Arnold Rothstein et les origines du crime organisé aux Etats-Unis
Alain RODIER
Arnold Rothstein
Fait généralement méconnu, le « crime organisé » aux Etats-Unis aurait comme père fondateur Arnold Rothstein, surnommé – entre autres – « le cerveau » ou la « liasse de billets ». Joueur professionnel de dés, de cartes et de billard, au début des années 1900, ses activités se sont surtout développées dans le domaine des paris clandestins (bookmakers). Il serait le premier truand de haut vol à avoir compris qu'il était utile pour les « affaires » de développer des contacts utiles dans le monde de la politique et de l'économie – légale. Rothstein peut être qualifié de « beau mec » au propre comme au figuré, expression passée dans le langage de la voyoucratie française des années 50.
Comme il est courant dans le milieu et bien que la violence lui répugne, Arnold Rothstein est assassiné par balle le 4 novembre 1928, vraisemblablement pour une dette de jeu de 300 000 dollars qu'il n'a pas voulu honorer. Suprême élégance de ce dandy unanimement reconnu, bien que son agonie dura plusieurs heures, il ne livra pas le moindre renseignement sur son assassin aux policiers. Les hommes qu'il avait recrutés pour protéger des convois d'alcool durant la prohibition voleront ensuite de leurs propres ailes, une partie d'entre eux formant ce qu'on a appelé la « yiddish connexion ».
En effet, c'est lui qui a mis le pied à l'étrier à de jeunes pousses qui deviendront, après sa mort, des gangsters de légende comme Meyer Lansky, Louis « Lepke » (le petit) Buchalter, Red Levine – un tueur orthodoxe qui refusait d'opérer le jour du shabbat -, Bo Weinberg et Dutch Schultz.
Ces « gentils jeunes gens » formeront ce qui a été appelé à l'époque la Murder incoporated, une organisation de fines gâchettes dépendant de la « yiddish connexion ». Leur mission était de faire définitivement taire les « canaris » (les balances). Malgré la disparition tragique de nombreux témoins, certains étant tombés par inadvertance de fenêtres d'immeubles élevés, plusieurs membres de cette organisation s'assieront sur la chaise électrique, en particulier leur chef, Buchalter, en 1944. Lucky Luciano, bien qu'étant d'origine sicilienne, a fait aussi partie des jeunes recrues de la Murder incoporated. Il deviendra le principal boss de La Cosa Nostra (LCN), la cousine américaine de la mafia sicilienne.
La « mafia israélite » aux Etats-Unis à la fin des années 1980
En 1987, Yehuda « Johnny » Attias – alias « le fou » – arrive à New York avec un passé qui encombre les archives du FBI. En effet, il a déjà purgé des peines de prison en Israël, en France et en Suisse. Pour se faire une place au soleil, il commence par abattre Moussan Alyan, un des principaux fournisseurs d'héroïne de La Cosa Nostra. Son objectif est simple: prendre la place laissée vacante par ce décès impromptu. Il assure effectivement – et avec une certaine compétence – la relève, en achetant de l'héroïne en Thaïlande et à Amsterdam. Il revend ensuite à la LCN en empochant de juteux bénéfices.
Toutefois, il ne se contente pas de ce marché fort rémunérateur, mais bâtit une véritable organisation criminelle aux activités diversifiées. Son coup le plus fameux est le hold-up d'une bijouterie de Manhattan, qui rapporte à ses auteurs la bagatelle de 4 millions de dollars. Avec la part qui lui revient, il investit dans une maison en front de mer et le yacht qui va avec. Très « soupe au lait », il ne supporte absolument pas la concurrence. Ainsi, il apprend que deux Italiens se permettent de vendre de la drogue sur son territoire. Par le biais d'un tiers, il organise une rencontre avec les deux grossiers malfaisants sous prétexte de leur acheter de la marchandise. Une fois au rendez-vous, il les abat de sa main, ainsi que l'organisateur de la rencontre… histoire d'aérer. Moins il y a de témoins, mieux on se porte ! Il empoche gratis la drogue que les Italiens avaient amenée avec eux.
