Le terrorisme, un nouvel acteur du voyage
Depuis les années 1950, le tourisme international connaît une croissance soutenue, liée à la libéralisation des échanges, à l’élévation du niveau de vie – qui accorde une place grandissante aux loisirs – et aux progrès en matière de transport aérien. Quelque 700 millions de personnes ont voyagé à travers le monde en 2000 alors qu’elles n’étaient que 25 millions en 1950.
Le tourisme s’affirme ainsi comme l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie internationale. Avant la crise du 11 septembre 2001, l’industrie touristique était en passe de devenir la première activité économique mondiale. Elle représentait alors 10,7% de la production de richesse mondiale (soit 3,5 milliards de dollars) et 8,2% des emplois mondiaux (soit 207 millions de salariés).
Jusqu’à cette date, dans l’esprit des consommateurs, les vacances et le loisir étaient associés à la sécurité. Pour la plupart des individus, la consommation de voyages, de vols aériens, de visites, de farniente ne pouvait se concevoir que si elle s’effectuait sans aucune prise de risques, sauf dans le cas particulier du tourisme d’aventures où le risque devenait un produit.
Malheureusement, depuis les attentats de New York et de Washington, les voyages, d’affaires ou d’agrément, présentent des risques réels, quelle que soit la destination. Le terrorisme islamique s’est considérablement développé et n’épargne aucun pays, au point de devenir le principal défi de la sécurité internationale.
Depuis quatre ans, les attentats n’ont cessé de se multiplier et visent en premier lieu les populations civiles, afin de faire pression sur les pouvoirs politiques. Les terroristes trouvent en particulier à travers les cibles touristiques, un moyen idéal d’atteindre leurs objectifs : exprimer les rancœurs, affaiblir les Etats d’accueil, effrayer l’opinion occidentale et propager la peur. Les touristes sont ainsi devenus les cibles privilégiées des groupes djihadistes.
Malgré les succès de la lutte entreprise, depuis septembre 2001, contre Ben Laden et son organisation, la dynamique terroriste impulsée par le Saoudien ne cesse de prendre de l’ampleur. Si sa cellule centrale de financement et de coordination semble avoir été durement touchée, ce n’est pas le cas des entités terroristes locales qui, du Maroc aux Philippines, de la Turquie à l’Arabie saoudite, poursuivent actuellement les attentats. Implantées, au cœur de la population, elles bénéficient d’un soutien populaire important et se reconstituent sans mal dans un tissu social favorable. La mise en réseau des islamistes du monde entier, initiée en Afghanistan avec le soutien des Taliban, fonctionne aujourd’hui parfaitement et le danger est désormais planétaire.
Il est aujourd’hui difficile de prédire ce que sera l’évolution du phénomène terroriste, si ce n’est qu’il s’inscrit dans la durée et que les groupes djihadistes s’orientent désormais vers des cibles civiles, plus faciles à toucher et leur assurant une bonne couverture médiatique. C’est pourquoi le tourisme fait désormais l’objet d’attaques délibérées. La poursuite des attentats est l’unique certitude. Nous sommes confrontés à un terrorisme fondamentalement anti-occidental et les nouveaux adeptes du djihad manifestent une volonté résolue de poursuivre le combat, partout dans le monde. Les récents événements de Londres, Charm-el-Cheikh et de Bali l’illustrent d’une manière sanglante.
Le terrorisme s’est ainsi brutalement immiscé dans le désir croissant de détente et de loisirs et a plongé le monde des voyages dans une crise sans précédent. Les touristes occidentaux, où qu’ils se trouvent, en vacances dans une capitale européenne, en excursion dans le désert marocain ou en visite dans un temple de Bali, ne sont plus à l’abri d’actions terroristes. En conséquence, le besoin de sécurité s’est rapidement affirmé,
Cette menace nouvelle a plongé nos sociétés dans une spirale sécuritaire et a poussé les instances publiques et privées à collaborer afin de prévenir le fléau terroriste. Les contrôles aux frontières se sont renforcés, les contrôles des bagages se sont généralisés et certains avions restent au sol ou sont déroutés quand des individus suspects sont soupçonnés d’avoir embarqué.
Devenue une inquiétude majeure des voyageurs, la sécurité est également au cœur des préoccupations de tous les acteurs du tourisme. Les organisateurs et prestataires réfléchissent à la façon dont ils doivent intégrer la sécurité dans leurs activités, à travers l’information, la formation, la sécurisation des installations ou tout autre action ayant pour but la prévention des dangers et la protection du touriste.
