Iran : Le ministère du renseignement et de la sécurité (VEVAK)
Alain RODIER
Nouvel insigne du VEVAK
Historique
Le ministère du Renseignement et de la Sécurité – Vevak Vezarat-e Ettelaat va Amniyat Keshvar en farsi[1] – de la République islamique d’Iran a été créé le 18 août 1984. Le VEVAK est le successeur de la SAVAK, service spécial particulièrement redoutable qui sévissait du temps du Shah[2]. Bien que nombre d’officiers de renseignement aient été exécutés après la révolution, le nouveau pouvoir a eu l’intelligence d’en retourner un certain nombre qui ont apporté leurs compétences professionnelles à ce service naissant. En effet, la profession d’« espion » ne s’improvise pas.
Le plus connu des « retournés » est l’ex-numéro deux de la SAVAK, le général Hossein Fardoust. Il a été affecté comme conseiller auprès du bureau de renseignement du Premier ministre de l’époque, Medhi Bazargan. C’est cet organisme qui a créé le VEVAK. Cependant, après avoir rempli sa mission, Fardoust a été arrêté et est mort en 1987 en prison.
Missions
Le VEVAK opère à l’intérieur du pays comme à l’étranger.
Sa mission première consiste à traquer les opposants au régime, en particulier les membres de l’Organisation des moudjahidines du peuple (OMPI[3]). En effet, cette organisation est considérée par Téhéran comme la plus importante et surtout, la plus menaçante pour le pouvoir. Toutefois, tous les dissidents, royalistes, kurdes, arabes, baloutches, etc. constituent aussi des cibles de choix pour le VEVAK.
Avec le temps, d’autres missions sont venues se greffer aux objectifs initiaux.
– La première a consisté à approvisionner l’Iran en matériels soumis à embargo, au premier rang desquels se trouvent les armements, les pièces de rechange militaires et tout ce qui est nécessaire au développement d’un programme nucléaire militaire.
– Ensuite, il a fallu tenter de parer les opérations des services spéciaux adverses qui sabotent l’effort nucléaire en assassinant des scientifiques, en introduisant des virus (Stuxnet) dans les systèmes informatique, en livrant des pièces mécaniques défectueuses en utilisant des intermédiaires véreux, etc. Cette mission relève du contre-espionnage dans ce qu’il a de plus classique. Cela implique aussi une sensibilisation et une assistance aux autres organisations gouvernementales dans le domaine de la sécurité.
– Le VEVAK s’est aussi vu confier la tâche de préparer les représailles au cas où les Etats-Unis ou Israël (ou les deux Etats ensemble) mèneraient une frappe sur les installations nucléaires iraniennes.
– Enfin, ce qui est le cœur du métier des services spéciaux, le VEVAK centralise tous les renseignements recueillis à l’étranger, que cela soit par ses propres sources ou par les autres ministères iraniens. A savoir que tout fonctionnaire iranien est un officier de renseignement potentiel qui est tenu de rechercher des informations. Il doit ensuite en rendre compte au VEVAK. De plus, tout citoyen qui remarque quelque chose d’anormal ou intéressant la sécurité nationale doit appeler le numéro de téléphone « 133 » : le VEVAK est au bout de la ligne !
Direction
En théorie, le VEVAK est placé sous l’autorité du Conseil suprême de la Sécurité nationale (CSSN). En fait, il répond de ses actes directement auprès du Guide suprême de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei. Il a son quartier général à Téhéran, dans les anciens locaux de la Savak.
Son chef est obligatoirement un religieux qui doit détenir un degré dans l’ijithad, c’est-à-dire la capacité à interpréter le Coran et les paroles du Prophète et de ses imams. Il ne doit pas être membre d’un parti politique et doit avoir une réputation d’intégrité personnelle sans tâche.
