Turquie : les limites du « printemps turc »
Alain RODIER
Depuis le 28 mai 2013, les manifestations se succèdent en Turquie. Ce phénomène pourrait être assimilé, toutes proportions gardées, aux « printemps arabes ». En effet, la première manifestation d'Istanbul, place Taksim, s'est ensuite généralisée aux grandes villes du pays, Izmir, Eskisehir, Mugla, Yalova, Antalyas, Bolu, Adana, Ankara, Kayseri, Konya et Trabzon. La différence fondamentale réside dans le fait qu'en Tunisie, en Egypte et en Libye, ce sont des dictatures qui ont été renversées. Le gouvernement turc est, pour sa part, tout à fait légitimement issu des urnes même si le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan – du parti islamique « Justice et Développement » (AKP) – semble avoir dérivé vers un autoritarisme de plus en plus affirmé ces dernières années. La liberté existe incontestablement dans ce pays, la presse n'étant pas muselée et les partis, couvrant l'ensemble de l'échiquier politique de l'extrême droite à l'extrême gauche, étant libres.
De plus, depuis une dizaine d'années, le développement économique est au rendez-vous, même dans cette période de crise mondiale. Il faut dire que les hommes d'affaire turcs ont su développer des produits extrêmement porteurs qui vont des biens de consommation courante « Low cost » à la plus haute technologie, certes avec l'appui des Etats-Unis ou de l'Europe dans ce dernier domaine. Il n'empêche que les acheteurs des produits turcs sont nombreux, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, et pas seulement dans le monde turcophone.
Sur le plan politique, Ankara est, pour la première fois, en train de tenter de régler sérieusement le problème épineux que constitue sa population kurde. Il semble être dans la bonne voie, là où ses prédécesseurs ont tous échoué. En effet, il y a enfin une possibilité sérieuse de mettre fin à la lutte armée du PKK. Si les espoirs de paix intérieure – certes encore minces – se concrétisent dans l'avenir, le gouvernement de l'AKP aura remporté là une victoire historique.
Alors, il est raisonnable de se poser la question : qu'est-ce qui n'a pas marché pour expliquer ce vent de révolte qui semble perdurer ?
La raison des manifestions
Plus que le « printemps arabe », c'est « mai 1968 » qui vient à l'esprit pour décrire ce qui se passe aujourd'hui en Turquie. A savoir que ce sont essentiellement des « nantis » ou des « enfants de nantis » qui sont majoritairement descendus dans la rue. Encore faut-il apporter une nuance : la notion même de « nanti » n'est pas la même en Turquie qu'en Europe occidentale.
C'est un pays où les campagnes ont encore une grande importance même si l'exode rural a été important, transformant les agglomérations à taille humaine en des mégapoles à l'extension difficilement contrôlable. Par exemple, le chômage n'a pas les mêmes répercutions catastrophiques que dans les autres pays occidentaux car, dans presque toutes les familles, il reste des agriculteurs qui, lorsqu'un de ses membres parti à la ville se retrouve sans emploi, peuvent l'accueillir et le nourrir, du moins le temps qu'il retrouve un travail. En Turquie, la solidarité du clan est très importante, même pour la recherche d'un nouveau job, parfois situé à l'étranger. Le résultat est que l'« angoisse du lendemain » n'est pas la même qu'en Europe occidentale.
Les raisons de la révolte actuelle se trouvent donc ailleurs, sans doute dans une crise sociétale que les Turcs ont le « luxe » de pouvoir se payer. Les jeunes Turcs -comme beaucoup d'autres – semblent manquer de repères. Les solutions islamiques proposées par le gouvernement de l'AKP ne conviennent pas à leurs aspirations de liberté individuelle. Le soutien affiché du gouvernement à la rébellion syrienne les déroute et ne correspond pas à la maxime d'Atatürk : « paix à l'intérieur, paix à l'extérieur », même si un retour aux origines de la Turquie moderne ne leur paraît pas être d'actualité. Même les Kurdes turcs ne paraissent pas mettre au crédit d'Erdogan la solution pacifique au conflit dans le sud-est anatolien qui semble poindre. En effet, leur pratique modérée de la religion musulmane les fait se méfier du radicalisme supposé de leur Premier ministre.
