Yémen : Anwar Al-Awlaki, Le « Ben Laden de l’internet », cible de la CIA
Alain RODIER
La CIA aurait lancé un contrat sur la tête d’Anwar al-Awlaki, surnommé le « Ben Laden de l’Internet » après avoir reçu l’aval des plus hautes autorités de Washington. Il s’agit là d’une première car il semble qu’aucun citoyen américain n’ait fait l’objet d’une telle mesure, même du temps de la Guerre froide. Il a été désigné officiellement comme un « élément terroriste » par l’ordre 13224.
Anwar al-Awlaki est né le 22 avril 1971 à Las Cruces au Nouveau Mexique d’un couple Yéménite aisé. Il bénéficie de la double nationalité américaine et yéménite. De 1978 à 1991, il vit au Yémen avec sa famille. Son père est successivement ministre de l’agriculture puis président de l’Université Ali Mohamed Mujur. Anwar al-Awlaki retourne aux Etats-Unis en 1991 où il étudie le génie civil à l’Université de l’Etat du Colorado. Il est alors président d’une association d’étudiants musulmans mais il ne se fait pas remarquer par un zèle religieux très poussé. Il obtient aussi un diplôme de management à l’Université de San Diego. Parallèlement, il entame un Doctorat portant sur le développement des ressources humaines à l’Université Georges Washington. En 1993, juste après le premier attentat contre le World Trade Center (le 26 février) qui est attribué à Al-Qaida[1], il effectue un séjour en Afghanistan. A son retour, il affiche ouvertement son admiration pour l’idéologue palestinien Abdullah Azzam qui a été assassiné en 1989 mais qui fut le mentor d’Oussama Ben Laden. Il semble qu’il n’ait pas eu l’occasion de rencontrer Ben Laden au cours de ce séjour puisque ce dernier résidait alors au Pakistan et était en partance pour le Soudan. En 1994, il est désigné comme imam de la Société Islamique de Denver. Il prêche alors un islam modéré toutefois inspiré par la confrérie des Frères musulmans égyptiens. En 1996, il devient imam de la mosquée Ar-Ribat al-Islami de San Diego en Californie. En 1998/1999, il occupe le poste de vice-président de la Société charitable pour le bien-être social qui a été fondée par Abdulmajid al Zindani, un imam yéménite qui est jugé proche de Ben Laden. Le FBI estime que cette organisation a servi à collecter des fonds pour Al-Qaida. Il quitte son poste d’imam en 2000. Bien qu’il soit marié à une cousine yéménite depuis 1994, ses fonctions religieuses ne l’empêchent pas de fréquenter régulièrement des prostituées. Il effectue alors plusieurs voyages à l’étranger dont les destinations sont inconnues des autorités avant de rentrer aux Etats-Unis en janvier 2001. Il devient alors imam de la mosquée de Falls Church à Washington DC. Il est en même temps aumônier musulman au sein de l’Université George Washington où il poursuit son Doctorat entamé en 1992. En mars 2002, il quitte les Etats-Unis pour retourner au Yémen. Toutefois, il effectue un dernier séjour aux Etats-Unis en octobre 2002 au cours duquel il rencontre le religieux radical Ali al-Timimi. Ce dernier est condamné le 14 juillet 2005 à l’emprisonnement à vie pour sa participation au « réseau terroriste islamique de Virginie » qui regroupait des activistes qui s’entraînaient en vue de mener la guerre sainte. Il semble qu’Awlaki était venu lui demander de recruter des volontaires pour combattre aux côtés des taliban. Fin 2002, il rejoint Londres où il prêche à la mosquée at-Tawhid dans le quartier de Leytonstone. Il intervient publiquement au moins une fois auprès de la Fédération des sociétés d’étudiants islamiques de Grande Bretagne. Au début 2004, il rejoint le Yémen et s’installe à Saeed, le village de sa famille dans la province de Shabwa avec son épouse et ses cinq enfants. Il est alors employé comme maître assistant à l’Université Imam de Sanaa dirigée par al Zindani. En 2006, Awlaki est incarcéré 18 mois, accusé d’avoir participé à l’enlèvement d’un adolescent chiite pour obtenir une rançon ainsi que pour une tentative d’attentat dirigée contre l’Attaché de défense américain.