L’actuel ministre du Renseignement et de la Sécurité est le mollah Heydar Moslehi. Son prédécesseur, Qolem Mohseini Ejei, a été démis de ses fonctions la 26 juillet 2009. Un des patrons les plus célèbre de la centrale de renseignement est l’hodjaloteslam Ali Fallahian, qui occupa cette fonction de 1989 à 1997. Avec d’autres dignitaires du régime – dont l’ayatollah Hachemi Rafsandjani, Mohsen Rezaï et deux de ses successeurs, Dorri-Najafabadi et Ali Younessi -, il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour l’assassinat de quatre dissidents kurdes à Berlin en septembre 1992 (affaire du restaurant Mykonos). Il est aussi directement impliqué dans des attentats antisémites en Argentine (1992 et 1994) et dans celui de Chapour Bakhtiar, en région parisienne, en 1991.
Le président Ahmadinejad a demandé en 2011 la démission de Heydar Moslehi mais cette dernière a été refusée par Khamenei. Cet incident a été un des épisodes qui illustrent à la sourde lutte de palais que se livrent Ahmadinejad et Khamenei.
Personnels
Le VEVAK comprend 30 000 personnels, tous civils, à la différence de la défunte Savak. Plusieurs milliers d’entre eux résident à l’étranger (entre 2 000 et 8 000 selon les estimations).
Les membres du VEVAK sont connus sous l’appellation des « Soldats inconnus de l’imam Zaman », le cinquième imam dans l’ordre de succession des chefs islamiques chiites. En effet, c’est comme cela que les avait appelé l’ayatollah Khomeiny.
Le recrutement se fait de deux manières différentes. Une première filière existe au sein de l’université Imam Mohammad Bagher d’Ispahan qui dépend du VEVAK. Les étudiants âgés entre 22 et 27 ans passent un concours d’entrée. La deuxième voie est la cooptation, ce qui facilite certains « regroupements familiaux ». Les candidats issus des deux voies sont convoqués pour subir des tests physiques dans leur province de résidence. Ces épreuves sont moins sélectives que celles destinées aux postulants aux forces spéciales de l’armée ou des pasdaran.
Ceux qui ont satisfait à ces épreuves rejoignent Hamadan pour y être soumis à des tests psychologiques et à une enquête de sécurité très pointue. Le passé, les membres de la famille et les relations du candidat sont examinés à la loupe. Quelque soit la qualité de l’impétrant, tout doute dans les domaines psychologique et de la sécurité est éliminatoire. Ceux qui ont franchi cette épreuve sont ensuite évalués dans les domaines culturel, économique, social, politique et religieux. Tous ces tests peuvent s’étaler sur une durée de 9 mois à 2 ans ! Les heureux élus intègrent alors l’« école d’espionnage » de l’université Imam Mohammad Bagher pour y suivre une formation spécifique. A leur sortie, les nouveaux promus intègrent le VEVAK et une identité fictive qui leur est alors attribuée. Ils rejoignent leur première affectation, généralement un bureau provincial. Ce n’est qu’une fois qu’ils auront acquis une solide expérience qu’ils pourront prétendre à servir à l’étranger pour des missions de courte ou de longue durée.
Durant leur carrière, les membres du VEVAK sont étroitement contrôlés et encourent les pires sanctions en cas de manquements à la sécurité. Par le passé, le ministère a connu des purges sanglantes, concernant même les responsables les plus importants, à l’exemple du vice-ministre des renseignements Saïd Emami qui a été incarcéré puis qui s’est « suicidé » en prison. Généralement, les fonctionnaires du VEVAK ne sont pas des islamistes purs et durs mais plutôt des nationalistes. C’est pour cette raison qu’ils sont surveillés de près par les pasdaran qui s’assurent de leur loyauté.
