Tentatives d’attentats en grande-bretagne : le Lahkar-E-Taiba (LeT) est-il responsable ?
Alain RODIER
De plus en plus de Pakistanais ou d'individus d'origine pakistanaise sont impliqués dans des attentats ou des tentatives d'attentats – à l'image de celles déjouées en Grande Bretagne en août 2006 – à travers le monde, lesquels sont attribuées à la nébuleuse Al-Qaïda.
Les mouvements islamiques radicaux présents au Pakistan sont très nombreux et des interconnexions existent entre la plupart d'entre eux. Cependant, le LeT semble être le mouvement qui a développé le plus d'activités terroristes à l'étranger, et pas seulement au Cachemire indien dont il exige le rattachement au Pakistan.
Plusieurs questions en découlent : le LeT n'est-il pas devenu un important bras armé de la direction d'Al-Qaïda implantée dans les zones tribales situées au nord-ouest du Pakistan et plus seulement un « mouvement associé » ? A-t-il joué un rôle dans la préparation d'attentats déjouée à Londres en août 2006 ? Si oui, lequel ? Quelle menace représente-t-il pour l'avenir ?
Activités terroristes de membres du LeT à l'étranger
L'Inde
Les zones de prédilection d'opérations terroristes du LeT sont les provinces du Cachemire indien, du Srinagar et de Jammu. Il est fortement déconseillé aux touristes de visiter ces provinces indiennes. En effet, les voyageurs y constituent des cibles privilégiées, non seulement pour les activistes pakistanais, mais également pour les bandits de grands chemins très actifs dans ces régions.
En outre, les activistes du LeT n'hésitent pas à agir sur l'ensemble du territoire indien. Ainsi, le 11 juillet 2006, ils causaient la mort de 208 personnes avec sept engins explosifs déposés dans des trains de la banlieue de Bombay (Mumbaï). Cette action ressemble étrangement aux attentats de Madrid de 2004. Un premier rapprochement utile est à faire ici. L'Hispano-Syrien Mustafa Setmariam Nasar – dont le rôle joué dans les attentats de Madrid reste à éclaircir – a été arrêté au Pakistan le 1 er novembre 2005. Connu pour avoir été un des « coordinateurs » d'Al-Qaïda pour l'Europe, il a séjourné dans le nord de Londres de 1995 à 1998. Il aurait alors créé des cellules clandestines. Une première question se pose : ces cellules ont-elles joué un rôle dans les événements survenus dans ce pays en 2005 et 2006 sachant qu'Al-Qaïda a toujours préparé ses actions sur le long terme ? En 1998, Nasar rejoint l'Afghanistan et participe à la formation de djihadistes d'origine maghrébine et pakistanaise. Certains d'entre eux sont retournés dans leur pays d'origine. Cela amène naturellement la deuxième question : ces individus ont-ils joué un rôle dans les évènements de Madrid et de Londres ? Enfin, troisième interrogation : que Nasar faisait-il au Pakistan en 2005 ? Depuis son arrestation, il aurait été remplacé comme « coordinateur » pour le « théâtre d'opérations » Europe-Maghreb par Abdelkarim Al-Medjati qui, selon les autorités marocaines, aurait été lié aux attentats de Casablanca du 16 mai 2003.
Pour revenir aux opérations du LeT en Inde, le 29 octobre 2005, trois bombes causaient la mort de 66 personnes à New Delhi. Le 25 août 2003, deux taxis bourrés d'explosifs tuaient 52 personnes à Bombay. Déjà, le 13 mars de la même année, onze personnes avaient trouvé la mort dans un train de banlieue de cette même ville. Une autre opération marquante a été l'attaque du parlement indien, le 13 décembre 2001, qui s'est soldée par la mort de neuf personnes. Cette action destinée à marquer les esprits a été menée en coordination avec un autre mouvement : le Jaish-e-Mohammad (JeM). Enfin, l'attentat le plus meurtrier survenu à Bombay remonte à 1993 lorsque 257 personnes avaient été tuées lors d'attentats à la bombe. C'est cette année là qu'avait été fondé le LeT .
