Canaris entre en contact avec le banquier Ullmann et également, grâce à ce dernier, avec l’armateur basque Horacio Echevarrieta, propriétaire de chantiers navals à Cadix, Ferrol et Barcelone.
Canaris propose à Echevarrieta de construire des bateaux de petit cabotage pour approvisionner les sous-marins allemands. Echevarrieta accepte la proposition, mais veut y travailler dans le plus grand secret, sans que le gouvernement espagnol en soit aucunement informé. Canaris, pour masquer ses véritables activités, choisit de se faire passer pour un expert latino-américain venu solliciter des armateurs espagnols afin qu’ils répondent à une partie des commandes effectuées par les Alliés auprès des industries navales d’Amérique latine. En février 1916, les premiers navires sont prêts. Dotés d’un pavillon et d’un équipage espagnols, ils servent de bases flottantes pour l’approvisionnement des sous-marins allemands qui opèrent en Méditerranée, surtout dans la zone de Cadix et aux Canaries.
Suite à sa réapparition à Madrid en mars 1916, Canaris poursuit quelques mois ses activités d’espionnage, pour lesquelles il est décoré de la Croix de fer de première classe. En octobre, il se rend en Allemagne pour suivre un stage de commandant de submersible. Le 28 novembre 1917, il prend le commandement du sous-marin VC27. Son objectif est de miner les voies maritimes des Alliés.
Weimar, Canaris et la contre-révolution
En novembre 1918, les marins allemands se mutinent contre leurs officiers et avec l’aide des soldats et des travailleurs, ils déclenchent la révolution qui conduit rapidement au renversement de la monarchie et à la proclamation de la République de Weimar. Canaris intègre immédiatement les forces contre-révolutionnaires et devient l’homme de confiance de Gustav Noske – social-démocrate mais futur grand artisan de la sanglante répression du mouvement spartakiste. Il est alors envoyé à Kiel par le chancelier Friedrich Ebert pour contrecarrer les activités des marins révolutionnaires.
Canaris participe activement à l’écrasement des Spartakistes ; la question de savoir s’il serait impliqué dans l’assassinat sans jugement des deux leaders du mouvement, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, n’est pas vraiment tranchée, mais, selon la plupart de ses biographes, il aurait été absent de Berlin à cette période. En 1919, Canaris intègre l’Office de la marine du Reich, puis l’Amirauté, et à partir de 1920, la Direction de la marine, structure qui rassemble les membres du haut commandement de la flotte de la toute jeune République. Gustav Noske, devenu ministre de l’Armée, charge bientôt Canaris de l’organisation des Brigades de marine.
Le haut commandement de la marine veut toujours bâtir pour le Reich une grande et puissante flotte, mais cette volonté est incompatible avec les clauses du Traité de Versailles. Canaris propose de contourner cet obstacle en la mettant sur pied dans des pays étrangers. En juin 1923, il est affecté sur le navire-école Berlin. C’est à bord de ce bâtiment qu’il rencontre un cadet du nom de Reinhard Heydrich, lequel sera renvoyé de la marine et mettra en place, pour le compte d’Himmler, le SD (« Service de la sécurité », le service de renseignement de la SS).
Mais frappé par la malaria en janvier 1924, Canaris demande à quitter la marine. Sa hiérarchie lui demande, bien au contraire, de continuer à œuvrer dans l’ombre pour armer secrètement la flotte du Reich.
Les sous-marins secrets de Canaris
Dans les années 1920, l’Espagne devient pour l’Allemagne un objectif économique et militaire de première importance. Sous le régime autoritaire du Primo de Rivera, Berlin lance une offensive massive sur le royaume d’Alphonse XIII. Krupp, Siemens, AEG, IG Ferben, Osram et autres consortiums germaniques pénètrent le marché ibérique au moyen de succursales, de sociétés subsidiaires et de prise participations de capital.
La pénétration germanique, notamment soutenue financièrement par la Deutsche Bank, prend sans cesse de nouveaux visages : en 1929, le consortium d’aviation Junker concède aux Constructions aéronautiques de Madrid (CASA) une licence pour la construction d’avions de guerre allemands. La Lufthansa fonde également en Espagne des sociétés subsidiaires comme Iberia, dont le vol inaugural est assuré par du personnel allemand.