Il convient de bien faire la différence entre les fonctionnaires appartenant au VEVAK et les « agents » qui travaillent pour ce service. En effet, le VEVAK recrute des personnels extérieurs pour les employer comme « honorables correspondants » (HC/non rémunérés) ou comme agents (rémunérés). En ce qui concerne les citoyens iraniens résidant à l’étranger, le VEVAK utilise tout simplement la menace pour les faire collaborer : « travaillez pour nous ou votre famille restée en Iran pourrait avoir de sérieux problèmes ». Si une certaine réticence est rencontrée, le VEVAK n’hésite pas à faire incarcérer des membres de la famille de la cible sous des prétextes parfois passibles de la peine de mort. Cette méthode musclée interdit aussi toute défection à moins que le sujet ne quitte le pays avec les membres de sa famille auxquels il tient !
Une des particularités des HC et des agents du VEVAK est, qu’à un moment ou à un autre, ils doivent séjourner en Iran sous un prétexte quelconque. Le but pour le VEVAK est de faire un point approfondi avec leurs sources (sécurité) et de les former en toute tranquillité aux techniques clandestines.
Organisation
Le VEVAK est composé de quinze directorats :
- Personnels ;
- Administration et finances ;
- Affaires extérieures (c’est-à-dire les relations avec les autres instances officielles iraniennes dont le parlement) ;
- Planification des opérations (essentiellement à étranger) ;
- Technologie (c’est là que sont testées les nouvelles techniques comme l’internet et les activités d’espionnage pouvant s’y rapporter) ;
- Politique et étude des religions ;
- Economie (un bureau de ce directorat est chargé de lutter contre la corruption) ;
- Formation ;
- Recherche ;
- Archives et documentation ouverte ;
- Analyse et stratégie (un département de la désinformation – nefaq – est rattaché à ce directorat) ;
- Sécurité intérieure (directorat chargé de la protection des institutions étatiques et du contrôle des lieux de transit internationaux : aéroports, ports, frontières) ;
- Sécurité nationale (a pour mission de surveiller tous les mouvements d’opposition) ;
- Contre-espionnage (compétent à l’intérieur et à l’étranger) ;
- Renseignement extérieur (regroupe les missions de recherche et d’analyse des renseignements). Ce directorat est divisé en départements géographiques et thématiques. Le département n°155 a en charge le soutien de mouvements islamiques. Le département n°157, qui est implanté au sein du ministère des Affaires étrangères, a pour mission de gérer les postes dissimulés dans les représentations diplomatiques.
Les capacités de renseignement électromagnétiques du VEVAK sont balbutiantes. Les Russes lui auraient fourni des matériels d’écoutes et instruit des techniciens. Plusieurs centres d’interception auraient été ouverts, dont un à Hufayf al-Jazirah au nord-est de la Syrie et un sur les hauteurs du Golan.
Une attention particulière est portée à internet parle VEVAK pour deux raisons :
– afin de surveiller les blogueurs iraniens ;
– dans le but de se livrer à de la propagande grâce à des sites spécifiques comme www.irandidban.com ou www.habilian.ir. En dehors de ces sites bien identifiés, le VEVAK a habilement monté des structures soi-disant d’opposition qui ont créé des adresses électroniques qui permettent de se livrer à la désinformation. Afin de coordonner ces action, un « Cybercommand » a été créé à l’été 2011 au sein du Cinquième directorat (technologie).
Implantation à l’étranger
Les officiers de renseignement « officiels » servent à l’étranger sous couverture diplomatique. Le VEVAK agit en étroite coopération avec le ministère des Affaires étrangères. Certains ambassadeurs iraniens font d’ailleurs partie du VEVAK.
Pour leur part, les officiers « clandestins » sont souvent des personnels d’Iran Air, de l’agence de presse IRNA, de la radiotélévision IRIB, d’associations culturelles ou caritatives (la Fondation des martyrs, la Fondation des opprimés et des dépossédés, l’Organisation pour la culture et les relations islamiques, etc.), des étudiants, des hommes d’affaires, des commerçants, des employés de banques, des médecins, des infirmières, etc. Même le Croissant Rouge iranien sert à l’occasion de couverture. Les banques iraniennes – dont la plus importante est la banque Melli – servent à fournir les fonds nécessaires à la vie des réseaux constitués par les officiers traitants du VEVAK.
