La stratégie algérienne de lutte anti-terroriste : entre impératifs de sécurité intérieure et recherche de stabilité régionale
Laurence AÏDA AMMOUR
Analyste en sécurité et défense pour l’Afrique du Nord-Ouest, associée à In On Africa (Johannesburg) et au Centre d’Etudes Stratégiques pour l’Afrique-CESA (Washington D. C.).
Texte initialement paru dans le livre de Moda Dieng, Issaka K. Souaré, and Philip O. Onguny (eds.), La Lutte contre le Terrorisme en Afrique, Research Center on Conflicts Studies, Saint-Paul University (Ottawa), Presses Universitaires de Montréal, Canada, août 2019.
Toujours confrontée à un terrorisme persistant, associé à une instabilité régionale chronique, l’Algérie n’hésite pas aujourd’hui à se présenter comme un « exportateur de sécurité et de stabilité » et à rassurer ses voisins sur sa capacité à fournir des solutions politiques aux crises régionales. Cette posture coïncide avec le retour d’une diplomatie algérienne pro-active et offensive, soucieuse de s’affirmer dans plusieurs dossiers sensibles et complexes après une période d’attentisme liée à la surprise stratégique des « printemps arabes ».
Alger mène de front une double stratégie de sécurité au niveau militaire et diplomatique, au cœur de laquelle la protection du territoire national reste cruciale, qui s’accompagne d »un renforcement des outils judiciaires à travers plusieurs amendements de son Code pénal. Au niveau continental, l’Algérie demeure très active dans l’élaboration et la mise en place des mécanismes africains de coopération sécuritaire et des dispositifs de lutte contre le terrorisme.
Malgré les efforts considérables entrepris par Alger en matière de lutte anti-terroriste, à la fois contre les cellules d’al-Qaïda et de Daech, les récents attentats de Constantine (février 2017) et de Tiaret (août 2017) contre deux commissariats de police par Jund al-Khilafa (Les Soldats du Califat), filiale algérienne de Daech, prouvent que les groupes terroristes locaux ne désarment pas.
Le nombre d’attaques a diminué significativement ces dernières d’années : treize attaques en 2016 contre 185 en 2009, avec un index du terrorisme de 3,97 en 2016 contre 6,58 en 2008 (Algeria Terrorism Index, 2018)[1]. Pour autant, des poches de maquis subsistent dans les régions montagneuses de Kabylie (Alexander, 2017). Récemment les combattants armés de Daech et d’AQMI se sont repliés à l’Ouest pour échapper à la pression militaire à l’Est et au centre, et détourner l’attention des frontières tunisienne et libyenne, points de passage de combattants de retour du Proche-Orient. En septembre 2017, 4 000 hommes des forces de sécurité ont été déployés pour ratisser les trois zones montagneuses de l’Ouest du pays et les services de sécurité algériens ont diffusé une liste de 21 noms de combattants de Daech de retour de Syrie et d’Irak vers l’Algérie, la Tunisie et le Mali, soupçonnés de vouloir réactiver l’organisation dans la région. « La plupart d’entre eux sont des Tunisiens […] dont l’un est soupçonné d’être le responsable des combattants étrangers de l’État islamique en Algérie.»[2]
L’Algérie fait donc face à un double défi :
– le premier est celui du terrorisme interne qui, même avec de faibles effectifs, reste une menace sérieuse. Aujourd’hui, le nombre d’hommes ralliés à Daech ne dépasserait pas la centaine. Quant à ceux restés sous l’autorité d’Abdelmalek Droukdel, émir de Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), sévissant au nord du pays, ils seraient entre 300 et 500.
Depuis qu’elle a été repoussée vers le Sud en 2003, AQMI a pratiquement disparu de la zone saharienne algérienne, mis à part les quelques relais logistiques dont elle dispose encore. La crise malienne a ensuite créé un appel d’air qui a aspiré les djihadistes encore présents dans le Sud algérien, estimant qu’il était plus sûr pour eux de se déployer au Mali, au Niger, ou en Libye.
– Le second, et non des moindres, est d’empêcher que les combattants maghrébins venant de Libye, d’Irak et de Syrie ne trouvent refuge en Algérie. Les autorités s’alarment de l’intensification du flux de « revenants » consécutif aux échecs essuyés par Daech en Irak et à la perte récente de Raqqa (son fief en Syrie), symboles de la défaite progressive de l’organisation, car il laisse présager la réactivation de cellules dormantes dans la région, en particulier en Tunisie et en Libye. L’an dernier, selon le Ministère de la Défense nationale (MDN), l’Algérie a également démantelé une filière de djihadistes marocains transitant par l’aéroport d’Alger pour rejoindre la Libye, révélant que le pays servait de zone de transfert vers le front proche-oriental (Haider, 2016).[3]
Priorité à la sécurité intérieure
L’attaque contre le site gazier de Tiguentourine (In Amenas) en janvier 2013 par le groupe al-Mourabitoun de Mokhtar Belmokhtar consécutive aux attentats contre des casernes de gendarmerie à Tamanrasset (juin 2010 et mars 2012) siège de la 6ème région militaire, et Ouargla (par le Mouvement Unicité et Jihad en Afrique de l’ouest ou MUJAO, en juin 2012), siège de la 4ème région militaire, ont démontré une forte capacité opérationnelle des terroristes dans des zones pourtant hautement militarisées. Dix jours après In Amenas, c’était au tour du gazoduc de la région de Bouira (à 125 kilomètres au sud-est d’Alger) qui achemine le gaz du champ de Hassi R’Mel, d’être la cible d’une nouvelle action de terroristes armés (Le MatinDZ, 2012 ; Naudé, 2013).
A l’époque Alger n’avait pas encore pris la mesure de la gravité de la menace et ces événements révélaient des défaillances dans la surveillance du territoire et des sites stratégiques sahariens qui sont pourtant le cœur de l’économie algérienne et le gage de sa survie.
Des moyens militaires au service de la protection du territoire national
Plus d’une décennie d’embargo dans les années 1990 et une sur-utilisation des équipements dans le cadre de la guerre contre le terrorisme ont durement affecté les capacités de l’Armée nationale populaire (ANP) (Ammour, 2014).
En effet, la guerre civile (1992-1999) avait absorbé énormément de ressources au point que la modernisation des forces armées algériennes s’en était trouvée ralentie, voir freinée. C’est pourquoi, à l’époque, la supériorité militaire de l’Algérie par rapport à ses voisins, bien que largement reconnue, n’était alors pas forcément synonyme de qualité des matériels et des compétences (Ammour, 2013a). Depuis lors, les améliorations et les mises à niveau entreprises en matière d’entraînement et de préparation à la guerre asymétrique (contre les groupes terroristes et criminels), ainsi que dans les domaines logistique et de soutien des forces, ont porté leurs fruits.