Les chantiers navals allemands détiennent dans leurs archives des plans pour la construction de nouveaux types de sous-marins ; des plans qui n’ont pu jusqu’alors être réalisés suite à la défaite militaire de 1918 et à la signature du Traité de Versailles. Mais le lobby naval allemand décide, en accord avec le haut commandement et les services secrets de la marine, d’aller construire des sous-marins à l’étranger, dans des pays « amis ». On pense d’abord au Japon, mais c’est bien vite l’Espagne qui s’impose comme choix prioritaire et c’est Canaris qui est chargé d’organiser, dans ce domaine, la coopération entre le Reich et l’Espagne.
Ladite coopération s’établit via une société-écran basée à La Hague, l’Ingenieurskantoor voor Scheepsbouw (IvS). Canaris réactive son ancien réseau d’informateurs et assure la protection des chantiers de construction. De 1924 à 1927, Canaris opère en Espagne, en Méditerranée et jusqu’en Argentine. Il noue des contacts avec des responsables de la police secrète du royaume espagnol ; des relations qu’il ne manquera pas d’exploiter une fois « intronisé » un certain général Franco.
Le 28 janvier 1925, Canaris se rend en Espagne avec une double mission : d’une part rencontrer des associés espagnols avec lesquels travailler à la construction de sous-marins allemands, et d’autre part, monter un réseau d’espionnage à travers la Péninsule. Ce second pan de sa mission lui est aisé, car depuis la Grande Guerre, il a établi un solide réseau de renseignement en Espagne, à Barcelone, Valence, Carthagène, Cadix et dans bien d’autres ports espagnols.
C’est le premier aspect de la mission qui est le plus complexe, car la marine espagnole est fortement liée à l’Angleterre, notamment pour ce qui est des sous-marins. L’entreprise Constructora naval, fondée avec des capitaux britanniques, jouit du monopole de la fabrication de sous-marins en Espagne. La pénétration allemande se limite à l’Unión naval de Levante, mais cette firme n’occupe qu’une position marginale et n’est guère attractive sur le plan financier. Canaris propose aux armateurs allemands de faire affaire avec son ami Horacio Echevarrieta. Mais celui-ci n’a guère les faveurs du chef du gouvernement, le général Primo de Rivera, car il a des sympathies républicaines. Au terme de plusieurs mois de dissensions entre les différents acteurs, Canaris finit par gagner la partie.
Echevarrieta et Canaris mettent sur pied à Cadix une usine de construction de torpilles destinées à « l’Armada », la marine espagnole. Les crédits employés sont allemands et la Deutsche Bank participe même à l’opération. La contrepartie est, bien évidemment, dans ce cadre comme dans bien d’autres, que les armateurs espagnols fabriquent pour le Reich des armes que le Traité de Versailles leur interdit de produire.
La coopération hispano-germanique est officiellement scellée le 18 août 1926, lors de l’escale à Santander du navire allemand Barbara. Se retrouvent à son bord le roi Alphonse XIII lui-même, ainsi que le duc d’Albe, les principaux armateurs espagnols et de nombreux officiers. C’est un triomphe pour Canaris : il est parvenu à approcher le roi par l’intermédiaire de son ami le capitaine de corvette Daniel Araoz. Il a également réussi à faire de l’Allemagne le partenaire privilégié de l’Espagne, laquelle, de son côté, conformément à une volonté tant de Alphonse XIII que du chef du gouvernement Primo de Rivera, souhaite renforcer la flotte.
Canaris travaille également à un autre rapprochement, policier celui-là, avec le ministre espagnol de l’Intérieur, le général Severiano Martínez Anido, et avec le général Bazán, chef de la Sûreté espagnole, à travers la ratification d’un accord secret de coopération bilatérale, mais s’inscrivant dans une logique plus large propre aux alliances anti-Komintern. L’accord, signé le 17 février 1928, est centré sur le renseignement politique et les échanges d’information sur les menées subversives.