Etant donné le grand nombre d’officiers traitants résidant à l’étranger, il est évident que toutes les grandes capitales accueillent plusieurs d’entre eux.
Un des plus importants postes du VEVAK à l’étranger se trouve situé à Amman, en Jordanie. En dehors du fait que la capitale jordanienne est géographiquement intéressante car elle permet de couvrir le Proche-Orient, des liens étroits unissent le VEVAK avec les services de renseignements militaires jordaniens (Dairat al-Mukhabarat al-Ammah).
Beyrouth occupe également une place particulière car le Hezbollah libanais est en fait un « bras armé » des services iraniens. En effet, la diaspora libanaise est omniprésente sur l’ensemble du globe. Elle constitue un « vivier » dans lequel le Hezbollah vient recruter ses agents pour le compte de Téhéran. Globalement, les citoyens libanais attirent moins l’attention des services de sécurité que leurs homologues iraniens.
Etant donné l’intérêt stratégique de la zone, des postes sont également présents au sein des représentations diplomatiques iraniennes présentes en Arabie saoudite et dans les Emirats arabes unis (EAU), particulièrement à Dubaï et au Barhein, où la majorité chiite intéresse au plus haut point Téhéran. Cette zone sert également à faire transiter discrètement des fonds en provenance d’Iran vers le Hezbollah libanais. Fin 2012, les EAU ont d’ailleurs prié Téhéran de cesser ses ingérences dans la région. Au Yémen, c’est du pareil au même, le VEVAK étant soupçonné de soutenir la rébellion des tribus al-Houthi du nord du pays. Bien sûr, ces accusations rencontrent des démentis outragés de la part de Téhéran. Laisser agir et tout nier, c’est là la marque d’une réelle volonté politique d’employer ses services à bon escient. Les dirigeants iraniens ne manquent pas de courage !
En Europe, des postes importants sont localisés à Paris, Bruxelles, Berlin, Londres, Vienne, Milan, Genève, Stockholm, Nicosie, Ankara et Istanbul. Une importante structure aurait été montée récemment à Sofia, en Bulgarie. De nouvelles associations s’occupant de réfugiés iraniens voient actuellement le jour. De forts soupçons laissent penser que ces organismes sont en fait de nouvelles implantations des services secrets iraniens.
Par ailleurs, Téhéran s’appuie sur le réseau d’amitiés qu’il a développé avec certains dirigeants latino-américains qui souhaitent « promouvoir la pensée révolutionnaire dans le monde », au premier rang desquels le président vénézuélien Hugo Chavez. L’Iran profite également de sa zone d’implantation traditionnelle dans la région « des trois frontières » située entre le Brésil, le Paraguay et l’Argentine où la population d’origine libanaise est en nombre. En outre, la Bolivie – désormais dirigée par le président Evo Morales, l’Equateur – présidé par Rafael Corea – et le Nicaragua – où l’ancien chef sandiniste Daniel Ortega est revenu au pouvoir – sont des pays qui montrent une grande bienveillance à l’égard de l’Iran. Il faut dire que ces nouveaux dirigeants sont animés d’un sentiment anti-américain très marqué. Pour la même raison, Cuba constitue un point d’appui naturel pour Téhéran.
L’Iran n’a pas de représentation diplomatique aux Etats-Unis suite à la prise d’otages de personnels américains qui a eu lieu à Téhéran après la révolution (1979). Jusqu’à fin 2012, l’Iran avait une ambassade à Ottawa au Canada. Celle-ci a été fermée en raison du soutien apporté par Téhéran au régime du président Bachar el-Assad, attitude jugée inadmissible par le gouvernement canadien. En Amérique du Nord, il ne reste donc à l’Iran comme point d’appui que sa mission permanente auprès des Nations Unies à New York. Inutile de préciser qu’elle fait l’objet de l’attention étroite du FBI !
En matière de collaboration, les services de renseignement syriens, soudanais, russes et tadjiks constituent des interlocuteurs privilégiés pour le VEVAK. Par contre, la coopération a cessé avec la Libye depuis l’effondrement du régime du colonel Kadhafi.
