Turquie – Irak : échec des services turcs face au PKK ?
Alain RODIER
Les services de renseignement turcs se trouveraient actuellement en position délicate en Irak du Nord. En effet, deux officiers traitants (OT) du Millî İstihbarat Teşkilatı (MİT) – l’« Organisation nationale du renseignement » – seraient tombés aux mains du PKK en août dernier.
L’origine de l’affaire remonte à juillet 2015 lorsque le président turc Recep Tayyip Erdoğanrompt les négociations de paix engagées avec le mouvement marxiste-léniniste kurde. Il veut frapper les esprits en espérant pouvoir renouveler l’opération qui, en 1999, a permis aux services turcs d’enlever Abdullah Öcalan1 au Kenya, après une traque de plusieurs mois digne des meilleurs romans d’espionnage2.
Son fidèle chef du MIT, le sous-secrétaire d’Etat Hakan Fidan, décide donc d’approcher l’entourage d’un membre du conseil exécutif et fondateur du PKK3, Cemil Bayik. En réalité, le contre-espionnage du PKK tend un piège aux services turcs. Il met en place une « chèvre » en demandant à l(un des gardes du corps du leader kurde de se laisser approcher et recruter par le MIT. L’affaire marche rondement. Durant deux ans, la « source » donne à ses traitants de précieuses informations soigneusement choisies par le PKK. Astuce suprême, tout ce qui est fourni est vrai ce qui, sur la durée, augmente la confiance accordée à la source qui devient vite précieuse. Au moins à deux reprises, des OT du MIT viennent la rencontrer secrètement – du moins, c’est ce qu’ils le pensent – à Souleimaniye, la principale ville du Kurdistan irakien tenue par le l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani.
Début juillet 2017, les choses s’accélèrent. En effet, la source transmet un renseignement vital : Cemil Bayik doit se rendre prochainement à Souleimaniye afin d’y recevoir des soins médicaux. C’est l’occasion rêvée pour le MIT de mener une opération commando pour l’enlever ou le neutraliser définitivement. La réussite de cette opération devrait avoir un retentissement important pouvant être exploité par Ankara.
Début août, deux OT sont envoyés dans la ville pour rencontrer la source afin de collecter les informations nécessaires à la mise sur pied de l’opération homo. Ils sont d’autant plus confiants que leur interlocuteur est jugé « sûr » et qu’il a déjà été rencontré à deux reprises dans cette localité sans qu’il n’y ait eu d’incident. Arrivés sur place, ils passent une nuit au Highcrest Hôtel. La source leur fait savoir que l’entrevue ne peut pas se tenir dans la ville car les services de l’UPK y seraient sur le qui-vive. Une station touristique située au bord du lac Dukan près de la ville de Raniya, située entre Souleimaniye et le mont Qandil, est alors choisie. C’est un lieu idéal pour une rencontre discrète car le lac Ducan est très fréquenté durant l’été par les vacanciers turcs qui souhaitent y trouver un peu de fraîcheur. Le 5 août, les deux OT sont enlevés sur le lieu du rendez-vous par des hommes de PKK qui les exfiltrent vers leur repaire du mont Qandil situé à 43 kilomètres de là. Les nombreux points de contrôle de l’UPK installés sur zone n’y voient que du feu.
Averti de l’enlèvement, le président Erdoğan demande à l’UPK d’intervenir pour obtenir la libération de ses hommes. Ceux-ci échouent à deux reprises. Ankara envoie même son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, à Erbil, le 23 août, rencontrer les plus hautes autorités kurdes irakiennes. Officiellement, il s’agit de discuter du référendum d’indépendance prévu le 25 septembre ; mais le sujet des otages a dû être abordé. D’ailleurs, le lendemain, Erdoğan fait fermer le bureau de l’UPK à Ankara et expulse son chef, Bahroz Galali. Il occupait ce poste depuis 20004.
Dans le cadre des nouvelles bonnes relations entretenues avec Ankara, Téhéran est aussi sollicité mais sans rencontrer plus de succès, le PKK ne cédant sur rien.
Les relations se sont considérablement tendues entre Ankara et l’UPK qui reproche à la fois à la Turquie et au PKK d’avoir mené des opérations illégales sur les terres relevant de sa juridiction5. S’il ne fait aucun doute que les deux OT subissent actuellement des interrogatoires poussés, il est fort probable que le PKK va tenter de s’en servir comme monnaie d’échange à l’avenir. Les prisons turques regorgent de détenus kurdes qui attendent leur libération. La capture des OT turcs aurait aussi été filmée et le mouvement séparatiste kurde va peut-être l’utiliser pour venger son leader historique, Abdullah Öcalan, dont l’enlèvement avait aussi été largement évoqué par la presse audiovisuelle turque.
- Il purge une peine de prison à vis sur l’île d’Imrali, située au sud de la mer de Marmara. ↩
- Gérard de Villiers en fera le sujet de son cent-trente-cinquième SAS en 2001 : La traque Öcalan. ↩
- Avec Murat Karalayilan et Bahoz Erdal. ↩
- Fondé en 1975 suite à une scission du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), l’UPK possède un bureau de liaison à Ankara depuis les années 1980. ↩
- Bien que placé sous l’autorité théorique du Gouvernement régional du Kurdistan (KRG), dominé par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, l’UPK garde une grande autonomie dans l’est du Kurdistan irakien. ↩