Canaris œuvre enfin à resserrer les liens entre Espagne et Allemagne dans le domaine de l’aviation, avant d’aller vendre, avec succès, sur un autre théâtre hispanique (l’Argentine), l’expertise germanique en matière de sous-marins.
Au centre de la coopération germano-espagnole
Canaris n’a pas oublié qu’il est avant tout un homme de renseignement. En janvier 1928, ses activités sont de nouveau remarquées par les services secrets alliés et il part se faire oublier en Amérique du Sud, mettant à profit ces « vacances » imposées pour nouer encore en divers lieux, de nouveaux « contacts ». Mais il a bientôt l’occasion de revenir en Espagne.
Canaris entretient des relations amicales avec quelques-uns des futurs conjurés qui déclencheront l’insurrection contre la République espagnole en juillet 1936 : le général Kindelán (considéré comme le fondateur de l’armée de l’Air espagnole), Juan Vigón (le précepteur des enfants du roi Alphonse XIII), Martínez Campos, Jordana. Mais Canaris ne croise pas encore le chemin de Franco. Dans les airs comme sur les mers, la collaboration germano-hispanique se développe : le général Kindelán autorise des pilotes allemands à opérer au sein des escadrilles espagnoles qui survolent le Maroc. De leur côté, les chantiers navals espagnols continuent de produire des torpilles et autres matériels pour la marine du Reich.
Puis en mai 1928, Echevarrieta reçoit une première commande allemande de sous-marins. Mais la presse allemande de gauche a percé les réelles activités de Canaris en Espagne. L’amiral Zenker, le chef de la marine du Reich, ordonne à Canaris de quitter la péninsule ibérique. L’amiral Raeder, le successeur de Zenker dès octobre 1928, va plus loin en lui interdisant même toute activité politique ou de renseignement.
Nous passons ici rapidement sur la période qui amène ensuite Hitler à la Chancellerie en 1933, puis sur les différents éléments qui amènent le choix de Canaris comme nouveau chef de l’Abwehr, début janvier 1935. Dès sa prise de fonctions, son prédécesseur Patzig l’a mis au fait de la rivalité entre l’Abwehr et la SS. Aussi, Canaris choisit de rencontrer directement Himmler, le chef de la SS, pour définir ensemble les champs de compétences de chaque entité ; les échanges semblent se faire sans heurts particuliers.
Parallèlement, Canaris fréquente toujours Heydrich, chef de la SD et lieutenant d’Himmler. Une commune hostilité à l’encontre de l’amiral Raeder (qui avait exclu Heydrich de la marine) rapproche les deux hommes. Le 1er mai 1935, Canaris devient contre-amiral. Ses relations avec Hitler sont « favorables », et il a l’oreille du dictateur : entre décembre 1935 et mars 1936, ils se rencontrent à 17 reprises.
Le 1er septembre 1935, Canaris reçoit à Munich le colonel Mario Roatta, chef du Servízio lnformazioni Militari (SIM) italien, avec lequel Canaris entend « partager » des renseignements. Roatta, descendant de Juifs espagnols, s’intéresse lui aussi à la péninsule ibérique. De son côté, Canaris rencontre, au cours de l’été 1935, dans le bureau de Gil Robles (chef de la Confédération espagnole des droites autonomes) un certain général Franco… Et à Berlin, Canaris croise fréquemment le colonel Juan Beigbeder Atienza, attaché militaire à l’ambassade d’Espagne. En février 1936, il s’entretient avec le général Sanjurjo, tête pensante de la future tentative de coup d’État contre la République. Aux conspirateurs, Canaris laisse déjà entrevoir l’aide militaire du Reich.
La Guerre civile espagnole
La tentative de coup d’État menée par certains généraux de l’armée (putsch dont l’échec entraîne la Guerre civile) a lieu le 18 juillet 1936. L’éclatement du conflit ne prend pas de court l’Abwehr, qui l’avait pressenti. Se pose, de manière encore plus urgente désormais, la question du soutien allemand aux rebelles, question directement posée à Canaris par le colonel Juan Beigbeder, un ami de longue date. Canaris ne peut rien promettre, en premier lieu car tout dépend du Führer.
