Vers un nouveau choc petrolier majeur ?
Alain RODIER
La crise iranienne, la situation sécuritaire désastreuse au Nigeria, la politique anti-américaine du président vénézuélien Hugo Chavez et les besoins exponentiels en énergie de la Chine, vont provoquer à court ou moyen terme un choc pétrolier et financier majeur. Le prix du baril qui atteint 68 dollars à la mi-janvier, pourrait dépasser les100 dollars courant 2006 !
La crise iranienne
Téhéran ne fait plus mystère d'utiliser l'arme du pétrole si des sanctions étaient décidées par les Nations Unies à son encontre suite à la poursuite de son programme nucléaire, dont personne ne doute plus qu'il soit destiné à doter le pays de l'arme atomique. L'Iran, malgré toutes les difficultés que cela provoquerait1 pour ses rentrées en devises, affirme qu'il pourrait reconsidérer ses exportations en pétrole. L'Europe est particulièrement visée car elle est le principal importateur de pétrole iranien et a eu une politique d'investissement importante dans le pays. Les Etats-Unis qui ont renouvelé les sanctions contre Téhéran en mars 2004 (imposées en 1995 par le président Clinton) n'ont en fait que peu de liens économiques avec Téhéran. En outre, le ministre de l'Economie, Davoud Danesh-Jafari, menace également le « vieux continent » de retirer ses devises des banques européennes. Certains experts estiment que cela concernerait quelques 50 milliards de dollars. Déjà, le Conseil suprême de la Sécurité nationale a ordonné le retrait de 8 milliards de dollars. Cet argent a été transféré sur les places financières de Singapour, Shanghai, de Hongkong et de Malaisie.
Par tous les moyens, Téhéran tente de diviser les Occidentaux. Ainsi, le président Mahmoud Ahmadinejad a rencontré des responsables du Hamas, du Jihad islamique, du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) et d'autres responsables de mouvements palestiniens à Damas, le vendredi 20 janvier, en les assurant de son « soutien » pour la « lutte du peuple palestinien ». Ahmadinejab a profité de ce voyage officiel de deux jours en Syrie pour resserrer les liens avec Damas contre « l'arrogance et la domination » occidentale. A noter qu'il a accordé une interview à la chaîne de télévision Al Manar, gérée par le Hezbollah libanais. Le régime fait mine d' « examiner » la proposition de Moscou de retraiter son combustible nucléaire en Russie.
En fait, le nouveau pouvoir ne craint absolument pas son isolement sur le plan international, sachant qu'il trouvera dans la Chine un client discret mais efficace. Il n'est même pas impossible que le président Ahmadinejab n'autorise la reprise des attentats à l'étranger.
L'insécurité au Nigeria
L'insécurité latente au Nigeria – 8 e exportateur mondial de pétrole – s'est encore accrue fin 2005/début 2006, particulièrement dans le delta du Niger. Les attaques contre les infrastructures pétrolières (plusieurs centaines de sabotages de pipelines), l'enlèvement de techniciens étrangers, les luttes entre différentes factions ethniques ou religieuses affectent gravement les exportations du pays. Après Chevron-Texaco à la mi-2005, c'est au tour de Shell de suspendre une partie importante de ses activités dans le pays au début 2006. La compagnie britannique a évacué environ 330 de ses ouvriers de la station de Benisede, près de Port Harcourt, après une attaque qui a fait au moins six morts dont deux membres de la société pétrolière le 11 janvier.
Bien que le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND)2 ait affirmé, le 19 janvier, qu'il était prêt à arrêter ses attaques, il exige la libération de son leader Moudjahid Dokuba Asari et celle de l'ancien gouverneur de l'Etat de Bayelsa, Diepreye Alamieyeseigha3, en échange des otages et de fortes rançons. Il menace cependant de reprendre ses opérations à partir de février, en s'attaquant désormais aux agglomérations, particulièrement à Port Harcourt et à Warri. Toutes les sociétés pétrolières dans la région seraient alors visées.
