Venezuela: Chavez réorganise ses services de renseignement
Alain RODIER
Par crainte d'une action hostile de Washington mais aussi – et peut-être surtout – pour lutter contre le crime organisé, le président Hugo Chavez a décidé de réorganiser les services de renseignement vénézuéliens.
Dans le cadre de la doctrine de « Défense intégrale de la nation », il a fusionné les deux principaux services[1] en un seul organisme : le Bureau de renseignement et de contre-espionnage (cette appellation devrait être sujette à changement) placé désormais directement sous ses ordres. Ce service comprendrait quatre directions distinctes :
- la Direction générale du renseignement ;
- la Direction générale du contre-espionnage ;
- la Direction générale du renseignement militaire ;
- le Direction générale du contre-espionnage militaire.
Elément inquiétant pour la démocratie, tous les citoyens, les membres des organismes d'Etat et même les étrangers présents au Venezuela sont désormais obligés, par les articles 16 et 24 de la loi du 28 mai 2008, à coopérer avec les services de renseignements et avec les milices favorables au président Chavez. Un refus de leur part peut entraîner une peine de prison allant de deux à quatre ans, pour les citoyens, et de quatre à six ans pour tous les fonctionnaires. En particulier, les juges et tous les membres de l'appareil judiciaire sont appelés à coopérer étroitement avec les services de renseignement. Cela signifie de facto la fin de la séparation des pouvoirs politique et judiciaire. Cependant, selon les déclarations du président Chavez faites le 8 juin 2008, cette obligation à la délation qui rappelle les pires heures du stalinisme, devrait être revue.
Ces décisions ont pour but de renforcer encore un peu plus le pouvoir du président Chavez sur les institutions publiques. En effet, il a essuyé une défaite le 2 décembre 2007 lorsque son projet de changements constitutionnels a été repoussé par référendum. Il convient de rappeler que son objectif politique consiste à transformer l'Etat vénézuélien en Etat socialiste tout en garantissant la « sécurité nationale » contre les « attaques impérialistes »[2].
Pour leur part, les membres des services de renseignement devront désormais, non seulement faire preuve de leurs compétences « académiques », mais aussi de leur « engagement idéologique ». Le président Chavez craint qu'un certain nombre d'entre eux n'aient été recrutés par les services américains ou par des organisations criminelles, très actives dans le pays.
Ce nouveau service est désormais autorisé à utiliser « toute méthode spéciale ou technique adéquate » pour obtenir des renseignements.
Missions du service de renseignement vénézuélien
Les missions attribuées à ce nouveau service seraient les suivantes :
– A l'intérieur, une mission de sécurité publique destinée à lutter contre la criminalité dont les activités sont de plus en plus mal ressenties par la population, et à contrôler toute activité qui pourrait être considérée comme déviante en utilisant massivement la délation « à la cubaine » (des comités de quartiers surveillent étroitement les agissement des citoyens).
– A l'extérieur, mener des opérations de renseignement avec pour objectif principal tout ce qui peut ressembler à une opposition en exil. Les dissidents seront désormais accusés d'être des « espions, des traîtres ou des agents de l'ennemi impérialiste ». Déjà, de nombreux fonctionnaires ont été écartés car jugés comme déloyaux. Il est vrai que la corruption est un phénomène endémique au Venezuela.
– Toujours à l'extérieur, faciliter le développement de la « révolution bolivarienne », particulièrement en soutenant les mouvements d'extrême gauche révolutionnaires.
Il ne fait plus de doute que Caracas soutient les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l'Armée de libération nationale (ELN), non seulement financièrement (un dernier versement de 300 millions de dollars aurait eu lieu en février 2008), mais aussi en fournissant les rebelles colombiens en armes et munitions. Ainsi, de nombreuses quantités de munitions destinées aux mains des guérilléros ont été saisies à plusieurs reprises, notamment dans les provinces d'Arauca, de Vichada et de Santander, qui jouxtent la frontière vénézuélienne. Or, la seule usine fabriquant cette cartouche en Amérique latine est la Compaña Anonima Venezolana de Industrias Militares, qui fonctionne depuis 2005. Des rumeurs font également état de la livraison de fusils de précision Dragunov. Ils auraient été prélevés sur une livraison de 5 000 de ces armes faites par la Russie à Caracas en 2006.
Le Congrès péruvien a procédé à une enquête qui a conclu que les groupes d'extrême gauche étaient financés depuis l'étranger. En mars, deux Péruviens qui appartenaient à un mouvement de soutien à la politique d'Hugo Chavez, ont été arrêtés alors qu'ils tentaient d'introduire 150 000 dollars depuis l'Equateur. Si les deux principaux mouvements, le Sentier Lumineux et Tupac Amaru ont été vaincus dans leur forme initiale, des groupuscules semblent avoir pris la relève. En particulier le Sentier Rouge s'est développé depuis les années 1992, particulièrement dans la région dans la vallée d'Apurimac-Ene.