Car le touriste s’attend désormais à être pleinement informé des risques qu’il encourt lorsqu’il part en voyage. Face à la multiplication des attentats, son attitude devient progressivement une exigence du « rien ne doit arriver » ou « tout doit être prévu ». En quelques années, les comportements ont fondamentalement changé : avant de partir pour l’étranger, les voyageurs visitent au préalable les sites d’information gouvernementaux, pour connaître les risques potentiels de leur destination et prendre connaissance des régions à éviter lors des excursions. La clientèle touristique, et s’assurent de la fiabilité de la compagnie aérienne qui les transportera et du dispositif de sécurité de l’hôtel où s’effectuera leur séjour.
Ainsi, Tour-operators, compagnies aériennes et établissements hôteliers ont du adapter leur offre aux nouvelles exigences de sécurité de leur clientèle. Tous ont investi dans la sûreté pour rassurer les voyageurs et les inciter à toujours à se déplacer. Ils ont procédé à une véritable révolution de leurs dispositifs de sécurité. La sûreté a été renforcée tout au long de la chaîne du voyage : visas, contrôle des frontières, déploiement de forces de l’ordre dans les lieux publics et les aéroports, « durcissement » des établissements hôteliers, etc. Des progrès considérables ont été réalisés.
Toutefois, sous l’effet des attentats, l’industrie touristique a été confrontée à une crise d’une ampleur sans précédent et à des problèmes quantitativement et qualitativement nouveaux. La prévention des risques liés au terrorisme est devenue un sujet de préoccupation majeur et une nécessité opérationnelle. Les acteurs du secteur doivent désormais intégrer ce nouveau paramètre qui vient perturber leur développement et leur impose de nouvelles conditions de fonctionnement.
Paradoxalement, le terrorisme est générateur d’adaptations nouvelles. Sans le vouloir, il contribue à l’évolution des pratiques du métier chez les Tour-operators, comme dans les compagnies aériennes ou les établissements hôteliers. Plus qu’un frein, il constitue un véritable catalyseur des transformations de l’industrie touristique.
Les attentats ont ainsi constitué le point de départ d’une restructuration de grande ampleur des industries touristiques. Les mesures de sécurité, qui étaient autrefois jugées inutiles, deviennent progressivement un élément permanent de leur vie quotidienne. Cela implique la prise en compte, dans les budgets, d’un « poste » sécurité nouveau, dont les entreprises avaient, jusqu’alors, fait l’économie, le jugeant superflu.
Après avoir accusé le contrecoup des attentats de septembre 2001, l’économie du tourisme fait preuve d’une grande rapidité de reprise et est parvenue à retrouver une croissance significative. Si les actes terroristes ont toujours un impact négatif sur le tourisme, ceux-ci sont de moins en moins marqués. Les Tour-operators n’ont pas connu de chute d’activité catastrophique, à la différence de certaines compagnies aériennes ou d’établissements hôteliers situés dans les pays à risque.
Malgré la longue liste des épouvantables événements survenus en 2005 (tsunami, attentats, accidents d’avions, épidémie de grippe aviaire, tremblements de terre, ouragans, augmentation des prix du carburant, etc.), l’industrie du tourisme a connu une croissance de l’ordre de 6%. C’est un résultat exceptionnel, qui confirme l’excellent chiffre de 2004 (+10,7%) et qui dépasse les estimations qui avaient été faites pour cette année (4%).
Une chose au moins est sûre : il est quasiment impossible de stopper la croissance du secteur. Le désir de vacances et d’évasion est tellement fort dans nos sociétés modernes qu’il s’avère très improbable que les individus cessent de voyager. Avec une population mondiale en augmentation, le développement constant des transports et l’abaissement de leur coût, une importante croissance des activités de voyage se profile dans les décennies à venir. On est donc en droit d’être très optimiste quant aux capacités de développement du tourisme, d’autant que la fréquence et la dispersion géographique des attentats terroristes ont engendré une forme de banalisation de ces actes, face auxquels les voyageurs ont fait preuve, depuis 2001, d’une étonnante maturité teintée de fatalisme.
Ainsi, au terme de notre analyse, une réflexion se fait jour : en s’inscrivant dans une « routine tolérable », le terrorisme n’a-t-il pas largement perdu son pari ?