L’embellie financière des années 2000 a permis de passer progressivement à une nouvelle stratégie plus ambitieuse consistant à investir dans des capacités d’interdiction aérienne afin de créer une véritable bulle de défense aérienne et de projection de forces. Cette ambition s’est appuyée sur un investissement de plusieurs milliards de dollars dans les derniers systèmes de défense aérienne et de guerre électronique (Ammour, 2014).
L’Algérie est consciente que la persistance de l’instabilité régionale et la nature polymorphe de la menace exigent de porter son effort sur l’entraînement des troupes, de procéder à la mise à niveau de ses forces conventionnelles et de mettre en adéquation leurs capacités opérationnelles avec l’usage d’équipements sophistiqués et la conduite des futures missions. Désormais, renforcer la flexibilité, la mobilité et le déploiement rapide lors des opérations de contre-terrorisme est devenu la principale priorité de la politique de défense algérienne (Ammour, 2014a). Les autorités ont donc été amenées à faire preuve d’un plus grand pragmatisme dans leur stratégie opérationnelle et dans les acquisitions d’armements, en diversifiant leurs fournisseurs et en ciblant des matériels et des systèmes technologiques de pointe.
L’accroissement significatif des dépenses de défense et du volume des acquisitions de matériel militaire (notamment depuis les soulèvements arabes), vise essentiellement la modernisation et la professionnalisation des forces armées, à travers le remplacement des équipements russes devenus obsolètes, et la mise en œuvre de programmes ciblés de formation et d’entraînement des forces.
Enfin, les liens étroits de l’Algérie avec les conseillers européens et américains, ainsi que les exercices conjoints avec l’OTAN depuis les années 2000, ont quelque peu infléchi la conception soviétique de l’action militaire qui est longtemps été à la base de la formation de nombreux hauts gradés, d’autant que le contre-terrorisme est devenu l’une des missions centrales des forces armées.
Des capacités de défense en constante augmentation
Au Maghreb, l’Algérie est la première puissance militaire en termes de forces, d’équipements et de capacités (Ammour, 2013a, 2014). Armée la plus avancée, qualitativement et quantitativement, elle est constituée de 512 000 militaires actifs et de 400 000 réservistes.
En 2017, l’Algérie occupe la 21ème place avec un budget de défense de près de 11 milliards de dollars, soit une augmentation de + 6,7% par rapport à l’année précédente (Global Firepower, 2017). L’Algérie a le plus gros budget annuel de défense en Afrique, représentant environ 6.55% de son PIB en 2016 et 15 % du budget global (CIA World Factbook, 2017). Les dépenses militaires de l’Algérie devraient atteindre les 16 milliards de dollars à l’horizon 2020 : « d’ici là, les investissements du pays devraient se cumuler à 80,5 milliards de dollars pour les efforts de défense, dont 24 milliards pour les contrats d’achat d’armements » (Market Research, 2017).
L’augmentation des soldes et la prise en charge par le ministère de la Défense de corps supplémentaires et de nouvelles missions auparavant confiés à d’autres entités, expliquent le montant alloué à la défense :
– un décret de juin 2011 stipule que toutes les forces chargées du contre-terrorisme passent sous tutelle du ministère de la Défense, y compris les unités auxiliaires (brigades d’auto-défense et gardes communaux) jusqu’alors de la compétence du ministère de l’Intérieur;
– par décision ministérielle de juillet 2013, la lutte contre le trafic de drogue devient priorité nationale et passe sous le contrôle exclusif du ministère de la Défense qui devra agir en coordination avec les corps traditionnellement chargés de cette mission, à savoir les brigades spécialisées de la Gendarmerie nationale (1 300 hommes), 28 divisions de recherche, et les patrouilles des douanes et des frontières (2 000 hommes), en particulier sur la frontière avec le Maroc[4].
La doctrine algérienne de non-intervention face au principe de réalité
La doctrine de l’Algérie en matière de politique étrangère reste un élément central de sa posture militaire : elle interdit à l’ANP de prendre part à toute action militaire en dehors du territoire national. Alger a toujours invoqué ce principe pour justifier que ses forces armées ne soient jamais intervenues au Mali afin d’éradiquer AQMI, même lorsqu’elle y était fortement invitée par ses voisins sahéliens. Pour autant, le principe de non-intervention peut s’accompagner d’interventions discrètes comme lorsque, le 20 décembre 2011, cinq jours avant qu’un Touareg malien du nom de Iyad ag-Ghaly n’annonce l’établissement d’un nouveau groupe islamiste appelé Ansar Eddine dans le Nord du Mali, 200 hommes des Forces spéciales algériennes avaient franchi la frontière malienne pour officiellement entraîner des militaires maliens dans la région de Kidal. Les instructeurs algériens s’étaient retirés du pays, alors que le conflit était sur le point d’éclater.[5]
Au sein des cercles diplomatiques et militaires algériens, un certain clivage générationnel existe sur le bien-fondé du précepte de non-intervention militaire : les plus âgés, partisans de la classique approche défensive continuent de penser qu’il faut s’en tenir au principe constitutionnel de non-interférence, tandis que les plus jeunes prônent une adaptation de cette doctrine aux réalités actuelles au cas par cas (Ammour, 2012).
L’instabilité croissante en Libye et en Tunisie a ainsi contraint Alger à infléchir légèrement ce principe, pour mener des opérations ponctuelles destinées à neutraliser certains groupes terroristes menaçant sa sécurité aux frontières:
– en mai 2014, 3 500 parachutistes et un contingent logistique de 1 500 hommes ont été envoyés en Libye en coordination avec les Marines américains et les Forces spéciales françaises basées au Niger. Les objectifs de cette mission étaient d’éliminer les membres d’AQMI présents dans les villes de Nalout et Zintan, sources des transferts d’armes vers la Tunisie et l’Algérie, et de détruire les infrastructures et les camps d’entraînement situés dans la région de Sebha dans le sud-libyen. L’Algérie qui n’a jamais officiellement reconnu cette action n’a pas souhaité faire état de la collaboration de l’ANP avec l’ancien colonisateur et les Etats-Unis auprès de son opinion publique qui aurait vu d’un mauvais œil une collusion active de son armée avec des forces étrangères (Ammour, 2015a);
– en août 2014, en vertu de l’accord de sécurité algéro-tunisien de 2013, une opération conjointe impliquant 8 000 hommes côté algérien, soutenus par 6.000 hommes côté tunisien, s’est déroulée dans les monts Châambi. Les troupes algériennes ont traversé la frontière tunisienne pour prendre en tenaille les groupes terroristes sévissant dans cette zone-refuge, entre Kasserine (Tunisie), Biskra et Tebessa (Algérie).