Certes, comme cela a été souligné, le COURANT islamique « modéré » est arrivé au pouvoir en Turquie de manière parfaitement légale. Depuis le début des années 1990, l'évolution était perceptible car les électeurs turcs demandaient, bien sûr plus de justice sociale, mais par-dessus tout, une moralisation de la vie politique. A savoir que les partis non religieux étaient intimement liés au monde des affaires et à celui du crime organisé, très puissant dans le pays (Cf. les maffyas dirigées par les traditionnels Babas). Pour résumer, ce ne sont pas les islamistes qui ont gagné, ce sont les autres partis qui s'entredéchiraient qui ont perdu !
Une fois bien installés au pouvoir, les islamistes ont pensé que la prospérité et leur honnêteté affichée étaient les clefs de leur longévité. Mais d'abord, il leur fallait écarter l'armée qui, depuis Mustafa Kemal Atatürk, était omniprésente et représentait le seul vrai danger pour leur maintien au pouvoir, car elle s'était positionnée comme gardienne de la laïcité. Il est d'ailleurs à noter que les responsables politiques islamistes vouent un ressentiment caché profond vis-à-vis du créateur de la Turquie moderne. En effet, c'est lui qui a laïcisé le pays à travers quelques réformes bien senties et, surtout, appliquées de manière autoritaire. Cependant, ils ne peuvent faire état publiquement de ce ressentiment car le souvenir – pour ne pas dire le culte – voué par une grande partie du peuple au « père des Turcs » est toujours vivace. Ce sentiment ne laisse pas d'étonner les Occidentaux qui sont peu sensibles au souvenir de leurs grands hommes historiques.
Déjà, en 1997, l'armée était parvenue à écarter le gouvernement du Parti de la prospérité (RP) de Necmettin Erbakan[1] par un coup de force plus ou moins déguisé.
Le procès Ergenekon – d'un supposé putsch en préparation -, puis ceux qui ont suivi[2] ont permis au pouvoir de jeter en prison tous les généraux et officiers qui représentaient une menace potentielle[3]. Cela s'est fait d'autant plus facilement que le peuple n'avait qu'une sympathie mesurée pour le monde militaire, considéré, à juste titre en Turquie, comme totalement privilégié. En effet, non seulement le service militaire obligatoire (réduit de 18 à 15 mois en 2003) n'est pas populaire[4] car les appelés, formés à la prussienne, risquent réellement leur vie au Kurdistan turc, mais aussi et peut-être surtout, parce que l'institution militaire est partie prenante dans la vie économique via deux organismes : les Fonds de pension des forces armées (OYAK) et la Fondation pour le renforcement des Forces armées (TSKGV). L'Europe n'a bien sûr rien trouvé à redire à ces parodies de justice, car l'armée turque est perçue comme opposée aux libertés démocratiques. Il est vrai que jusqu'aux réformes de 2003, le Conseil de sécurité national (MGK), qui supervisait la vie du pays, était aux mains du chef d'état-major général.
Après, les islamistes se sont attaqués à un autre domaine peu favorable à leurs idées : la presse. Là également, des complots et autres scandales ont été découverts et sanctionnés par des juges « aux ordres » du nouveau régime. L'Europe s'est encore une fois peu émue de ces manœuvres, d'autant qu'elles restaient tout de même « limitées », le pouvoir islamiste turc se rendant bien compte qu'il ne pouvait faire tout ce qu'il voulait, au risque d'attirer sur lui l'opprobre internationale.