De la pénétration des mouvements hostiles…
Des agents manipulés par la VEVAK sont parvenus à infiltrer les divers mouvements d’opposition iraniens installés à l’étranger, en particulier l’OMPI. Il est intéressant de remarquer que ce mouvement qui obtenait d’excellentes informations par le passé, en particulier sur l’effort nucléaire iranien, semble avoir perdu une grande partie de ses capacités de recueil d’informations sensibles.
Il est vrai que l’accroissement des opérations de contre-espionnage et de contre-ingérence du VEVAK semble avoir obtenu des résultats tangibles ces derniers temps. Il faut dire que face à la menace, les Iraniens ont créé une structure dédiée à ce type d’opération appelée Oghab 2 (Aigle 2) qui regroupe des membres du VEVAK mais aussi d’autres administrations. 10 000 fonctionnaires commandés par les généraux Akbar Dianatfar et Ali Naghjdi seraient ainsi mobilisés à cette tâche. Les résultats commencent à se faire sentir.
En 2012, un réseau d’une trentaine de membres travaillant aux Emirats arabes unis, en Turquie et en Malaisie, vraisemblablement au profit de la CIA, aurait été mis à jour par le VEVAK. Sa mission consistait à préparer des sabotages contre l’industrie nucléaire. Un an plus tôt, ce sont 30 agents recrutés par Washington qui auraient été découverts en Iran même. Les Américains les avaient approché en utilisant un site web d’offre d’emplois créé pour l’occasion. Toujours dans le domaine du contre-espionnage, depuis décembre 2011, Amir Hekmati, un citoyen irano-américain, ancien interprète de l’US Marine Corps, attend son exécution pour « collaboration avec un gouvernement hostile ». Il ne faut pas s’y tromper, il y a de la désinformation dans certaines de ces affaires.
Par contre, il est vérifié qu’Abdolmalek Rigi, le chef du Jundullah, un groupe d’opposition violent actif dans le sud-est de l’Iran, a été appréhendé d’une manière rocambolesque, le 23 février 2010. En effet, le vol QH454 qui l’emmenait de Dubaï au Kirghizstan a été intercepté par la chasse iranienne au dessus du Golfe persique, puis obligé d’atterrir en Iran où Rigi a été arrêté. L’information de sa présence à bord de l’appareil civil aurait été fournie à Téhéran par le Pakistan ! Rigi a fini sa « carrière » au bout d’une corde, en juin 2010, dans la prison d’Evin, à Téhéran. Un mois auparavant, c’est son frère qui était également emprisonné et qui a connu le même sort, à Zahedan. Les deux hommes ont « avoué » travailler pour le compte de la CIA !
Les mouvements kurdes figurent également sur la liste des préoccupations du VEVAK. Si les Kurdes iraniens sont très surveillés, les membres du PKK (Turquie) tiennent une place à part et bénéficie de la bienveillance de l’Iran. Cette politique ambiguë de soutien discret permet à Téhéran de faire pression sur Ankara afin de limiter la coopération de la Turquie avec les Etats-Unis. L’Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani est également infiltrée par le VEVAK depuis de très longues années. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater avec quelle rapidité Talabani – le président irakien en exercice – est intervenu pour que les Américains libèrent des membres des services spéciaux iraniens faits prisonniers en Irak, fin 2006 et début 2007.
Aujourd’hui, le VEVAK joue un rôle de tout premier plan dans la guerre secrète qui oppose Téhéran aux Etats-Unis et à Israël, d’une part, et à l’Arabie saoudite et aux émirats du Golfe persique d’autre part. L’objectif des premiers adversaires est de contrer l’influence de l’Iran au Proche et Moyen-Orient et d’empêcher le régime d’obtenir l’arme nucléaire. Pour les seconds, il consiste à empêcher la création d’un « croissant chiite » qui irait du Liban à l’Iran, en passant par la Syrie, l’Iran, l’Irak avec des excroissances au Bahrein et au nord du Yémen.