A la fin de février 1936, lors des Jeux olympiques d’hiver de Garmisch-Partenkirchen, Canaris avait reçu le général Sanjurjo, déjà compromis dans un putsch raté contre la République en 1932. Canaris avait laissé alors entrevoir un appui indirect, sous forme de livraison de matériel. Mais Sanjurjo était reparti en croyant, lui, pouvoir disposer à l’avenir d’une aide bien plus fournie du Reich. Il n’aura pas le loisir de la voir arriver en Espagne, car il meurt suite à un accident d’avion, laissant au général Franco, l’homme qui tient le Maroc espagnol, le rôle de figure première de la rébellion putschiste.
Face au refus de l’Italie mussolinienne de soutenir le coup d’État, Franco se tourne vers le Reich, notamment à travers l’entremise d’un correspondant de l’Abwehr, Johannes Bernhardt. Mais les espoirs espagnols sont quelque peu douchés : ni l’Abwehr ni le parti nazi ne sont prêts à s’engager. Rudolf Hess renvoie les émissaires de Franco vers Hitler, lequel décide de s’engager dans la guerre aux côtés des rebelles. Canaris, qu’il ait joué ou non un rôle dans cette décision, se voit confier la mise sur pied de l’aide allemande à Franco, dans le cadre de l’opération Zauberfeuer (« Feu magique »), et les premiers avions nazis prennent le chemin de l’Espagne dès le 27 juillet. Ils contribueront à convoyer les milliers de soldats de Franco du Maroc à l’Andalousie. Puis d’autres appareils, des bombardiers cette fois, viennent se poser en terre « rebelle », que le Reich entend protéger en lui offrant des batteries de DCA.
Canaris a puissamment contribué à « l’entrée en guerre » du Reich en Espagne, opération à laquelle étaient opposés les généraux Beck (chef d’état-major de l’armée) et von Fritsch (commandant en chef). Canaris envoie des agents dans la péninsule ibérique, lesquels apportent une aide précieuse, en terme de renseignement, aux chefs rebelles. Canaris recherche et apporte également des informations de grand intérêt sur le « soutien » français (qui n’atteindra jamais le degré d’implication de l’URSS) à la République espagnole.
Face au danger que représentent les milliers de volontaires de tous pays constituant les bientôt légendaires Brigades internationales, Canaris apporte également son concours à la cause « franquiste » en tentant d’obtenir, à travers Roatta, l’appui de l’Italie de Mussolini. Les troupes italiennes semblent bientôt constituer davantage un fardeau qu’un appui, et la « Légion Condor » doit être sollicitée. La guerre d’Espagne lui servira de laboratoire « grandeur nature », de champ d’expérimentation pour de futures campagnes.
En août 1936, Canaris rencontre Roatta pour coordonner l’intervention italo-germanique. A la fin octobre, il se rend à Salamanque, pourvu d’un passeport argentin et d’un nom de code : « Guillermo ». Franco le reçoit immédiatement et très chaleureusement. Canaris évoque l’idée de l’envoi d’un corps expéditionnaire aérien sous commandement allemand et le Caudillo accepte. Début novembre 1936, les 6 500 premiers soldats de la Légion Condor débarquent à Séville.
Mais la collaboration entre les trois alliés ne se déroule pas aussi bien qu’elle le paraît. Canaris doit fréquemment se rendre en Espagne pour dénouer les tensions entre Allemands, Italiens et Espagnols. En cela, Canaris devient pour Franco un interlocuteur, un médiateur indispensable. Cette fois, « Guillermo » n’est pas démasqué, ni par les services républicains, ni par la presse. Canaris rencontre Franco et d’autres chefs de l’armée rebelle à Teruel (Aragon) en janvier 1938, puis il revoit le Caudillo à Saint-Sébastien (Pays basque), fin octobre. Canaris est saisi d’horreur par la sanglante répression menée dans certains territoires contre les Républicains et conseille à Franco de se montrer clément, et même de concéder une amnistie. Franco rétorque que dans l’autre camp des atrocités sont également commises et promet à Canaris de ne fusiller que les seuls coupables de crimes : une promesse qu’il ne tiendra pas.