Réorganisation territoriale et sécurisation des infrastructures stratégiques
En juillet 2012, dans le contexte de l’après « printemps arabe » et des attentats de Tamanrasset et Ouargla, une révision de l’organisation de la défense territoriale, est décidée. Elle consiste en la création de deux nouvelles régions militaires :
– l’une associée à la 4ème région (Ouargla), qui abrite les champs pétrolifères de Hassi Messaoud, où une caserne de gendarmerie avait été ciblée par un attentat-suicide en juin 2012 ;
– l’autre associée à la vaste 6ème région de Tamanrasset qui abrite le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), où une attaque contre une caserne de gendarmerie avait été perpétrée en mars 2012.
Parallèlement, deux secteurs militaires opérationnels ont été installés à Bordj Badji Mokhtar et à In Guezzam. Leur principale mission est de contrôler les frontières grâce à un système de surveillance électronique équipé de radars et de systèmes d’alarme capables de détecter les tentatives d’infiltration du territoire par les véhicules ou les personnes.
Tirant les leçons de l’attaque contre le site d’In Amenas en janvier 2013, les autorités militaires ont opté pour la création d’une 7ème région militaire, avalisée par le Président un an plus tard. Son quartier général est établi dans la ville d’Illizi (nord-est d’In Amenas), à une centaine de kilomètres de la frontière libyenne, afin de mettre en place un maillage plus fin du territoire saharien et de permettre le déploiement d’un plus grand nombre de forces le long des frontières ouest et sud, où 30 000 hommes sont déjà positionnés.
De nouvelles bases pour les forces sécurité ont aussi été construites à proximité des autres champs pétroliers et gaziers de Hassi Messaoud (province de Ouargla), Tin Fouyé Tabankort (province d’Illizi), et Adrar. Lors des commémorations du 60e anniversaire du déclenchement de la lutte de libération nationale (1er novembre 2014), une nouvelle base a été inaugurée près de Tamanrasset, venant s’ajouter aux quinze bases aériennes déjà existantes.
La délicate recherche de stabilité régionale
Face à une situation régionale qui se complexifie de jour en jour depuis 2011, la diplomatie algérienne rétive à la militarisation du Sahel par la France et les États-Unis, continue d’invoquer la solution politique aux crises saharo-sahéliennes contre l’interventionnisme occidental. Dictée par des motivations tactiques, l’action des responsables algériens cherche avant tout à éviter les conséquences stratégiques irréversibles qu’aurait une nouvelle intervention étrangère en Libye pour le pays et ses voisins.
L’opération française Serval (2013) au Mali associée à la détérioration rapide de la situation en Libye, avaient créé un contexte volatil qui avait obligé Alger à s’engager dans une stratégie anti-terroriste nouvelle en Afrique du Nord comme au Sahara-Sahel.
A l’époque, l’Algérie avait ainsi apporté une aide logistique, discrète mais indispensable, aux forces françaises engagées au Mali (Chevènement et Larcher, 2013).[6] Alger avait autorisé le survol de son territoire par les avions de chasse et les hélicoptères français, assuré leur ravitaillement en carburant, aidé à l’identification du corps du chef d’AQMI Abou Zeïd, et fermé ses frontières avec le Mali pour empêcher les groupes terroristes de se réapprovisionner et de se réfugier sur son sol. Simultanément la présence militaire de l’ANP dans le grand sud algérien avait été augmentée de 35 000 hommes, dont 6 000 postés à la frontière libyenne, espace privilégié des trafiquants et des terroristes.
L’Algérie avait également mis en place une salle d’opération pour coordonner les actions entre officiers algériens et leurs homologues étrangers du renseignement. Par ailleurs, en accord avec ses voisins sahéliens, l’Algérie avait décidé de soutenir et d’armer des milices arabes nomades opérant dans le nord du Mali et du Niger.[7]
Depuis 2016 l’Algérie a pris plusieurs mesures défensives et offensives pour lutter contre le terrorisme et les activités criminelles associées, comme le trafic d’armes et de drogue : construction de barrières aux frontières avec la Libye, la Tunisie et le Maroc ; mise en place d’un dispositif de surveillance électronique au Sahara ; multiplication des arrestations de suspects impliqués dans les trafics ; destruction de bunkers d’armes et de refuges de terroristes ; prévention d’attaques et de recrutement de jeunes désireux de rejoindre les rangs de Daech.
Sur la frontière Ouest, les moyens du deuxième commandement de Gendarmerie nationale basé à Oran, chargé de la lutte contre la contrebande (cannabis en provenance du Maroc, carburant et karkoubi [8] venant d’Algérie), avaient été renforcés à l’été 2013 par le creusement sur 700 km de tranchées équipées de caméras de surveillance. Réagissant à cette initiative anti-drogue perçue comme hostile, le Maroc avait répliqué l’année suivante en érigeant des barrières électroniques métalliques.
Sur la frontière libyenne, la Compagnie de reconnaissance et de guerre électronique de l’ANP a recours aux unités méharistes pour collecter du renseignement en temps réel sur les infiltrations de terroristes et les convois d’armes en provenance de Libye (Tlemçani, 2014). Ces patrouilles montées sur dromadaire couvrent la zone deTarat, à 170 km au sud de la wilaya d’Illizi et à 160 km de Ghat, immense marché d’armement lourd où kalachnikov, lance-missiles et chars sont moins chers que les produits alimentaires.
Au niveau institutionnel, la multiplication des dispositifs régionaux dont les domaines d’intervention se chevauchent, complique grandement la coopération régionale et affaiblit leur efficacité (Ammour, 2013b). Elle s’ajoute à la rivalité algéro-marocaine sur le Sahara occidental et aux stratégies concurrentes des deux pays dans la zone sahélienne, compromettant sérieusement toute action commune en matière de sécurité régionale.