Depuis une vingtaine d’années, un autre objectif prioritaire est constitué par les mouvements sunnites extrémistes (salafistes/wahhabites), particulièrement au Pakistan, aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite. A l’occasion, les services iraniens se sont frottés à l’Inter Services Intelligence (ISI) pakistanais et aux services saoudiens (Istikhbarat al’Am). Les zones d’action prioritaires étaient Lahore, Karachi, Quetta et l’Afghanistan, où sept diplomates en poste au consulat de Mazar I-Sharif et un « journaliste » iraniens ont été assassinés 1998.
Toutefois, depuis sa création, Al-Qaida est l’objet de toutes les attentions du VEVAK. Des rumeurs laissent penser que les services iraniens ont assassiné Abdullah Azzam, un Palestinien chef du Bureau d’aide aux moudjahidines (MAK), en novembre 1989. Ce dernier semblait faire un peu trop d’ombre à Oussama Ben Laden qui fut pourtant son élève. En octobre et novembre 2001, les services iraniens ont facilité l’exfiltration de membres d’Al-Qaida depuis l’Afghanistan, suite à l’intervention américaine. De nombreux indices permettent de penser que Téhéran utilise une branche d’Al-Qaida pour mener à bien sa politique extérieure. Agir sous un faux étendard est une manière classique d’opérer au sein des services secrets. Certains observateurs réfutent cette thèse en déclarant que les chiites et les sunnites ne peuvent s’entendre. C’est oublier un peu vite que l’imam Khomeiny a toujours déclaré que les différences entre chiites et sunnites « sont plus historiques que théologiques ».
En effet, à l’image des Frères musulmans, du Jamaat-i-Islami égyptien, du Hamas, du Djihad islamique et du Front populaire de libération de la Palestine–Commandement général (FPLP-CG), divers mouvements sunnites ce sont joints à la lutte engagée par l’Iran contre l’« impérialisme judéo-chrétien ». En janvier 2007, le ministre des Affaires étrangères palestinien, Mahmoud al-Zahar, reconnaissait que Téhéran avait déjà fourni plus de 120 millions de dollars d’aide au gouvernement dirigé par le Hamas ! Il a même ajouté que cette aide devrait se poursuivre dans l’avenir. C’était sans compter avec le soutien affiché du Hamas aux insurgés syriens. Téhéran, le grand allié de Bachar el-Assad ne pouvait tolérer cet affront. Le Hamas a été contraint de quitter la Syrie en 2012 pour rejoindre le Qatar et la bande de Gaza. Les crédits lui ont été coupés, mais les monarchies du Golfe persique se sont aussitôt substituées à l’Iran pour soutenir ce mouvement contre Israel. Toutefois, faisant preuve de beaucoup de pragmatisme comme à son habitude, l’Iran a continué à envoyer des armements en direction de la bande de Gaza, souvent via le Soudan puis le Sinaï. La lutte « héroïque » du Hamas contre l’« ennemi sioniste » mérite bien d’avaler quelques couleuvres !
L’Irak constitue un terrain d’opérations privilégié pour le VEVAK. Les réseaux de renseignement iraniens en Irak datent du temps du Shah. Certains officiers traitants de la SAVAK ont même été rappelés à leur poste par le régime des mollahs, après leur prise du pouvoir en 1979, car les nouveaux gouvernants avaient confiance dans leur expertise. Le parti baassiste de Saddam Hussein (aujourd’hui disparu à la plus grande satisfaction de Téhéran) était également infiltré par des agents iraniens, exploit que même les services américains et israéliens ne sont jamais parvenus à réaliser. Depuis l’invasion américaine de 2003, le VEVAK, en coopération étroite avec les pasdaran, a installé des centres de renseignement dans les localités de Bagdad, Nadjaf, Kerbala, Kut, Bassorah et Kirkouk.