Enfin, le Premier ministre Erdogan – qui a de véritables convictions politico-religieuses – a entrepris de lancer discrètement la société dans la voie d'une islamisation rampante et n'a rien fait pour atténuer les tensions. Orgueilleux, coupé de l'opinion, le « sultan », comme aiment à le surnommer ses opposants, semble tout faire pour attirer l'ire des manifestants sur sa personne en les traitant avec le plus profond mépris. Il les compare à des extrémistes manipulés de l'extérieur et proche des « terroristes ». Il en appelle même à son vieux dada : le « complot militaire ».
Un mouvement contestataire très hétérogène
La force et la faiblesse des manifestants provient du fait qu'ils sont extrêmement divers et souvent antagonistes.
Au premier rang, se trouvent les jeunes étudiants et lycéens qui, traditionnellement en Turquie, ont toujours eu le cœur à gauche, et même souvent à l'extrême gauche. Les manifestations dans les universités ne datent pas d'hier et elles ont été fréquemment violentes, les jeunes Turcs ne faisant pas « dans la dentelle ». Pour eux, tout ordre établi est critiquable, car ils rêvent encore des « petits matins qui chantent ». Hier opposés aux différents gouvernements qui s'appuyaient sur l'armée – et accessoirement antimilitaristes -, ils se retrouvent aujourd'hui en lutte contre l'AKP et l'ordre moral qu'il représente. Ils ont été rejoints par nombre d'intellectuels – issus des mêmes universités – qui commencent à douter sérieusement des bienfaits de l'islamisme « modéré ».
Pour l'anecdote – mais c'est fondamental pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui en Turquie -, plus que les 600 arbres devant être coupés dans le parc Gezi au cœur d'Istanbul – et bien que ce fut effectivement le détonateur qui a mis le feu aux poudres-, l'interdiction de vendre de l'alcool à partir de 22 h 00 – soit disant par souci de santé publique – a été beaucoup plus mal ressenti par une partie de la société. Le pouvoir voulait empêcher les Turcs de siroter leur Raki local[5] dans les cafés traditionnellement fréquentés jusque tard dans la nuit dans l'ensemble du pays. Le méprisant « vous pourrez toujours rentrer chez vous pour boire » lancé par le Premier ministre a été reçu comme une véritable insulte à un mode de vie, un fait sociétal, même si beaucoup de Turcs ne boivent pas d'alcool. Pour faire un mauvais jeu de mots, c'est vraiment « la goutte qui a fait déborder le vase[6] ».
Bien sûr, les écologistes, peu nombreux en Turquie, qui ont déclenché les manifestations en organisant le sit-in de la place Taksim, le 28 mai, pour s'opposer à l'éradication des fameux 600 arbres afin d'y construire un complexe immobilier, ont beaucoup à se faire pardonner. Ces 30 dernières années, ils n'ont pas montré de réel enthousiasme à combattre l'extension bétonnière des côtes et autres sites touristiques turcs. Il faut dire que 20% des revenus officiels du pays proviennent de l'industrie du tourisme. En fait, les retombées de cette industrie sont certainement bien supérieures dans la réalité, mais une partie des bakchichs versés (mot d'origine persane puis turque !) n'apparaît pas dans les comptes officiels, puisqu'ils ne sont pas déclarés au fisc[7].
Les manifestants appartiennent également aux partis politiques de droite – dont le Parti républicain du peuple (CHP) – qui tentent de se refaire une virginité[8] en faisant référence à l'héritage de Mustafa Kemal Atatürk, lequel avait renvoyé les religieux à leurs chères études en décrétant un laïcisme pur et dur.
Plus à droite encore, les héritiers des « Loups gris ». Peu d'observateurs ont souligné que certains manifestants faisait le signe de la main traditionnel de ce mouvement : le pouce et le petit doigt levés – les oreilles du loup -, les autres repliés pour former sa gueule. Nul besoin de souligner que ces derniers sont les ennemis jurés de l'extrême gauche avec laquelle ils se sont battus, voire entretués, à périodes régulières. Le Parti d'action nationaliste (MHP) est la formation politique qui les représente au parlement, mais il existe d'autres groupes qui se revendiquent de la même mouvance, souvent plus radicaux encore.