Entre fin mars et début avril 1939, Canaris essaie d’obtenir du ministre des Affaires étrangères espagnol, le comte de Jordana, que l’Espagne intègre le Pacte anti-Komintern, ce qu’elle fera en avril 1939. Canaris est, dans le contexte de la Guerre civile, bien plus qu’un simple intermédiaire entre Franco et Hitler. Il « fournit » aux Républicains, à travers un trafiquant d’armes allemand, de vieilles armées détériorées datant de la Première Guerre mondiale, et qu’il a fait préalablement « saboter » par les services compétents de la SS.
Ce ne sont pas ses « confrères » espagnols, mais bien italiens, que Canaris – hostile au bellicisme croissant d’Adolf Hitler – tente de mobiliser pour influer sur les décisions du Führer quant à la Pologne. Canaris met à contribution son ami Mario Roatta (alors attaché militaire de Mussolini à Berlin). Puis c’est l’ambassadeur italien, Attolico, qui rencontre Hitler pour lui annoncer que son pays n’entrerait pas en guerre contre la Pologne. Mais rien n’arrête le Führer et Canaris, s’étant rendu en Pologne, aurait été saisi d’horreur devant les exactions nazies.
Nous passerons ici sur les intentions (ou simples velléités, ou même pures apparences de projet) qu’aurait eues Canaris de stopper l’emballement des campagnes hitlériennes vers l’est et l’ouest, ou de contribuer à renverser le Führer par un putsch. Quoi qu’il en soit, Canaris semble avoir renoncé bien vite. Et le 1er avril 1940, il est nommé amiral.
L’opération Félix : reconquérir Gibraltar
Suite à la capitulation de la France et alors que la bataille d’Angleterre fait rage dans les airs, Hitler échafaude un plan pour occuper le territoire britannique de Gibraltar et interdire ainsi à la flotte anglaise de pouvoir agir à sa guise en Méditerranée. L’OKW (Commandement suprême des forces armées) demande à Canaris de se rendre en Espagne pour étudier la faisabilité d’une d’attaque. Le 20 juillet 1940, Canaris quitte Berlin pour Madrid, où il rencontre le chef de poste de l’Abwehr dans la capitale espagnole, le capitaine de frégate Leissner. Puis Canaris se rend à Algésiras en mission de reconnaissance. Il se rend enfin à Biarritz, où il rencontre les généraux Vigón, Martínez Campos et von Richthofen. C’est alors que commence à être évoquée l’entrée de l’Espagne dans la guerre.
Le 23 juillet 1940, Canaris, dans le cadre d’un déplacement secret en Espagne, s’entretient avec le chef d’état-major de l’armée, son ami le général Juan Vigón. Canaris veut prendre Gibraltar pour entraver les mouvements britanniques en Méditerranée et couper au Royaume-Uni l’accès aux ressources pétrolières. Franco adhère au principe d’une attaque sur Gibraltar, mais se méfie singulièrement de la réaction britannique.
Canaris lance les préparatifs de l’attaque, faisant fi des réticences et du scepticisme des experts allemands en la matière. Des agents de l’Abwehr (qui se comptent par centaines à travers l’Espagne, en plus de milliers d’informateurs) sont mis en place par le colonel Ramón Pardo (des services de renseignement militaire) dans la région de Gibraltar. Une phase de reconnaissance du terrain doit précéder l’assaut, qui devrait être effectué par des commandos de la Wehrmacht. L’opération proprement dite débuterait par un assaut d’artillerie contre la flotte britannique ; elle se poursuivrait par une attaque aérienne, cette fois contre la forteresse elle-même. Puis rentreraient en action les commandos.
Le nom de code de l’opération, approuvée par Hitler, sera Félix. Canaris, de son côté, parie alors, d’après ses entretiens avec l’état-major de Franco, sur un prochain engagement de l’Espagne dans la guerre aux côtés de l’Allemagne. Mais Franco est préoccupé, lui, en priorité par l’urgente reconstruction d’une Espagne en ruines et d’une « nation » morcelée. Et ceci, Hitler ne le perçoit ni ne le conçoit.