A l’est, l’Afghanistan fait aussi l’objet de toutes les attentions des services iraniens. Les tribus du pays n’ont aucun secret pour les Iraniens qui les ont infiltré depuis des années. Le VEVAK aurait même réussi à recruter une taupe au sein de l’armée britannique. Malgré son grade modeste, un caporal d’origine iranienne – parlant couramment le pachtoune – qui servait d’interprète au commandant des troupes de l’OTAN, avait accès à de nombreuses informations sensibles. Dans ce pays, Téhéran s’appuie sur des ennemis d’hier, en particulier le Hezb-I-Islami de Gulbuddin Hekmatyar, mouvement que Téhéran a jadis combattu – comme les taliban –, car jugeant alors qu’il constituait une menace, mais qui est désormais devenu allié.
… A l’élimination physique des opposants
Si la première mission du VEVAK est la surveillance et la pénétration des adversaires interieurs et exterieurs du régime, le ministère n’hésite pas à aller jusqu’à l’élimination physique de membres de l’opposition réfugiés à l’étranger. C’est ainsi que plus de 100 meurtres ont été planifiés et exécutés depuis 1979. Le mouvement le plus visé est l’OMPI. Le Parti démocratique kurde iranien (PDKI) est également sur la liste des objectifs. Ainsi son chef, Sadegh Sharah-Kindi et trois de ses fidèles ont été abattus dans un restaurant en Allemagne, le 17 septembre 1992. Le chef du VEVAK de l’époque, Ali Fallahian, a été inculpé en mars 1996 par un tribunal allemand pour avoir commandité ces assassinats. D’autres personnalités ont aussi été assassinées :
– Kazem Radjavi, en Suisse, en avril 1990 ;
Cyrus Elahi, à Paris, en octobre 1990 ;
– Abdelrahman Boroumad à Paris, en avril 1991 ;
– Chapour Bakthiar, à Suresnes, en août 1991 ;
– Mohammed Hossein Naghdi, à Rome, en mars 1993 ;
– Abdol Ali Moradi et Zera Rajabi à Istanbul, en février 1996 ;
– Reza Mazlouman, à Créteil en mai 1996 ;
– Etc.
Ces opérations homo se sont intensifiées en Irak depuis l’invasion américaine de 2003, faisant souvent passer la mort d’un opposant pour un crime crapuleux ou en attribuant la responsabilité aux milices sunnites. A titre d’exemple, le 13 octobre 2006, Abdul-Rahim Nasrallah, le leader du Parti national pour la justice et le progrès (NJPP) – un mouvement politique irakien fortement opposé à Téhéran – a été assassiné avec 10 de ses fidèles à Bagdad par des hommes portant des uniformes de la police. Enfin, le mystère reste entier concernant la mort supposée du prince Bandar bin Sultan bin Abdelaziz Al Saud, nommé chef des services spéciaux saoudiens le 19 juillet 2012 et qui aurait été tué lors d’une attaque à la bombe de son QG, le 22 du même mois.
La répartition des tâches en matière d’opérations clandestines
Il est convient cependant de souligner que le VEVAK n’est pas doté d’un « service action » à proprement parler. Ce type de mission est confié aux pasdaran, en particulier à la force Al-Qods du général Qassem Soleimani. Ce sont par exemple les pasdaran qui ont eu la charge de former des « résistants » irakiens à l’emploi de mines improvisées télécommandées qui ont causé tant de victimes parmi les forces de la coalition.
Les services iraniens ont également directement apporté leur aide à l’armée bosniaque depuis 1993. Les estimations les plus répandues évoquent la présence de 2 500 « conseillers » en 1995.