Liens avec Al-Qaida
A la fin des années 1990, alors qu’il résidait à San Diego, il aurait entretenu des relations suivies avec Nawaf Al-Hazmi et Khalid Almihdhar qui seront deux des kamikazes embarqués à bord du vol 77 d’American Airlines qui s’écrasera sur le Pentagone le 11 septembre 2001. A partir de janvier 2001, les prêches qu’il donne à la mosquée de Falls Church sont écoutés par Nawaf Al-Hazmi qu’il connaît déjà, mais également par Hani Hanjour, un autre activiste qui se trouvera aussi à bord du vol 77. Lors de l’enquête qui a suivi les attentats du 11/09/2001, il est interrogé à quatre reprises par le FBI car son nom a été trouvé sur l’agenda de Ramzi Binalshibh, le « vingtième kamikaze » qui n’a pu obtenir un visa pour les Etats-Unis mais qui a joué un rôle logistique important dans la préparation de ces attentats. Incarcéré à Guantanamo, ce dernier a certainement livré les détails sur la responsabilité endossée par Awlaki dans cette affaire. Selon certains observateurs, il était « au moins au courant ».
A la même époque, un autre fidèle est également souvent présent dans la mosquée de Falls Church. Il s’agit de Nidal Malik Hassan, le psychiatre militaire qui sera l’auteur de la tuerie de Fort Hood le 12 novembre 2009 qui fera 13 victimes. L’enquête prouvera qu’Awlaki a échangé au moins 18 emails avec le major Nidal Malik Hassan de décembre 2008 à juin 2009 soit quelques mois avant que ce dernier ne passe à l’action.
Il a aussi eu des contacts avec Umar Farouk Abdulmutallab, l’activiste qui a tenté de faire exploser le vol Northwest Airlines 253 le 25 décembre 2009. En effet, Abdulmutallab aurait été un des ses élèves alors qu’il séjournait au Yémen en 2005 pour y suivre une formation linguistique et religieuse. Awlaki l’aurait également contacté par Internet à Londres à plusieurs reprises. Enfin, Umar Farouk Abdulmutallab lui aurait rendu une dernière visite au Yémen à la fin 2009.
Depuis des années, Awlaki publie de nombreux textes enflammés sur le site Islam Today dont un célèbre « pourquoi les musulmans aiment la mort ». Bien qu’interdit de séjour en Grande Bretagne depuis 2006, il donne de nombreuses interviews dans lesquels il ne cesse de prôner le Jihad par Internet, et ce, jusqu’en 2008. En décembre de cette même année, il félicite les milices islamiques somaliennes Shabab pour leurs actions en leur écrivant : « à nous musulmans, vous nous donnez l’exemple à suivre pour changer notre situation ». En mars 2010, une vidéo le montrant appelant les musulmans résidant aux Etats-Unis à attaquer les civils et militaires est diffusée.
Au Yémen, il aurait poussé son clan des Awlaki à accueillir et à soutenir les combattants étrangers d’Al-Qaida. Depuis mars 2009, il vit dans la clandestinité, vraisemblablement dans les provinces de Shabwa et de Mareb où de nombreux activistes d’Al-Qaida seraient implantés. Il aurait même été nommé « commandant régional » par Oussama Ben Laden. Toutefois, il reste placé sous l’autorité de l’émir d’Al-Qaida dans le Péninsule Arabique (AQPA) : Nasir al Wuhayshi. Plus qu’un chef opérationnel, Al-Awlaki est un idéologue islamique et surtout, un recruteur et un mentor spirituel. Il est probable qu’il ne connaît généralement pas directement les activistes qui se revendiquent de lui. Bien qu’au cours de sa « carrière », il ait rencontré personnellement un certain nombre de futurs terroristes, son action se fait essentiellement via le net. Les apprentis activistes trouvent dans ses discours la motivation qui les pousse à passer à l’acte.
Les services de renseignements américains doivent détenir de solides preuves à son encontre en particulier concernant son rôle éventuel joué lors des attentats du 11/09/2001 et sur son potentiel de nuisance futur pour avoir convaincu l’administration du président Obama d’autoriser une opération « Homo » contre sa personne. Il reste maintenant à le localiser avant les autorités yéménites qui, elles, souhaitent l’appréhender et le juger sur place. Il faut dire que sa famille est proche de pouvoir en place à Sanaa ! Ce n’est pas la première fois que la CIA se livre à ce type d’activité au Yémen. En effet, le 2 novembre 2002, un drone Predator pulvérisait un véhicule 4X4 à bord duquel se trouvaient six activistes d’Al-Qaida dont Ali Qaed Senyan al-Hathi, un des responsables de l’attentat dirigé contre le destroyer USS Cole survenu dans le port d’Aden le 12 octobre 2000.
- [1] Il est peu probable que cette action terroriste soit le fait d’Al-Qaida dont la structure opérationnelle était en train de naître à l’époque. Khaled Cheikh Mohamed, qui est impliqué dans cette affaire, n’avait alors même pas rencontré Oussama Ben Laden. Ce qui est certain, c’est que par la suite, il deviendra le responsable des opérations extérieures de l’organisation.