Les autres pays
Le 21 août 2006, Faheem Khalid Lodhi, un architecte australien d'origine pakistanaise a été condamné à une peine de vingt années d'emprisonnement pour avoir planifié des opérations terroristes en octobre 2003 dans la région de Sydney. Il était par ailleurs l'auteur d'un manuel en langue ourdou qui détaillait comment fabriquer des explosifs et des poisons, à partir d'informations tirées d'internet. Il a eu des contacts étroits avec Willie Brigitte, un Français converti suspecté avoir voulu se livrer à des opérations terroristes en Australie, qui a été extradé vers la France en 2003. Les deux hommes avaient suivi un stage d'entraînement dans un camp du LeT situé au Pakistan. Ils auraient aidé à la formation de membres de la Jemaah Islamiyah (JI) indonésienne. A l'évidence, ces deux individus devaient se livrer à des opérations terroristes qui n'avaient rien à voir avec les objectifs du mouvement islamiste indonésion. Il est probable qu'ils le faisaient pour le compte d'Al-Qaïda.
En juillet de la même année, Abdul Karim Tunda, un responsable important du LeT est arrêté au Kenya. Précédemment installé au Bangladesh, il avait rejoint l'Afrique où il s'occupait également de la Tanzanie. Là aussi, pour le compte de qui : Al-Qaïda ?
La Grande-Bretagne est une terre de djihad de prédilection pour les extrémistes islamiques d'origine pakistanaise, la diaspora y étant très nombreuse. Lors des attentats du 7 juillet 2005, les autorités britanniques ont prétendu que les activistes dépendaient tous d'une cellule locale. Il s'agit à l'évidence d'un mensonge d'Etat destiné à « rassurer » les populations et, on l'a appris par la suite, à déclencher une enquête qui aboutira en août 2006 au démantèlement d'un réseau qui s'apprêtait à faire exploser des avions de ligne américains au-dessus de l'Atlantique.
Pour revenir à l'attentat du 7 juillet 2005, Shehzad Tanweer et Mohammed Saddiq Khan, deux des terroristes britanniques d'origine pakistanaise, s'étaient rendus au Pakistan en 2004. Le docteur Ayman Al-Zawahiri confirmera ce fait par la suite. Ce sont les deux seuls kamikazes qui ont laissé une cassette vidéo revendiquant leur martyre, comme certains des suspects arrêtés en août 2006. Etrange coïncidence, tous ces films ont-ils été tournés au Pakistan. Au cours de son séjour pakistanais, Shehzad Tanweer s'est rendu dans une école coranique de Lahore dirigée par le LeT. Parallèlement, il aurait rencontré un autre Britannique d'origine pakistanaise qui sera appréhendé en mai 2005 au Pakistan. Cette personne du nom de Zeeshan Siddiqui aurait joué un rôle de liaison dans la préparation des attentats de Londres de 2005, rencontrant dans les zones tribales du nord-ouest Abdul Hadi al-Iraqi, un envoyé personnel de Ben Laden. Siddiqui est également soupçonné avoir fait partie d'un complot déjoué en Grande-Bretagne en mars 2004 qui impliquait déjà des Britanniques d'origine pakistanaise.
Rashid Rauf, citoyen britannique désigné par les autorités comme un maillon crucial du complot, a également été appréhendé au Pakistan en compagnie d'un compatriote.
Ali Al-Timimi, le chef d'une cellule clandestine du LeT installée dans la région de Washington DC, arrêté en 2005, entretenait des liens avec Eddin Barakat Yarkas – alias Abou Daddah – un responsable d'Al-Qaïda pour l'Espagne, condamné à douze année d'incarcération en 2006.
Une autre cellule du LeT forte de 11 hommes avait été démantelée dans le même Etat, le 27 juin 2003. Ces membres avaient tous reconnu souhaiter combattre pour Al-Qaïda.
Le LeT serait aussi présent en Afghanistan, en Tchétchénie, au Kosovo et aux Philippines.
Tous ces faits amènent la question majeure : que fait le LeT dans des régions pour la plupart si éloignées de sa zone d'intérêt principal : l'Inde ? L'auteur se risque à une réponse : il agit pour le compte du Majlis al Choura (conseil consultatif), organe de commandement central d'Al-Qaïda. Les communications sont d'autant plus faciles entre les deux organisations que, quoiqu'en disent les autorités pakistanaises, leurs QG respectifs sont installés dans le même pays. Des « coïncidences » peuvent étayer cette thèse de « coopération ».