Le 8 août 1940, Franco informe l’ambassadeur d’Allemagne à Madrid, von Stohrer, des conditions que formule l’Espagne pour entrer en guerre aux côtés du IIIe Reich. Pour faire plier le Caudillo à ses volontés, Hitler envoie Canaris s’entretenir avec lui. Apparemment, celui-ci ne peut remplir correctement sa mission, car à partir de cet entretien, Franco se montrera de plus en plus rétif à satisfaire les demandes d’Hitler, en s’en tenant à une stricte position de neutralité – à l’exception de l’envoi de la División Azul sur le front russe).
Le 6 septembre, Hitler informe son haut commandement qu’il va occuper Suez et Gibraltar. Canaris informe alors Franco que le Führer va chercher à le contraindre à accepter l’occupation du détroit, telle que la prévoit l’opération Félix. Dans ce contexte tendu, Franco remplace son ministre des Affaires étrangères Beigbeder (dont les sympathies pencheraient plutôt vers le Royaume-Uni) par son propre beau-frère, Ramón Serrano Suñer, plutôt pro-nazi ; il aura la lourde tâche de devoir affronter les « alliés » allemands de l’Espagne. Dès ses premiers entretiens avec Hitler et son ministre des Affaires étrangères Ribbentrop, les 17 et 25 septembre 1940, Serrano Suñer choisit d’éluder la question de l’entrée en guerre de l’Espagne et, quand il ne peut faire autrement, répond avec fermeté et par la négative aux demandes pressantes du Reich.
Le 23 octobre 1940, Hitler rencontre Franco à Hendaye, juste après avoir eu le fameux entretien de Montoire avec Pétain. Avant d’attaquer Gibraltar, Hitler veut que l’Espagne entre en guerre. Franco rappelle, d’une part, la dramatique situation dans laquelle se trouve l’Espagne, et d’autre part, les difficultés « techniques » qui font obstacle à cette entrée de guerre, notamment pour ce qui a trait à l’armement. En fait, Franco ne veut en aucun cas s’exposer à la réplique britannique qu’entraînerait, même sans assaut sur Gibraltar, l’implication directe de l’Espagne dans le conflit. Hitler n’obtient du Caudillo que la seule entrée de l’Espagne dans le pacte liant Allemagne, Italie et Japon. Canaris commence à comprendre alors que jamais l’Espagne n’ira plus loin.
Serrano Suñer se rend à nouveau en Allemagne. Le 18 novembre, il rencontre Hitler et Ribbentrop au Berghof. Il s’en tient à sa ligne initiale et cherche à nouveau à botter en touche face à l’impatience allemande de voir l’Espagne entrer enfin en guerre. Hitler renvoie donc Canaris à Madrid le 7 décembre, où il est reçu par Franco et le général Vigón. Pour Franco, Gibraltar ne peut être « reconquis » que par les Espagnols, et non les Allemands ; Canaris en est d’accord. Le 9 décembre, il repart informer le Führer du positionnement du Caudillo. Hitler ne renonce pas pour autant au Rocher, et ce sans tenir, le cas échéant, de l’avis de Franco…
Pire encore : en juillet 1942, Canaris avise Franco de ce que les troupes allemandes stationnées dans le sud de la France pourraient très bien envahir l’Espagne. Franco renforce alors son dispositif de défense dans les Pyrénées et cherche à prévenir toutes les voies permettant d’attaquer la Péninsul. Début décembre 1942, Canaris rencontre à Madrid Martínez Campos, Vigón et Jordana. Mais avant même l’entretien, il a déjà établi le télégramme qu’il va faire parvenir à Hitler : les conditions espagnoles pour entrer en guerre sont encore plus difficiles à satisfaire. Canaris préfère ensuite éviter le Führer, en se rendant en voyage d’inspection sur le front de l’Est, où il s’entretient avec le général Muñoz Grandes, chef de la División Azul.