L’Algérie qui se considère comme seule habilitée à assurer la sécurité dans la région, a cherché à améliorer et renforcer la coordination régionale en mettant sur pied en avril 2010 le Comité d’État-Major Opérationnel Conjoint basé à Tamanrasset et regroupant les « pays du champ » (Algérie, Mali, Niger et Mauritanie) dont l’objectif était de légaliser toute opération sur le sol des pays voisins. Cette entité a pourtant été le grand absent des crises qui secouent la région depuis 2011. Le CEMOC a en effet toujours souffert d’un manque de consensus interne, certains pays désapprouvant l’absence du Maroc, de la Libye et du Tchad. De plus, le CEMOC se trouve depuis février 2014 supplanté par le G5 (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, et Burkina Faso) voulu par la France et appuyé par l’Union européenne (avec une contribution financière de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis) dans lequel l’Algérie n’est pas impliquée.
Au niveau bilatéral, Alger est engagée dans de nombreuses initiatives dans le domaine du contre-terrorisme, ainsi que dans l’aide à ses voisins maghrébins et sahéliens.
Une coopération algéro-tunisienne volontariste
Les crises libyenne et malienne alarment toujours l’Algérie qui redoute l’incursion de combattants et d’armes sur son territoire saharien. Alger veut absolument éviter que son voisin tunisien ne bascule dans une logique de guerre civile et de terrorisme et que d’importantes villes algériennes à la frontière ne soient à la portée d’attaques de terroristes venus de Tunisie. Aussi, la diplomatie algérienne s’accompagne d’une collaboration opérationnelle active avec Tunis.
Pour pouvoir agir en Libye, Alger a besoin de s’assurer que son voisin tunisien s’engage dans un processus de stabilisation politique et que les menaces à la sécurité que représentent les groupes terroristes, en particulier dans le Djebel Chaâmbi (frontière algéro-tunisienne), soient neutralisés ou du moins combattus efficacement des deux côtés de la frontière (Ammour, 2015b).
C’est pourquoi, en 2013, dans le cadre de leur stratégie commune de contre-terrorisme, Alger et Tunis ont signé un accord de sécurité inédit qui autorise les forces algériennes à pénétrer sur le territoire de son voisin en cas de nécessité et s’accompagne de la mise en place de dispositifs militaires frontaliers : 80 points de contrôle installés sur les 956 kilomètres de frontières communes ; 20 zones militaires créées ; 60 000 hommes déployés.
En vertu d’un second accord passé à Tebessa le 22 juillet 2014, l’Algérie a livré à son voisin tunisien des missiles sol-air et des avions de fabrication russe et mis à sa disposition des drones Seekers et des hélicoptères pour la traque des groupes terroristes. Des patrouilles conjointes (14 000 hommes en tout) ont également été formées pour ratisser la frontière. Enfin, des éléments des forces aériennes tunisiennes suivent une formation accélérée en Algérie sur des hélicoptères russes Mi-24 et Mi-28.
En septembre 2017, l’échange de renseignement a également permis aux autorités algériennes d’alerter les services de sécurité tunisiens sur l’existence d’un réseau de trafic d’armes basé en Tunisie et organisé par des milices libyennes à la frontière entre les deux pays.
La Libye : un révélateur d’intérêts divergents
En Libye, l’Algérie s’est clairement positionnée pour un dialogue national inclusif et une réconciliation entre toutes les parties, y compris les tribus et les anciens gaddhafistes.
En appuyant une initiative politique destinée à stopper les combats entre milices rivales libyennes, Alger a cherché à endiguer les transferts d’armes depuis la Libye dans toute la région du Sahara-Sahel. Elle souhaitait aussi réactiver les Accords de Ghadamès signés en 2013 entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye, mais qui n’ont jamais pu être mis en œuvre dans la mesure où les frontières libyennes sont contrôlées par certaines milices islamistes ou par des réseaux locaux de trafiquants.
Confortée par l’initiative de l’envoyé spécial des Nations Unies et par la position du Dialogue 5+5 réuni à Madrid en septembre 2014, qui a condamné unanimement la proposition française d’action militaire et plaidé pour une solution politique, elle s’est opposé à l’appui de l’Égypte aux frappes aériennes menées en Libye par les Émirats Arabes Unis (EAU), considérant que cette intervention faisait courir un risque de déflagration pour toute la région.
Forte de son rôle dans le dialogue inter-malien et de l’accord de paix signé en 2015, l’Algérie cherche à tout prix à éviter que l’option militaire favorisée par la France, l’Égypte, les EAU et l’Italie ne compromette le bon déroulement des premières discussions inter-libyennes qui se sont tenues à Alger sous l’égide de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (UNSMIL). Fruit de plusieurs mois d’efforts durant lesquels les autorités algériennes ont discrètement rencontré pas moins de deux cents interlocuteurs libyens, parmi lesquels les grandes tribus de l’ouest fidèles à l’ancien régime longtemps marginalisées (Warshafana, Gaddaffa, Warfalla, al-Megharha), cette réunion visait à établir un gouvernement d’union nationale. Alger avait également accepté la demande du représentant de la Libye à l’ONU, Ibrahim Dabbachi, de former l’armée libyenne.
Les multiples sessions de pourparlers qui ont eu lieu à Alger n’ont cependant pas abouti à une amélioration de la situation politique et sécuritaire. Tout comme les accords de Skhirat (Maroc) signés en décembre 2015 sous l’égide de l’ONU, n’ont pas permis d’avancées significatives.
En collaboration avec ses voisins nord-africains, Alger n’en continue pas moins de déployer une diplomatie de dialogue. Réunis en février 2017 à Tunis, les ministres des Affaires étrangères algérien, tunisien et égyptien ont réaffirmé leur refus d’une intervention militaire occidentale en Libye et leur souhait que les accords de Skhirat restent le socle des futures négociations inter-libyennes. En avril 2017, Abdelkader Messahel, ministre des Affaires maghrébines, de l’Union africaine et de la Ligue des États arabes, a effectué une tournée en Libye et rencontré plusieurs personnalités politiques, militaires et civiles dans l’optique de rapprocher les vues des belligérants en faveur d’un règlement pacifique de la crise. Sans succès pour l’instant.
Le seul acquis dont le gouvernement d’ « union nationale » libyen peut se vanter est l’éviction de Daech de la ville de Syrte fin 2016, imputable à la mobilisation d’une coalition de milices – principalement de Misrata – et non à une armée intégrée qui n’existe toujours pas. Cependant, il s’agit d’une victoire tout relative dans la mesure où Daech a fait son retour dans le sud de la Libye et dans la région de Syrte comme en témoignent les nombreux enlèvements et embuscades perpétrés ces derniers mois à Sabratha ou Nawfaliyah (Cristiani, 2017 ; Sehmer, 2017). De plus, si l’information est vérifiée, il semblerait que Aboubakar Al Baghdadi se trouve depuis peu quelque part entre le Tchad et le Niger, ce qui confirmerait qu’une réactivation de Daech en Afrique est à l’œuvre.