Le Lashkar-e-Taiba (l'Armée du Pur)
L'organisation religieuse Markaz-ud-Dawa-wal-Irshad (MDI) fondée au début des années 1980 a pour but d'instaurer la loi islamique au Cachemire. Ses militants participèrent cependant activement à la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, créant même en 1987 un camp d'entraînement à Jaji, dans le Paktia à la frontière pakistanaise. En 1993, souhaitant séparer ses activités politico-religieuses de ces activités militaires, le MDI créa le LeT qui devint rapidement un des trois mouvements les plus importants combattant au Cachemire indien (les deux autres sont le Hezb-ul Mujahedin – HuM – et le Jaish-e-Mohamad – JeM -).
Soutenu financièrement par les services secrets pakistanais (Inter-Services Intelligence – ISI -), le LeT est le mouvement le plus actif sur l'ensemble du territoire indien qu'il souhaite transformer en Etat islamique. Cependant, par réalisme, il veut récupérer dans un premier temps les provinces du Cachemire et du Jammu.
Désigné comme mouvement terroriste par Washington en décembre 2001, Islamabad a dû stopper son aide financière à ce mouvement. Cependant, le LeT aurait encore de nombreux camps au Pakistan, particulièrement au Cachemire et à Bhawalpour (Pendjab). C'est dans cette dernière province que Azim Chima, dont New Delhi demande en vain l'extradition, assurerait la formation technique des terroristes internationalistes. Coïncidence, Rashid Rauf, ce Britannique présenté comme un suspect clef dans la préparation des attentats de Londres d'août 2006 a été arrêté dans cette même ville.
Depuis la première arrestation de son membre fondateur, le professeur Hafiz Mohamed Saeed en décembre 2001, son leader actuel est Maulana Abdul Wahid Kashmiri. Cependant, Saeed qui est incarcéré régulièrement (sa dernière arrestation date de février 2006), dirige maintenant le Jamaat-ut-Dawa (JuD) qui serait une organisation religieuse caritative non violente. Curieusement, cette organisation est soupçonnée par les Américains d'avoir aidé, au moins pécuniairement, certains des comploteurs de Londres via l'association caritative Crescent ReliefLondon fondée en 2000 par Abdul Rauf, le père de Rashid1. Tayib Rauf, le frère de Rashid, qui fait partie de l'organisation caritative britannique, avait déjà été arrêté dans le cadre de l'enquête concernant les attentats du 7 juillet 2005. Il avait été relâché faute de preuves suffisantes. Est-ce encore une coïncidence ?
En réalité, le JuD est l'héritier direct du MDI. Les prêches de son leader Mohamed Saeed (qui réside officiellement à Lahore) sont souvent enflammés et semblent influencer l'idéologie du LeT. Il est assisté par Zafar Iqbal, un autre membre fondateur du LeT, qui a en charge les écoles coraniques patronnées par le Jammat-ut-Dawa. Il affirme ne plus entretenir aucun lien avec le LeT.
L'adjoint opérationnel d'Abdul Wahid serait Zaki ur Rehman Lakhwi – alias Abdullah Azzam. Il aurait été annoncé mort par les autorités indiennes en mars 2002 mais l'information n'a pas été confirmée à ce jour. Enfin, le porte-parole officiel du mouvement serait Abdullah Ghaznavi.
Afin de brouiller les pistes, le LeT porte aussi d'autres appellations comme le Pasban-e-Ahle Hadith.
Le LeT est membre officiel du Front islamique mondial pour le djihad contre les Juifs et les Croisés créé en 1998 par Oussama Ben Laden. Selon les Nations Unies, l'officier de liaison du LeT avec Al-Qaïda serait un certain Ibrahim Dawood. Abou Zoubaida, un haut responsable d'Al-Qaïda a été arrêté en mars 2002 dans une cache du LeT à Faisalabad (Pakistan).
Il est avéré que le LeT, comme le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien et le Groupe Islamique des Combattants Marocains (GICM) sont des bras armés d'Al-Qaïda. Ils agissent particulièrement sur le « théâtre d'opérations » Europe-Maghreb. Nul doute que ces organisations ne se préparent à d'autres opérations d'envergure qui défraieront la chronique.
- 1Information vivement démentie par les autorités pakistanaises.