En règle générale, le VEVAK apporte les renseignements, le soutien logistique et les transmissions nécessaires, et les pasdaran s’occupent des opérations. Les moyens d’action des services iraniens sont souvent violents. Ils n’hésitent pas à employer l’arme terroriste. Les attentats les plus célèbres sont ceux survenus au Liban contre des contingents militaires français et américains en 1983, qui ont causé la mort de 299 personnes ; une série d’attentats à la bombe à Paris en 1989 (12 morts) ; les attaques contre l’ambassade d’Israël et la communauté juive à Buenos Aires en 1992 et 1994 (125 tués) ; et vraisemblablement l’attentat de Dahran, dirigé contre les Américains en Arabie saoudite le 26 juin 1996. 19 Américains avaient été tués et 372 personnes blessées. Le Hezbollah saoudien est suspecté avoir commis ce dernier attentat en liaison avec Al-Qaida.
Aujourd’hui, les services iraniens sont particulièrement actifs à travers l’important soutien apporté à Damas. Nombre de leurs officiers l’ont payé cher. Toutefois, 48 d’entre eux, qui avaient été enlevés en août 2012 par l’opposition armée, ont pu être échangés contre 2 130 prisonniers, le 9 janvier 2013, à Damas, sous l’égide du Qatar et de la Turquie. Nul ne sait quelles sont les activités exactes des services iraniens en Syrie mais elles doivent couvrir des missions de conseil et opérationnelles.
Les autres services de renseignement iraniens
L’autre acteur majeur du renseignement iranien est le Corps des gardiens de la Révolution islamique (pasdaran). En ce qui concerne l’étranger, il dispose de l’Organisation du renseignement (« Ettella at e Sepâh »), laquelle se compose de deux comités : celui du renseignement et celui de l’exécution des opérations. Cette organisation a été crée par Mohsen Rezaï, un des candidats malheureux à l’élection présidentielle de 2009. Depuis 2009, elle rend compte directement au Guide suprême de la révolution.
Etroitement liés au VEVAK, ses membres utilisent les mêmes couvertures que le ministère. Toutefois, ils gardent cependant leur autonomie, afin de pouvoir surveiller leurs homologues des autres services de renseignement si nécessaire. On peut parfois trouver certains d’entres eux au poste d’attaché de défense. Ils servent alors es qualité.
A l’intérieur, les pasdaran dispose de bureaux de renseignement implantés dans tout le pays et plus particulièrement au sein des unités militaires. Une partie de leur mission peut alors être apparentée à celle d’une sorte de « sécurité militaire ». En effet, les mollahs ont toujours gardé une grande défiance vis-à-vis des cadres de l’armée, même si aujourd’hui, plus aucun officier n’a servi du temps du Shah.
Mais comme cela a été évoqué précédemment, les pasdaran sont surtout tournés vers l’action, la force Al-Qods fournissant les exécutants des opérations violentes, aussi bien en Iran qu’à l’étranger.
Il existe également en Iran une multitude d’autres structures traitant du renseignement comme le Bureau 101, rattaché directement au Guide suprême de la Révolution, le Bureau de sauvegarde du renseignement de l’armée, l’Unité de renseignement et d’enquête du bureau du Premier ministre, le Direction de la sécurité des milices Bassidjis, l’Unité du renseignement des komitehs de la Révolution islamique, le Bureau du renseignement du Procureur de la Révolution, etc.
Toutefois, des rumeurs laissent entendre que le renseignement iranien aurait été placé à l’automne 2009 sous l’autorité d’un seul homme : Hossein Ta’eb, l’ancien chef des milices bassidjis. Officiellement, il est le chef des organes de renseignement des pasdaran, mais dans les faits, il contrôlerait l’ensemble de la communauté du renseignement iranienne qui serait ainsi placée entièrement sous l’autorité du Guide suprême de la Révolution.
ANNEXE
Les chefs successifs du VEVAK depuis sa création
(Source : Iran Ministry of Intelligence and Security ; a Profile, Federal Research Division Library of Congress, décembre 2012).
[1] Il est également fréquemment désigné par son acronyme anglais MOIS (Ministry of Intelligence and Security).
[2] Un service de renseignement intérimaire portant le nom de SAVAMA a existé entre 1981 et 1984.
[3] Mojahadeen-e-Khalq (MEK) en farsi.