L’inextricable crise malienne
Après avoir condamné le coup d’État militaire au Mali, le gouvernement algérien est resté plusieurs mois étrangement silencieux, hormis quelques déclarations sporadiques sur l’aggravation de l’instabilité au Mali. Cet attentisme peut s’expliquer par des raisons d’ordre interne: les élections législatives du 10 mai 2012, et la compétition entre élites rivales pour la présidence à pourvoir en 2014.
L’Algérie avait pourtant participé à toutes les négociations relatives à la question touarègue malienne depuis les années 1990. Car toute crise au nord du Mali a toujours été considérée par Alger comme porteuse d’une potentielle déstabilisation du sud algérien où vivent plusieurs milliers de réfugiés maliens, dont certains naturalisés algériens y sont définitivement établis (Ammour, 2013c).
C’est seulement en juin 2012 que les autorités algériennes ont fait clairement état de leur préférence pour une « solution politique par le dialogue » et engagé un mois plus tard des négociations avec deux des groupes terroristes occupant le nord du Mali : Ansar Eddine et le Mouvement pour l’Unicité du Djihad an Afrique de l’Ouest (MUJAO), ainsi qu’avec le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) qui s’est presque aussitôt retiré des pourparlers et a refusé la médiation d’Alger.
Cette stratégie très critiquée pour son ambiguïté, visait vraisemblablement à semer la division entre les groupes terroristes pour les affaiblir : en instrumentalisant Ansar Eddine, l’Algérie croyait pouvoir entamer une politique d’apaisement afin de recouvrer sa stature de leader régional (Ammour, 2013c). Ce choix s’est avéré peu avisé, puisque dès la fin 2012, le leader du groupe touareg, Iyad ag-Ghaly, a rompu l’accord signé sous les auspices d’Alger avec le MNLA. L’agenda d’Ansar Eddine a rapidement révélé d’autres ambitions politiques dès lors qu’il a pris la tête de l’offensive des groupes radicaux vers le sud du Mali.
Lorsqu’à partir de 2013, Alger, à la tête d’une délégation internationale, décide de réunir tous les acteurs institutionnels et non-étatiques de la crise malienne, cette démarche est bien accueillie par le Président Ibrahim Boubakar Keita. Bamako s’inquiétait notamment de la situation d’exception de Kidal dont la sécurité alimentaire et l’économie reposent entièrement sur le commerce légal et illégal avec le sud algérien.
Pour autant, après plus d’un an de négociations, le résultat n’a pas été à la hauteur du travail accompli. L’Accord d’Alger signé en juin 2015 à Bamako est encore loin d’être respecté et fait l’objet de nombreuses remises en question de la part de différents groupes mécontents de ne pas avoir eu un rôle politique plus important dans les pourparlers de paix inter-maliens, comme en témoignent les nombreuses violations du cessez-le-feu.
La disparité des groupes a conduit à un foisonnement de mouvements encore trop engagés dans des intérêts propres, peu représentatifs, et souvent en conflit. Elle bloque toujours le dialogue, notamment avec les groupes considérés comme opposés, voire ennemis.
Loin d’apporter une réponse satisfaisante à la crise malienne, cet accord [d’Alger] reproduit des institutions politiques qui n’ont pas fonctionné jusqu’ici sans se donner les moyens de les améliorer. Ce manque d’imagination politique est lié aux priorités des acteurs réunis à Alger : la médiation internationale privilégie la restauration de l’ordre et la stabilité dans une situation marquée au contraire par l’aspiration des populations du Nord au changement. De leur côté, les parties maliennes manquent d’ambition : elles conçoivent l’accord comme un moyen de consolider leurs positions et d’affaiblir l’adversaire. A Alger, il aurait fallu trouver un meilleur compromis entre ordre et changement[9].
Parallèlement au règlement politique de la crise malienne, l’Algérie mise sur le développement du Sahel à travers deux projets:
– la route Transsaharienne, réseau de quatre branches routières de 9 500 kilomètres reliant l’Algérie au Nigeria (en passant par la Tunisie, le Mali, le Niger et le Tchad), dont l’objectif est de promouvoir et faciliter les échanges entre le nord et le sud du Sahara[10];
– le projet de gazoduc transsaharien dont l’accord a été signé entre Alger et Abuja en 2009, qui doit acheminer le gaz naturel du Nigeria vers l’Europe en passant par l’Algérie.
Cependant, ces deux projets sont tributaires des capacités régionales et de l’insécurité qui règne au Sahel (International Crisis Group, 2015b).
En outre, le projet de gazoduc pourrait être supplanté par la signature en décembre 2016 d’un accord entre le roi Mohammed VI avec le gouvernement nigérian d’une étude de faisabilité d’un autre gazoduc Nigeria-Maroc pour raccorder les deux pays en gaz, en étendant le West African Gas Pipeline qui relie le Nigeria au Bénin.
L’Algérie et la coopération internationale élargie
Lorsque l’Algérie aux prises avec sa violence interne, se retrouve marginalisée sur la scène internationale, sa diplomatie de leadership, notamment au Sahel, en est profondément affectée. Cherchant à restaurer l’image internationale de son pays, le Président Abdelaziz Bouteflika, élu en 1999, réussit à relancer une politique de médiation et d’intégration sur le continent africain (accord Érythrée-Ethiopie en 2000, projet du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique ou NEPAD en 2001, accords d’Alger sur la question touarègue en 2006), sans pour autant réussir à renouer avec l’âge d’or antérieur (Ammour, 2013d).
La nouvelle problématique sécuritaire du 11 septembre 2001 va offrir au pouvoir algérien une nouvelle légitimité par l’extérieur en lui permettant de domestiquer sa politique étrangère pour en faire une nouvelle source de légitimité de sa politique intérieure.
Après dix ans de mise à l’écart, l’Algérie va opérer un rapprochement avec les États-Unis sur le plan sécuritaire et économique. Ce processus illustre la volonté des autorités algériennes de s’intégrer fortement dans la nouvelle dynamique et le système sécuritaires Nord-Sud. L’effet a donc été indubitablement bénéfique pour Alger qui devient dès lors un nouveau partenaire pour Washington dans la région, induisant une perception américaine nouvelle de l’Algérie[11].