Suite à un voyage à Algéciras le 31 décembre 1942, il rédige, le 22 janvier 1943, un rapport qui conclut à l’impossibilité de monter l’opération Félix. D’autres opérations du même type ont été envisagées : l’opération Isabella en avril 1941 (pour contrer une invasion britannique de l’Espagne à partir de Gibraltar) ; l’opération Ilona ou Gisella (sur un même scénario, avec de plus la possibilité d’une attaque par la côte atlantique) en mai 1942 ; l’opération Nürnberg en juin 1943 (pour stopper dans les Pyrénées une attaque alliée à partir de l’Espagne), etc.
Mais Gibraltar est plus qu’une simple cible virtuelle. Les installations du chantier naval sont l’objet de sabotages opérés par des ouvriers espagnols hostiles aux Britanniques. En juin 1943, un attentat à la bombe y est à l’origine d’un incendie. Les Anglais, pour prévenir ce type d’attaques, parviennent à « retourner » certains Espagnols ou à solliciter des informations d’«indics» anti-franquistes. Plus d’une quarantaine de sabotages sont ainsi évités et, en janvier 1944, deux saboteurs espagnols sont même exécutés. Quant à l’Abwehr de Canaris, sans doute peu étrangère à ces agissements, elle est bien présente sur des deux rives du détroit. Elle est ainsi aux premières loges pour observer les mouvements des navires.
Mais le sud de l’Espagne n’apporte pas que des informations de premier choix. A Huelva, les services allemands se feront berner par une opération de désinformation alliée, la fameuse opération Mincemeat qui fit croire à l’OKW que les Alliés allaient débarquer en Sardaigne (et non en Sicile, comme ils le feront en juillet 1943). La tromperie s’opère, on le sait, à travers la découverte par un pêcheur espagnol d’un cadavre de naufragé britannique porteur d’indices subtilement destinés à tromper l’Abwehr, bien vite informée de l’affaire par le « technicien agricole » et surtout agent de renseignement Adolf Clauss. Hitler émettra quelques doutes quant à l’autopsie du cadavre et le fait qu’aucun naufrage n’accompagne ce naufragé… mais le plan fonctionnera.
Début 1944, les services britanniques disposent de preuves suffisamment manifestes des menées allemandes à Gibraltar pour que la Grande-Bretagne puisse élever une protestation officielle auprès de Franco, lequel déclare l’Espagne « strictement neutre » par rapport au conflit mondial. L’Abwehr y devient dès lors indésirable.
Le lent naufrage de l’Abwehr
Revenons en juin 1941 : l’opération Barberousse et l’attaque contre l’URSS – nouvelle campagne à laquelle Canaris est hostile – minent peu à peu le moral de l’amiral, qui sombre dans la dépression ; son travail ne peut que s’en ressentir. Les renseignements de l’Abwehr perdent nettement de leur intérêt et Canaris perd de plus en plus de crédit auprès de Führer, qui envisage même de mettre fin à ses fonctions. Le débarquement allié en Afrique du Nord stupéfie l’Abwehr, le SIS (Secret Intelligence Service, service de renseignement extérieur britannique) étant parvenu à infiltrer le réseau allemand en Angleterre. Toutes les informations reçues d’outre-Manche ne sont donc que pure intoxication : le SIS sait tout des menées de l’Abwehr à Madrid, Lisbonne et Istanbul.
L’arrestation pour trafic illégal de devises, en octobre 1942, de Schmidhuber, l’agent de l’Abwehr, permet à la RSHA de se rendre compte pour la première fois que ce service est un foyer de conspiration contre Hitler : en effet, Schmidhuber, pour mieux se concilier la clémence de ses futurs juges, livre à la Gestapo des documents mettant en cause des généraux « anti-nazis », dont Canaris. Cependant Himmler, le chef de la SS, qui doute du sort final de la guerre, n’entreprend pas d’enquête à charge contre l’amiral, car ses contacts réels ou supposés avec les Alliés pourraient lui être utiles s’il fallait un jour prochain négocier la paix. Mais le juge militaire Roeder est informé des révélations de Schmidhuber et décide, le 5 avril 1943, de perquisitionner à la Tirpitzufer, le siège de l’Abwehr. Plusieurs responsables et agents du service sont arrêtés, mais pas Canaris, protégé notamment par le général Keitel. Himmler se refuse même à prendre connaissance des rapports d’enquête.