Plus surprenant, mais en fin de compte logique, les Alevis se sont joints au mouvement. Ils seraient forts, selon des estimations divergentes, de 10 à 25% de la population. Cette minorité religieuse se sent rejetée par l'islam sunnite actuellement au pouvoir. Le troisième pont sur le Bosphore, dont le début des travaux a été inauguré le 29 mai, porte le nom du Yavuz Sultan Selim (1470-1520), qui a fait massacrer 40 000 Alevis considérés comme hérétiques. Maladresse ou effet voulu par le pouvoir ? La politique d'Ankara, très hostile au régime alaouite de Damas, y est vraisemblablement pour quelque chose. En effet, les Alevis sont une branche du chiisme qui peut être rapprochée des Alaouites. Bien que s'étant gardés de prendre partie pour l'instant – leurs responsables reprochant le côté dictatorial de Bachar el-Assad -, ils se sentent exclus de fait en raison de la politique étrangère menée par leur gouvernement.
Même les supporters des trois grands clubs de football stambouliotes[9], qui ont pour habitude de faire le coup de poing les uns contre les autres, ont rejoint la contestation aux cris de « nous sommes les soldats de Mustafa Kemal ». Leur « force de frappe » est importante et les supporters du PSG peuvent être comparés à des gentils scouts par rapport à leurs homologues turcs !
Et enfin et surtout, les femmes sont nombreuses dans les rangs des manifestants. Il convient de rappeler qu'entre autres réformes de fond initiées par Atatürk, les femmes ont obtenu le droit de vote en 1934 ! Elles occupent depuis des années de nombreux postes de responsabilité dans l'économie et même dans la politique[10]. Il est même surprenant de voir parmi les manifestantes quelques femmes portant le foulard[11]. Il n'en reste pas moins que les citadines, qui ont gagné leur place dans la société turque moderne, n'ont pas l'intention de se laisser dicter leur conduite par les responsables islamistes, en particulier en matière de droit à l'avortement. C'est vraisemblablement parmi elles que se trouve une grande partie du salut de la Turquie.
Quelle issue pour le gouvernement ?
Le gouvernement est encore très populaire dans les campagnes et les banlieues des mégapoles turques. Il a apporté la prospérité aux plus démunis. Leur reconnaissance est sans borne et leur crainte d'un retour en arrière vivace. De plus, en matière d'élections « démocratiques » – les prochaines (municipales) auront lieu au printemps 2014 -, il y a longtemps que l'AKP a su organiser le terrain. En dehors des habiles découpages électoraux, les quartiers ont été répartis en blocs d'immeubles avec des responsables locaux particulièrement actifs. Ils ont pour mission, non seulement à s'enquérir au jour le jour des doléances de leurs administrés, mais ils distribuent également de nombreuses aides prodiguées par le gouvernement. En échange, ces responsables veillent à la bonne participation électorale de leurs ouailles en organisant de véritables tournées de ramassage. Par le passé, cela a tellement frisé l'illégal qu'il est maintenant interdit de photographier son bulletin de vote dans l'isoloir. Par contre, il est malvenu de s'abstenir. Cette capacité de mobilisation permet aussi d'organiser de temps à autres des manifestations favorables au gouvernement, en acheminant des milliers de participants. Le Premier ministre n'a pas alors trop forcer ses qualités de tribun, car ses troupes, en plus d'être « convaincues », sont alors savamment encadrées et dirigées afin de manifester leur soutien enthousiaste à leur leader.