Le resserrement des liens avec les États-Unis s’est également traduit par la multiplication des visites d’officiels américains à Alger, et l’invitation régulière des ministres algériens et du Président Abdelaziz Bouteflika à la Maison Blanche. Sur le plan sécuritaire, par l’accroissement du nombre des manœuvres et initiatives communes, l’ouverture d’une antenne du Federal Bureau of Investigation (FBI) à Alger, la formation d’officiers de l’ANP aux États-Unis, une série de missions d’information mutuelles entre officiers supérieurs du Département de Recherche et de Sécurité (DRS – ancienne appellation des services de renseignements) et de leurs homologues américains. Les deux pays vont ainsi instaurer des relations essentiellement marquées par une préoccupation sécuritaire, dont les principes, les modalités et les stratégies sont formulés et établis par Washington.
En 2000, l’Algérie a adhéré au Dialogue méditerranéen de l’OTAN et, en tant que telle, participe à plusieurs exercices conjoints. En 2006, elle a été le premier pays de la région dans l’opération Active Endeavour. Si le dialogue s’était quelque peu refroidi après l’intervention de l’OTAN en Libye, lancée sans consultation préalable de l’Algérie, le volet opérationnel était resté actif. L’Algérie fait également partie de l’initiative américaine dite Transsaharan Counter-Terrorism Initiative (Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme), mais sans participer aux entraînements annuels Flintlock du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (United StatesAfrica Command ou AFRICOM).
Les États-Unis fournissent également une assistance bilatérale l’Algérie à travers deux programmes: «Non-prolifération, anti-terrorisme, déminage et programmes associés» (Non proliferation, Antiterrorism, Demining, and Related Programs ou NADR) et « Éducation et entraînement militaires internationaux » (International Military Education and Training ou IMET).
La coopération la plus active avec les Américains concerne le domaine maritime: exercice Phoenix Express en 2012 par exemple, portant sur la contre-piraterie et la sécurisation des mers.
En outre, depuis la fin des années 2000, une unité américaine d’environ 400 hommes est installée près de Tamanrasset où elle s’entraîne avec les régiments d’élite algériens, échangeant tactiques et procédures de combat avec eux (Dénécé, 2013).
De manière inattendue, la prise d’otages de janvier 2013 sur le site de Tinguentourine a favorisé le rapprochement entre l’Algérie, les États-Unis et la Grande-Bretagne. De nouveaux accords de sécurité ont été signés qui consistent à fournir à Alger des informations provenant de la surveillance des drones américains et britanniques pour cibler les groupes terroristes actifs dans le Sud (Le Sage, 2007). En matière de défense et de renseignement, alors que jusqu’ici la vente de certains types de matériel militaire américain était soumise à de sévères restrictions, les perspectives pour que l’Algérie puisse acquérir désormais des drones sont plus que jamais prometteuses[12].
En contrepartie, l’Algérie a été appelée à jouer un rôle plus pro-actif dans la région afin de limiter autant que possible l’immixtion d’autres acteurs occidentaux dans les affaires sahéliennes (Davis, 2007 ; Dagne 2002).
L’Algérie est aussi l’un des membres fondateurs du Forum de Contre-Terrorisme Global (FCTG) lancé à New York en septembre 2011. Elle y co-préside avec le Canada le groupe de travail sur le renforcement des capacités de lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel. Conformément à l’approche inclusive prônée par le FCTG, la sphère géographique des groupes de travail régionaux a été élargie à l’Afrique de l’Est et de l’Ouest (Solomon, 2017). La première réunion du Groupe de travail sur l’Afrique de l’Ouest s’est tenue à Alger en octobre 2017, en présence des pays ouest-africains et des organisations internationales et régionales, dont l’ONU et l’Union Africaine (UA).
Le rôle de l’Algérie dans l’élaboration et la mise en place des instruments africains de coopération et de lutte contre le terrorisme
Avec le Nigeria, l’Égypte et l’Afrique du Sud, l’Algérie est l’un des plus gros contributeurs de l’UA.
Souvent perçue comme peu impliquée dans la coopération de sécurité régionale, l’Algérie est pourtant très engagée dans l’architecture de paix africaine.
Depuis la création de l’Union africaine en 2001, c’est l’Algérie qui occupe le poste de Commissaire à la paix et la sécurité (CPS): Saïd Djinnit a été le premier (2001-2008) – après avoir occupé divers postes au sein de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA)-, puis Ramtane Lamamra (2008-2013) lui a succédé, avant que Smaïl Chergui ne prenne sa place. Ce dernier a été réélu pour quatre ans lors du dernier sommet de l’Union africaine tenu à Addis-Abeba en janvier 2017. Ainsi, d’aucuns pensent que la direction du CPS est quasiment devenue la chasse gardée de l’Algérie.
Il s’agit il est vrai de l’un des postes les plus stratégiques de l’organisation puisqu’il chapeaute le département Paix et sécurité de l’UA, lequel est en charge de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique. Parmi les principales missions dévolues à ce département, le secrétariat du Conseil de paix et de sécurité, les questions de défense et de sécurité, les opérations de maintien et de soutien à la paix, la prévention des conflits et de l’alerte précoce ainsi que la gestion des crises et de la reconstruction post-conflit. Le Département supervise également les missions de l’UA sur le terrain et les bureaux de liaison comme, à titre d’exemple, la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), la Mission internationale sous conduite africaine de soutien à la République centrafricaine (MISCA) ou la Mission de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel (MISAHEL).
Le Commissariat à la paix et à la sécurité de l’UA constitue donc une sorte de « Conseil de sécurité » à l’échelle de l’organisation continentale même si cette dernière dispose d’un Conseil à la paix et à la sécurité, aux prérogatives cependant moins stratégiques que ceux du département en charge des mêmes questions.
Par ailleurs, en juin 2017, deux autres Algériens ont été élus par le Conseil exécutif de l’UA: Maya Sahli Fadel, réélue au poste de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), et Hocine Ait-Chaalal élu au poste de membre du Conseil consultatif de l’Union africaine sur la corruption.
L’Algérie et les instruments africains de contre-terrorisme
Après les attentats contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar es Salaam en 1998, la convention africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme est signée à Alger en 1999. Celle-ci permet pour la première fois de définir l’acte terroriste comme une stratégie et de codifier les normes anti-terroristes tout en consolidant des standards communs sur le continent. Elle définit également les domaines de coopération entre les États, un cadre légal pour l’extradition et les investigations extra-territoriales, ainsi que les normes judiciaires d’assistance mutuelle.