Mais ce qui devait arriver arriva. Le 18 janvier 1990, à la sortie d'un restaurant, il est touché de deux projectiles d'armes à feu qui l'atteignent malencontreusement au postérieur. Avant de s'écrouler, il a le temps de hurler : « ils m'ont tiré dans le cul ! ». Il décède à l'hôpital dans les heures qui suivent. Son organisation tombe peu après, car Ron Gonen, l'un de ses membres, a décidé de passer à table. Bien qu'il règne un « code d'honneur » dans le monde du crime, la trahison est tout de même chose courante dans la mesure où elle permet d'échapper à l'injection létale.
La pègre israélienne aujourd'hui
Aujourd'hui, la « yiddish connexion » a disparu dans sa forme initiale. Elle est désormais davantage rattachée à la pègre d'origine slave, qui est très présente en Israël depuis l'émigration vers l'Etat hébreu de nombreux citoyens ayant fait la preuve de leur judéité après l'éclatement de l'URSS, en 1990. Beaucoup de certificats présentés par des migrants issus des pays de l'Est seraient toutefois des faux, les autorités israéliennes n'ayant pas été très regardantes sur l'origine réelle des nouveaux venus. Elles ont donc permis aux intéressés d'obtenir un passeport israélien, mais les affaires des criminels venus du froid ont surtout continué à prospérer entre l'Europe et les Etats-Unis.
Le cas de Sergei Mikhailov est intéressant à étudier. L'homme aime à se présenter comme un simple homme d'affaires, mais il serait, selon la rumeur publique et les enquêteurs du FBI, le chef du Solntsevskaya Bratva, gang considéré comme l'un des plus dangereux de la planète. Cette organisation compterait quelques 5 000 affidés, dont une partie est confortablement installée en Amérique du Nord. Sa réputation n'est plus à faire : quand un contrat est lancé par Mikhailov, il est exécuté quel que soit l'endroit du monde où se trouve la victime ! L'intéressé, qui selon les dires continue à vivre pacifiquement en Russie, rejette catégoriquement le qualificatif Vori v Zakone » (voleur dans la loi). Les traditions se perdent !
En cas de problème avec la justice, les détenteurs de passeports israéliens peuvent toujours aller se mettre à l'abri au sein de la « mère Patrie ». Toutefois, Tel-Aviv n'est pas dupe et refuse parfois – trop rarement peut-être – l'entrée sur son territoire à certaines figures du milieu qui ont trop défrayé la chronique judiciaire. Cela a été le cas pour Meyer Lansky, ex tueur à gages devenu conseiller financier de Lucky Luciano.
De plus, l'Etat hébreu n'hésite plus à extrader des criminels israéliens impliqués dans des affaires criminelles commises à l'étranger, dans la mesure où il obtient deux garanties : le prévenu ne doit pas être condamné à la peine capitale et il pourra purger sa peine en Israël. Ainsi, le 6 mars 2006, Zeev Rosenstein est extradé vers la Floride où il est ensuite condamné à 12 années de prison pour trafic d'ecstasy. Il retourne ensuite purger sa peine en Israël. En janvier 2011, Yitzik et Meir Abergil, ainsi que trois complices, sont extradés aux Etats-Unis où ils ont fait l'objet d'accusations de trafic d'ecstasy, de meurtres, de blanchiment d'argent, etc. Yitzik est renvoyé libre en Israël en août 2011, car aucune charge pénale n'a pu être retenue contre lui. Son frère, Meir, écope de 8 ans de prison en mai 2012. Selon les douanes américaines, le clan Abergil[1] est à la base du trafic d'ecstasy au Etats-Unis depuis les années 1990. Il fournissait en particulier la famille new-yorkaise Gambino, membre éminent de La Cosa Nostra. Un retour aux sources en quelque sorte !
- [1] La famille Abitbol, dont les racines se trouvent à Netanya, en Israël, est présente au Québec. Mais elle a été très affaiblie ces dernières années du fait d'une guerre des gangs qui règne en Israël. Des nouveaux clans tiennent à prendre leur place au soleil au milieu des familles traditionnelles (Abitbol, Abergel, Alperon, Roseinstein, etc.), à l'image des Mulner, Shirazi, Cohen, Harari, Ohana, Kdoshi, Domrani, etc.