La police est pénétrée par les islamistes depuis le début des années 1990. Alors que les mosquées étaient interdites dans les casernes militaires, elles étaient bienvenues au sein de la police. De même, alors que de nombreux officiers et sous-officiers étaient renvoyés de l'armée pour leurs convictions religieuses, ces dernières ont souvent servi de tremplin aux cadres de la police qui sont aujourd'hui aux commandes, verrouillant l'institution. Il en serait de même pour la justice qui, c'est le moins que l'on puisse dire, apporte un soutien bienveillant au gouvernement en poursuivant implacablement les « déviants » en général et les militaires « séditieux » en particulier.
Il ne faut pas oublier Fethullah Gülen et son mouvement « Hizmet », très répandu de par le monde[12]. Cet intellectuel musulman qui allie religion et modernisme et qui vit en Pennsylvanie, aux Etats-Unis, a été un acteur majeur de l'arrivée des islamistes au pouvoir en Turquie. Il est toutefois légitime de se demander pour qui il « roule » en ce moment. En effet, il a montré à plusieurs reprises que la politique radicale menée par Erdogan l'irritait profondément. Bien sûr, il ne souhaite pas l'éviction de l'AKP du pouvoir, mais il pourrait jouer une autre carte au sein du parti en la personne du président Abdullah Gül qui commence à se poser en candidat à la succession de son ancien ami et compagnon de route.
L'évolution possible des événements
Si le recueil de renseignements est une chose relativement aisée, la prospective reste une affaire plus que délicate. Que va-t-il se passer en Turquie dans les prochains mois ? L'exercice est hasardeux. Certains éléments sont toutefois symptomatiques.
– Le pouvoir dispose toujours d'une base électorale solide qui ne devrait pas se déliter tant qu'il peut lui assurer des revenus relativement confortables (à l'échelle turque). Or, la crise ne paraît pas impacter trop sévèrement l'économie anatolienne qui devrait continuer, au moins dans un proche avenir, à prospérer.
– Les partis d'opposition sont toujours aussi peu crédibles auprès de l'opinion, n'ayant pas les moyens de faire basculer l'opinion en leur faveur, même si cette dernière pourrait connaître un léger fléchissement. Les troubles qui ont lieu à l'heure actuelle peuvent très bien avoir l'effet inverse de celui recherché : pousser les électeur à soutenir les autorités politiques de manière à retrouver le calme nécessaire à la bonne continuation des affaires.
– La base de la contestation étant constituée principalement par des étudiants et des lycéens, les vacances étant là, il y a de fortes chances que celle-ci s'essouffle peu à peu. De plus, après un flottement relatif, les forces de police semble en état de reprendre la main en accentuant la répression. Les ordres auraient été donnés dans ce sens.
– L'armée est muselée avec peu d'opportunités de revenir sur le devant de la scène tant un coup d'Etat est improbable, car il n'y a personne pour en prendre la direction. De plus, la réprobation internationale serait quasi-unanime.
En l'état actuel des choses, le perdant semble être le Premier ministre, mais pas son parti. En effet, Erdogan rêvait de changer la constitution afin de passer d'un régime parlementaire à un régime présidentiel, ce qui lui aurait permis d'accéder à la magistrature suprême en 2014, puisqu'il ne peut demeurer Premier ministre au-delà de 2015. Il comptait sur le parti kurde Paix et Démocratie (BDP) pour le soutenir, suite aux négociations qui ont débuté avec le PKK pour aboutir à un accord de paix. Or des sympathisants du mouvement kurde se sont joints aux manifestants, ce qui n'augure rien de bon pour l'avenir. Même le fait de négocier la construction d'un pipeline partant du Kurdistan irakien et rejoignant la Turquie est contesté. C'est une mesure qui va dans le sens de la viabilité de la création d'un Etat kurde en Irak du Nord, ce que contestent beaucoup de Turcs nationalistes ; et cela va également mettre à mal les relations Bagdad-Ankara.