Il y a peu de chances que la situation ne s'améliore avant les élections présidentielles prévues pour 2007, la violence s'étant même étendue aux partis politiques. Ainsi, l'épouse d'un leader de l'opposition, Mohamed Abubakar Rimi, a été assassinée le 14 janvier, dans sa résidence de Kano. Ce meurtre est indubitablement d'origine politique. La corruption du monde politique est d'ailleurs particulièrement connue. Des compagnies pétrolières indélicates ont profité de cet état de fait par le passé. Ainsi, en 2005, les autorités ont lancé une enquête concernant 193 pistes d'atterrissage et d'héliports illégaux qui permettaient les trafics les plus divers. De plus, les grèves nombreuse parmi les travailleurs pétroliers membres des syndicats Nupeng4 et Pengassan5, devraient encore augmenter. Le 20 janvier, ces deux organisations ont menacé d'évacuer les installations du delta du Niger si les autorités ne rétablissaient pas la sécurité dans la région.
La politique du président Hugo Chavez
Le président Hugo Chavez est profondément anti-américain. Or, le Vénézuela est le premier producteur de pétrole d'Amérique latine et le 5 e mondial. Son objectif consiste à augmenter les prix pour le monde occidental en général, et à diversifier ses clients. C'est dans ce cadre que le président Chavez a lancé l'« Alternative bolivarienne pour les Amériques », en opposition à l'Accord de libre échange pour les Amériques, prôné par Washington. Grâce à cette initiative originale, Cuba et d'autres pays de la régions peuvent acheter du pétrole au Venezuela à des conditions très avantageuses. Cependant, les Etats-Unis restent pour l'instant le débouché le plus important pour les exportations vénézuéliennes de pétrole. D'une manière générale, un front anti-américain est en train de se constituer en Amérique Latine autour de Hugo Chavez, suivi progressivement par Evo Morales, le nouveau président bolivien, et le président brésilien Luis Inacio Lula da Silva. Cette nouvelle tendance est soutenue ouvertement par Fidel Castro, le vieux leader marxiste de Cuba.
Les besoins exponentiels de la Chine
L'importante croissance économique de la Chine – plus de 9% en 2004 et en 2005 – génère pour des besoins en énergie accrus pour Pékin, dont la croissance devient largement tributaire du pétrole. La Chine est ainsi devenue le deuxième consommateur mondial. D'autan que l'énergie actuellement fournie par le charbon, extrait à grands risques sur place, va diminuer dans l'avenir et devra être remplacée par d'autres ressources énergétiques. Face à des besoins en forte croissance, Pékin n'a pas d'état d'âme et se dit prêt à acheter la production destinée aux pays occidentaux. La visite du roi Abdallah d'Arabie saoudite en Chine, à la mi-janvier 2006, en a été l'illustration parfaite. Même si des problèmes d'acheminement vont se poser , la Chine peut constituer le débouché au pétrole et au gaz iranien qui n'irait plus vers l'Europe.
Si l'on ajoute à ces quatre facteurs de première importance, les problèmes rencontrés actuellement en Russie et dans les ex-pays de l'Est, en raison de l'hiver extrêmement rigoureux qui a tendance à faire affecter en priorité les ressources énergétiques à la consommation intérieure au détriment des exportations, un choc pétrolier et économique de première importance semble inévitable dans les tout prochain mois. L'Europe occidentale en sera la première victime étant donnée la dépendance de ses importations.
- 1Le chômage est actuellement de 14% et touche plus particulièrement les jeunes. Curieusement, l'Iran importe également de l'essence, n'ayant pas les capacité de raffinage nécessaire à sa propre consommation.
- 2Ethnie Ijaw. Cette population s'oppose souvent à l'ethnie Ugborobo, qui elle-même, s'en prend aux sociétés pétrolières car elle considère ne pas avoir accès aux emplois proposés.
- 3Détenu en attente d'une extradition à destination de la Grande-Bretagne, sous l'inculpation de trafic d'argent.
- 4Syndicat national des travailleurs du pétrole et du gaz.
- 5Association des cadres du pétrole et du gaz naturel du Nigeria.