Pendant ce temps, la guerre change de visage : l’Italie fasciste capitule et le régime franquiste, de son côté, commence à ne plus vouloir collaborer aussi étroitement avec l’antenne de l’Abwehr en Espagne. En octobre 1943, Canaris se rend néanmoins en Espagne, mais Franco ne prend même pas la peine de le recevoir. Et les généraux Vigón et Martínez Campos se montrent très peu enclins à lui apporter un quelconque soutien. De son côté, Ribbentrop s’en prend à Canaris en dénonçant les actes de sabotage perpétrés par l’Abwehr contre des navires britanniques ancrés dans des ports espagnols.
Début février 1944, Canaris tente une nouvelle offensive diplomatique à Madrid, contre l’avis de Ribbentrop. Mais il se heurte de nouveau au même mur de froide indifférence chez ses interlocuteurs franquistes, et le général Muñoz Grandes refuse de le rencontrer, même dans le sud de la France. Et le 11 février, un nouveau sabotage de l’Abwehr vient frapper un navire anglais qui mouille à Carthagène. Cette fois, c’en est trop. Hitler ordonne la dissolution de l’Abwehr et la destitution de Canaris. Le Führer demande à Kaltenbrunner (qui a succédé à Himmler à la tête du RSHA et qui est président d’Interpol, comme le fut Heydrich) – de mettre sur pied un système unifié de renseignement. Canaris est assigné à résidence dans le château de Lauenstein, avant d’être réintégré en tant que chef du département d’espionnage économique de l’OKW.
Canaris, bien que désavoué par le régime, ne participe pas à la tentative d’assassinat d’Hitler du comte von Stauffenberg – la fameuse opération Walkyrie – dont il est pourtant informé. Stauffenberg et ses amitiés « socialistes » a des idées trop progressistes pour cet amiral éminemment conservateur et viscéralement anti-communiste.
Le 20 juillet 1944, l’opération Walkyrie échoue et Hitler survit à l’attentat. A cinq heures de l’après-midi, Canaris apprend la nouvelle et a tout juste le temps de prouver sa loyauté au Führer miraculé au moyen d’un télégramme. Mais Canaris est dénoncé par l’un des conspirateurs, le colonel Hansen, comme étant le principal instigateur de l’attentat. Heinrich Müller, le chef de la Gestapo, ordonne alors l’arrestation de l’amiral, qui est emmené à Fürstenberg (Land de Brandebourg) puis à la centrale du RSHA à Berlin. Le 3 février 1945, un bombardement allié détruit partiellement les dépendances du siège du RSHA.
Canaris, considéré désormais comme un traître et durement traité comme tel, est conduit au camp de concentration de Flossenbürg (Bavière). Sa tentative d’expliquer qu’il connaissait les différents plans des conspirateurs hostiles à Hitler, mais ne s’en était rapproché que pour mieux déjouer les complots, ne survit pas à la découverte par le général Walther Buhle, au quartier général de l’OKW, de journaux personnels de l’amiral qui contenaient des preuves manifestes de son opposition au Führer.
Le 8 avril 1945, après avoir subi un simulacre de procès, Canaris est condamné à mort. Le lendemain matin, ultime signe de déchéance, il est pendu nu aux côtés d’autres conspirateurs. Sa veuve, Erika, pourra mesurer toute l’estime dont, en dépit des avatars de la guerre et de la diplomatie, son défunt mari jouissait en Espagne : après la fin de la guerre, Franco la fera escorter, ainsi que ses deux filles, par deux officiers espagnols de Suisse en Espagne, où il lui fera octroyer une pension pendant plusieurs années…
Il n’est pas encore et ne sera sans doute jamais avéré que Canaris ait été un « héros germanique ». C’est peut-être dans ses itinéraires, amitiés et rendez-vous hispaniques qu’il faut chercher la « vérité » de l’homme qui, par sa volonté de préserver la neutralité franquiste, s’opposa à ce qu’un nouvel allié vienne nourrir la criminelle entreprise nazie.
- [1] Cervantès, quant à lui, dut nettement moins sa célébrité mondiale à l’espionnage, qu’il pratiqua néanmoins…