La politique de soutien d'Erdogan aux rebelles syriens commence aussi à poser question au fur et à mesure que la guerre civile perdure et, surtout, commence à avoir de sérieuses répercutions en Turquie même.
Enfin sa politique économique ultralibérale semble ne plus avoir que des adeptes, surtout que les hommes d'affaires commencent à reprocher à Erdogan les nombreuses concessions qu'il a accordées à des proches.
La possibilité qu'Abdullah Gül devienne l'homme providentiel en adoptant une attitude plus conciliante qui saura « sauver l'unité nationale » n'est pas à exclure. Encore faut-il qu'Erdogan accepte de s'effacer, et ce n'est pas dans sa nature.
Une question subsidiaire vient se poser : la Turquie appartient-elle à l'Occident ou à l'Orient ? La réponse est simple : aux Turcs, lesquels sont fiers – souvent de manière exacerbée – de leur Histoire et qui forment un « ensemble distinct » au carrefour des deux mondes. A eux de décider de leur avenir sans que l'Europe n'attribue de bons ou mauvais points !
- [1] Les déclarations de ce responsable islamique sont intéressantes pour comprendre les motivations actuelles des dirigeants turcs. En 1989, il proclamait : « les Européens sont malades […] nous leur donnerons des remèdes […] L'Europe entière deviendra islamique. ». Arrivé au pouvoir, il affirme : « nous ne sommes pas occidentaux, nous ne sommes pas européens » et il qualifie l'Union européenne de « club chrétien sous influence maçonnique » (à noter que la franc-maçonnerie est très présente en Turquie). En fait, il appelait de ses vœux un marché islamique mondial qui se serait étendu du Maroc à l'Indonésie.
- [2] En particulier ceux qui impliquent les généraux responsables de la chute d'Erbakan, en 1997.
- [3] Plus de 300 officiers ont été ainsi condamnés à de lourdes peines de prison. Plus que de déjouer une menace, il semble qu'il s'agit là d'une revanche des milieux qui, en sus, ont obtenu un satisfecit de la part de l'UE qui a toujours reproché à l'armée turque d'avoir effectué 4 coups d'Etat en un demi-siècle. Très étonnement, ce déni de justice passe pour une « démocratisation » de la vie politique turque.
- [4] Le « piston » pour échapper aux obligations militaires marche bien en Turquie, ce qui ne rend pas le service national plus populaire !
- [5] Boisson à base d'anis que l'on retrouve, sous différentes appellations, sur le pourtour méditerranéen. Il est surnommé « lait de tigre » en Turquie.
- [6] Le gouvernement a interdit de fumer – narguilé y compris – dans les cafés et restaurants en 2008. Cette mesure a été moins impopulaire car elle concernait une population plutôt restreinte, bien que très importante en Turquie. Le fait que cette mesure soit très étendue dans de nombreux pays qui ont servi d'exemple y est pour quelque chose.
- [7] En Turquie, le pourboire est quasi obligatoire et peut être assimilé dans certains cas, à un véritable racket. Bien évidemment, les touristes étrangers sont des cibles de choix.
- [8] Ce qui, étant donné le passif de corruption, est une opération longue et difficile à mener.
- [9] Les « lions » de Galatasaray, les « canards » de Fenerbhaçe et les « aigles » de Besiktas.
- [10] Madame Tansu Ciller fut Premier ministre de 1993 à 1996, certes contestée pour des affaires de corruption.
- [11] Le port du foulard est traditionnel en Turquie. Il n'est pas obligatoirement le signe d'une foi intense. Dans ce cas précis, il convient aussi de rester prudent. Les manifestants ont largement utilisé les medias pour populariser leurs actions. Il n'est pas exclu qu'il y ait eu là une mise en scène destinée aux téléspectateurs.
- [12] Les medias anglophones le qualifient de « l'une des personnalités musulmanes les plus importantes dans le monde ». Les Français semblent ignorer jusqu'à son existence.