Dans le prolongement de ce texte, en septembre 2002, des recommandations destinées à mettre en œuvre des mesures de lutte et de prévention contre le terrorisme débouchent sur un Plan d’action établissant le Centre Africain d’Études et de Recherches sur le Terrorisme (CAERT) dont le siège est inauguré à Alger en 2004. Sa mission est de centraliser l’information sur les activités terroristes et d’accompagner les États à développer des stratégies de contre-terrorisme en conformité avec les normes internationales et celles de l’UA. Ce centre permet par ailleurs à l’UA de disposer de compétences de recherche indépendantes sur la problématique du terrorisme.
En avril 2010, sous les auspices du CAERT, est créée l’Unité de Fusion et de Liaison (UFL) dont le siège se trouve dans la capitale algérienne. L’UFL regroupe l’Algérie, la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso, la Libye, le Mali, le Tchad et le Nigeria (depuis 2011). Ses fonctions principales sont le partage de renseignements, la coordination de l’action de lutte contre le terrorisme et sa propagande, et contre le crime organisé.
L’investissement de l’Algérie dans l’UA et la présence de ses représentants à des postes-clés aux Nations Unies (bureau de l’UA à l’ONU et bureau de l’ONU en Afrique de l’Ouest), démentent l’image d’une Algérie réfractaire à la coopération régionale et internationale.
Au Sahel, qui constitue son voisinage immédiat, l’Algérie est particulièrement sensible à la problématique du financement du terrorisme. Considérant que le versement de rançons aux kidnappeurs équivaut à financer le terrorisme et les activités criminelles, à renforcer leurs capacités et à étendre leur sphère d’action, l’Algérie a activement milité en faveur de la criminalisation du paiement des rançons par des États (principalement occidentaux), pour la libération de leurs ressortissants pris en otage au Sahara-Sahel. Après des années de discussions pour convaincre la communauté internationale du bien-fondé de cette démarche, Alger a vu ses efforts récompensés en décembre 2009 lorsque les Nations Unies ont voté la résolution 1904 interdisant le versement des rançons, en complément des résolutions 1373 et 1267 sur le financement du terrorisme (Moisan, 2013)[13].
Au sein de l’UA, Alger continue de mener son action pour que l’organisation soit en parfaite adéquation avec lesinstruments juridiques internationaux, en particulier avec les résolutions 1904 (2009), 1983 (2011) et 2083 (2012) du Conseil de Sécurité des Nations Unies, les décisions de Lough Erne ( Sommet du G8 de juin 2013 en Grande Bretagne), du Groupe Lyon-Rome et de la 16e Conférence au sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays non alignés.
Bien qu’elle soit à l’origine de ces avancées juridiques, l’Algérie n’en n’estime pas moins que l’architecture internationale actuelle de lutte contre le financement du terrorisme dans ses différentes dimensions reste insuffisante (Moisan, 2013 ; Solomon, 2017 ; Nkalwo Ngoula, 2016 ; Moki, 2007 ; Wani, 2007)[14]. Elle a offert d’abriter une conférence de l’UA consacrée à cette question en vue d’obtenir l’élaboration d’un protocole additionnel à la convention de 1999 sur la répression du financement du terrorisme, criminalisant les paiements de rançons afin de mieux contrôler et de stopper les flux financiers provenant de l’extérieur du continent pour satisfaire les exigences des groupes terroristes.
Au moment de la crise malienne (mars 2013), souhaitant renforcer la coopération sécuritaire et l’opérationnalisation de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA), l’Algérie au sein de la Commission paix et sécurité de l’Union africaine, a créé le Processus de Nouakchott qui réunit onze États allant de la Méditerranée au golfe de Guinée (Algérie, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Tchad).
L’Algérie est aussi partie prenante de la Brigade nord-africaine d’intervention rapide, l’une des cinq brigades régionales de l’UA pour les opérations de stabilisation et de maintien de la paix sur le continent africain.
L’Algérie est également membre du Comité des services de sécurité et de renseignements africains (CISSA), crée le 26 août 2004 à Abuja (Nigeria) par les directeurs des services de renseignements et de sécurité africains. C’est la plus grande organisation africaine des services de sécurité et de renseignements. Il a été conçu comme un mécanisme de dialogue, d’études, d’échanges d’informations et d’analyse, de concertation et d’adoption des stratégies communes en vue de faire face aux menaces et à l’insécurité affectant l’Afrique.
En mai 2017, l’Algérie a été élue pour deux ans à la présidence du Mécanisme de coopération policière africaine (AFRIPOL), dont le siège est à Alger. La première assemblée générale s’est tenue à Alger du 14 au 16 mai, sous la houlette du Commissaire à la paix et à la sécurité de l’UA, Smaïl Chergui. Le projet AFRIPOL avait été lancé par l’Algérie lors de la 22e Conférence régionale africaine d’Interpol de septembre 2013 à Oran. Cette initiative avait ensuite été confortée en marge de la 82ème session de l’Assemblée générale de l’OIPC-Interpol avant d’être soutenue, en janvier 2014, à Addis-Abeba, par le Comité technique spécialisé de la défense et de la sûreté et la sécurité (CTSDSS) de l’UA. La Conférence africaine des directeurs et inspecteurs généraux de police sur AFRIPOL, organisée à Alger en février 2014, avait permis l’adoption unanime du document conceptuel et de la déclaration d’Alger. C’est en juin 2015, à Addis-Abeba, qu’a été finalisé le processus avec la mise en place des domaines du programme de travail d’AFRIPOL. En décembre 2015, les directeurs et inspecteurs généraux de police africains réunis à Alger, ont entériné les textes juridiques relatifs au lancement de ce mécanisme de coopération policière africaine. AFRIPOL, à l’instar d’EUROPOL ou d’ASIAPOL, aura des pouvoirs décisionnels, exécutif et opérationnel. Ce mécanisme qui agira en consultation permanente avec le CTSDSS a pour mission principale d’assurer le leadership en ce qui concerne toutes les questions de police en Afrique. Il devra prévenir et lutter contre toutes les formes de la criminalité transnationale et du terrorisme, y compris la lutte contre la cybercriminalité, le trafic illicite d’armes et de drogue, la traite des êtres humains, le trafic des espèces sauvages, les dommages causés à l’environnement ainsi que la gestion des frontières.
Quelles perspectives pour l’Algérie au sein de l’Union africaine?