– Une mission plus confidentielle aurait été donnée aux officiers traitants implantés à l'étranger : obtenir des informations concernant la criminalité organisée transnationale qui utilise le Venezuela comme plaque tournante pour les trafics de drogue, d'armes et d'êtres humains. Ce travail vient en complément de ce qui est fait à l'intérieur du pays pour combattre ce phénomène.
Coopération avec l'étranger
Le Venezuela bénéficie déjà d'une aide technique de la part de conseillers cubains dont une partie est venue dans le pays pour y apporter une aide soi-disant « humanitaire » dans le cadre de la mission Barrio Adentro. 12 000 personnels « médicaux » cubains séjourneraient ainsi dans le pays. Les autorités vénézuéliennes reconnaissent par ailleurs la présence de 300 conseillers militaires. Cette aide est loin d'être gratuite puisqu'elle est rémunérée en fournitures de pétrole à la Havane.
La Chine apporte aussi sa pierre en fournissant le satellite de communications Simon Bolivar. Un centre de contrôle satellitaire devrait être construit. De plus, le renseignement militaire entretient des liens étroits avec ses homologues iraniens, syriens et irakiens. Il n'y a pas de raison à ce que cette coopération ne perdure pas.
Si la coopération en matière de lutte contre le crime organisé avec les Etats-Unis est actuellement au niveau zéro, il est possible que cet état de fait change après les élections présidentielles américaines.
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Ce n'est pas la première réforme des services spéciaux qui est mise en œuvre au Venezuela. Ces derniers n'ont jamais brillé par leur efficacité et des soupçons de corruption de certains de ses membres ont toujours existé. La mission des services en Amérique latine en général, a toujours consisté à protéger les régimes en place et non à acquérir des renseignements utiles à la conduite des affaires. Ils s'apparentent plus à une police politique qu'à des services de renseignement comme on l'entend généralement.
A juste titre, le président Chavez se sent menacé. Il tient donc à déjouer les risques qu'encoure son régime, en tentant en particulier de museler toute opposition pouvant faire le jeu de Washington.
Cependant, plus que les risques que font peser les Etats-Unis sur le pays, ce sont les organisations criminelles transnationales qui constituent la menace principale. En effet, leur pouvoir de corruption est très important, tant leurs moyens financiers sont immenses. Quel que soit le régime en place, elles veulent continuer à prospérer et pour cela, elles tentent de neutraliser les organismes chargés de lutter contre elles. Au-delà des luttes politiques qui opposent les Etats, elles ont su intelligemment conclure des alliances avec leurs homologues : cartels colombiens, mexicains, péruviens, brésiliens, etc. Elles profitent des désordres latents pour accroître leurs affaires et leurs bénéfices qui proviennent essentiellement des trafics de drogue, d'armes et d'êtres humains, etc. Une de leur grande victoire a été d'altérer durablement la coopération policière qui existait entre les services américains (particulièrement la Drug Enforcement Administration américaine) et leurs homologues vénézuéliens[3].
Le président Chavez, qui est beaucoup mieux informé du risque mafieux que l'on ne veut bien le croire, a d'ailleurs récemment fait état de sa volonté de relancer la lutte conjointe contre le crime organisé. Il se rend aussi parfaitement compte que les FARC sont des alliés importants des organisations criminelles transnationales (OCT) colombiennes. Cela peut expliquer l'appel lancé aux nouveaux dirigeants de la guérilla les incitant à relâcher les otages et à cesser la lutte armée. Sans l'avouer publiquement, il a en effet pris la mesure de la menace que les OCT font peser sur son pays et sur son régime. Elle est certainement plus importante que celle représentée par les « impérialistes yankee ». La réforme de ses services répond donc, au moins pour une grande partie, de cette préoccupation considérée comme majeure par tous les milieux bien informés.
- [1] La Direction des services de renseignement et de prévention (Direccion de los Servicios de Intelligencia y Prevencion, DISIP) et la Direction du renseignement militaire (Direccion de Inteligencia Militar, DIM) chapeautées depuis 2001 par le Service national de renseignement (Servicio Nacional de Inteligencia, SNI) lui-même subordonné au Conseil de la Défense nationale (CODENA).
- [2] La réactivation de la IVe Flotte américaine compétente dans les eaux sud-américaines et les Caraïbes, est considérée comme une menace majeure par Caracas.
- [3] La coopération policière avec Bogota est aujourd'hui inexistante, ce qui est un véritable drame lorsque l'on sait qu'une grande partie de la cocaïne colombienne passe par le Venezuela avant de rejoindre l'Europe