Alger a bien tenté de bloquer la réadmission controversée du Maroc dans l’UA, finalisée en janvier 2017 après 33 d’absence (Institute for Security Studies, 2016)[15]. Ce retour peut en effet potentiellement ébranler la prédominance algérienne, notamment au sein du Département de sécurité et de la structure de l’UA où se forge la coopération sécuritaire au Maghreb et au Sahel, et où l’Algérie a toujours promu ses connexions et sa position dans la région.
Le principal point de discorde concerne la participation de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) aux sommets de l’UA transformée en arène d’affrontements diplomatiques entre pro et anti-Marocains. Ainsi, bien que membre de l’UA, la RASD n’avait pas été invitée au sommet UA-UE des 29 et 30 novembre 2017 à Abidjan, la Côte d’Ivoire refusant de servir de cadre à une bataille entre Marocains et Sahraouis. C’est finalement le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, qui l’a sollicitée à participer à ce sommet[16].
D’autre part, en janvier 2018, le Maroc a obtenu un siège pour deux années au Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, ce qui lui permettra de maintenir la question du Sahara entre les mains du Conseil de sécurité des Nations Unies (Louw-Vaudran, 2018).
Alger devra désormais compter avec un voisin qui, en matière de coopération militaire et de sécurité avec les pays subsahariens, joue un rôle non négligeable dans la formation de nombreux cadres africains dans les académies militaires du Royaume, et dans la formation des imams de plusieurs pays du continent.
Hormis le fait que la réintégration du Maroc représente une contribution non négligeable au financement de l’UA (en particulier depuis la défection de la Libye)[17], et qu’elle permet au Royaume de contourner l’échec de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), elle pourrait être l’occasion pour les gouvernements algérien et marocain d’amorcer l’intégration nord-africaine en entamant un dialogue de sécurité bilatéral et un partenariat institutionnel par le biais de l’organisation panafricaine.
Avec le taux le plus faible d’échanges commerciaux du continent, le Maghreb reste la région la moins intégrée d’Afrique. Le Maghreb pourrait bénéficier de ce rapprochement et devenir un bloc régional cohérent.
Compte tenu de leur poids politique, militaire et économique, il est temps pour les deux rivaux historiques de mettre de côté leurs différends, et de profiter de l’opportunité de leur nouvelle proximité au sein des instances de l’UA pour conjuguer leur influence respective, en particulier au Sahel, et en Afrique en général.
La menace commune à laquelle ils sont confrontés pourrait dans un premier temps constituer le socle d’une régionalisation de la sécurité en Afrique du Nord, et conduire ultérieurement à une intégration économique du Maghreb. À long terme, cette intégration pourrait enfin désamorcer la culture de la méfiance et de l’hostilité qui imprègne les jeunes générations des deux pays.
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Notes
[1] L’index du terrorisme mesure l’impact direct et indirect du terrorisme, à savoir ses effets sur les vies humaines, les blessures infligées, les dommages à la propriété, et les effets psychologiques.
[2] Bechir M., « Après l’attentat de Tiaret, l’Algérie en alerte face au retour des combattants de l’EI », Middle East Eye, 7 septembre 2017.
[3] Trois-cent ressortissants marocains furent arrêtés et renvoyés au Maroc, les vols Alger-Tripoli suspendus et la frontière fermée.
[4] Selon l’Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLDT), plus de 14 tonnes de résine de cannabis ont été saisies en Algérie durant le premier trimestre de l’année 2017, dont 86,75 % à l’Ouest du pays.
[5] Entretien avec un diplomate algérien, Alger, février 2012. Par le passé, l’Algérie a cependant mené plusieurs actions militaires hors de ses frontières : deux fois durant la bataille d’Amgala (Sahara occidental) en janvier et février 1976 contre les troupes marocaines ; en Égypte, en 1973, durant la guerre du Kippour, aux côtés du Maroc et de la Libye.
[6] Le rapport Sahel du Sénat français de 2013 soulignait que « rien ne pourra se faire sans l’Algérie, grande puissance militaire […] qui connaît le terrorisme pour l’avoir subi pendant les « années de plomb » […] et dont les positions ont favorablement évolué depuis l’engagement de l’opération Serval et l’attentat de Tiguentourine ».
[7] Entretiens avec des officiers maliens et nigériens, Bamako et Dakar, avril et juin 2013.
[8] Psychotropes, en arabe dialectal.
[9] International Crisis Group, Mali : la paix à marche forcée ?, Rapport Afrique no. 226, Bamako-Bruxelles, 22 mai 2015.
[10] Le projet de la route transsaharienne est né dans les années 1960 à l’initiative de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) afin de désenclaver les pays du Sahel en leur offrant un accès à la Méditerranée.
[11] En décembre 2009 l’Algérie a ainsi autorisé des avions américains à survoler son territoire pour effectuer des reconnaissances de la zone frontalière entre le Mali et la Mauritanie, notamment de la zone militarisée de Tindouf (Algérie).
[12] Ce rapprochement est à mettre en relation avec l’installation à Agadez (Niger) d’une base américaine de drones de surveillance Predator, au plus près de la zone d’instabilité où opèrent les groupes terroristes.
[13] Rappelons que l’Algérie aussi a été confrontée à l’enlèvement de ses ressortissants : plusieurs membres du personnel du consulat algérien de Gao avaient été kidnappés en avril 2012 par le MUJAO. Ils ont été libérés en août 2014 (sauf un qui a été tué).
[14] En effet, bien souvent les gouvernements occidentaux versent les rançons à des intermédiaires locaux qui ponctionnent leur part au passage et négocient directement avec les ravisseurs au nom de ces gouvernements. Il est donc difficile, voire impossible, de prouver que les ravisseurs sont bien les destinataires de ces sommes d’argent.
[15] Le Maroc avait décidé de quitter l’Organisation de l’union africaine (OUA) en 1984 à la suite de l’admission en son sein de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), aussi connue sous le nom de Sahara occidental. Lors du 27ème sommet de l’UA réuni à Kigali en juillet 2016, 28 États africains avaient signé une pétition demandant la suspension de la RASD de l’organisation en contrepartie de la réintégration du Maroc.
[16] Comme ce fut déjà le cas lors du sommet arabo-africain de Malabo en novembre 2016 ou lors de celui de Maputo (entre le Japon et l’Afrique) en août 2017.
[17] L’UA dépend aux trois quarts des bailleurs de fonds internationaux. Une nouvelle taxe de 0,2% sur toutes les importations pourrait rapporter plus d’un milliard d’euros par an, réparti entre les programmes de l’UA (75%) et le fonds Paix et Sécurité (25%).