Téhéran infiltre les pays arabes avec l’aide du Hezbollah libanais
Alain RODIER
La rupture des liens diplomatiques entre le Maroc et l'Iran ajoutée aux accusations du Caire portées à l'encontre du Hezbollah libanais ont fait apparaître au grand jour une des opérations secrètes les plus importantes menées par Téhéran ces dernières années. A savoir que le régime iranien a infiltré dans de nombreux pays du monde arabe des cellules clandestines avec un objectif opérationnel clair : être en mesure de déstabiliser les pouvoirs en place si le besoin s'en fait sentir. Non seulement les services secrets (Vevak) et les pasdarans iraniens sont impliqués dans cette affaire, mais le Hezbollah libanais a été également sollicité pour mener à bien de cette mission. En effet, ce mouvement islamique chiite qui, selon de nombreux analyste, n'est qu'une « créature » de Téhéran, bénéficie d'un atout de poids : l'importante diaspora libanaise qui est présente depuis des années au sein du monde arabe.
Préparation de la déstabilisation du régime égyptien
L'affaire égyptienne est particulièrement révélatrice de cette volonté iranienne. Au début de l'année 2009, les services spéciaux Moukhabarat el-Kharbeya (Direction du renseignement militaire), Moukhabarat el-Amman (Direction des renseignements généraux) et Maba'Hath Amn (Bureau de sûreté de l'Etat) ont appréhendé des dizaines de suspects de différentes nationalités. Il s'agit majoritairement d'Egyptiens mais également de Libanais, de Palestiniens, de Yéménites, de Soudanais et même de quelques Irakiens. A noter que deux Palestiniens membres du Fatah appartenant à ce réseau auraient également été interpellés : Muhammad Ramadan Barakch et Nidal Fathi Hassan. Cette information est inquiétante car, si d'autres cas sont découverts dans l'avenir, cela voudrait dire que l'Iran a également noyauté le Fatah par Hezbollah interposé. Or Téhéran contrôle déjà le Hamas et le Djihad islamique palestinien.
Les autorités égypteinnes reprochent quatre choses à ces activistes :
- avoir programmé des attentats contre des touristes israéliens et occidentaux en villégiature sur les plages du Sinaï ;
- préparer un attentat visant à de couler un navire dans le canal de Suez ;
- acheminer clandestinement des armes en provenance du Soudan, de Somalie et du Yémen au Hamas dans la bande de Gaza ;
- s'apprêter à assassiner des personnalités égyptiennes dont le président Moubarak en personne !
Cette opération d'infiltration qui aurait débuté en 2007 était dirigée par le responsable des pasdarans à Beyrouth : le général Mir Fayçal Bagherzadeh [1]. Le responsable du réseau en Egypte, le Libanais Sami Shihab – alias Mohammad Yousef Mansour (ou inversement) – a été arrêté dès novembre 2008. C'est d'ailleurs son arrestation qui aurait permis de découvrir l'existence du réseau. Il n'est pas exclu que le Mossad ait apporté son concours à l'enquête menée par les autorités égyptiennes. Le secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a confirmé que Shihab était un des membres de son organisation. Selon lui, il n'était chargé que de la liaison avec le Hamas, reconnaissant implicitement qu'il livrait des armes à ce mouvement sunnite palestinien. Selon le Caire, Shihab était régulièrement en contact téléphonique avec le cheikh Naïm Kassem, le secrétaire général adjoint du Hezbollah. Le clan palestinien Dogmush bien connu dans la bande de Gaza pour ses activités criminelles (en particulier dans le domaine des enlèvements) serait également partie prenante dans cette affaire.
Préparation d'opération de coercition dans les Etats du Golfe persique
Si la présence des Iraniens en Irak n'est plus à démontrer, les membres de la force Al-Qods et plus généralement des pasdarans s'y comptant par milliers (la majorité de ces activistes sont dotés de faux papiers irakiens), elle est moins connue dans les Etats du Golfe. En prévision d'une attaque israélienne ou (et) américaine dirigée contre les installations nucléaires iraniennes, Téhéran aurait programmé des mesures coercitives d'envergure contre ces Etats considérés comme des alliés objectifs de Washington.
Ainsi, des cellules clandestines auraient été déployées en Arabie saoudite, au Koweït, au Qatar, à Barhein, aux Emirats Arabes Unis et à Oman. Ces agents dormants utiliseraient des couvertures d'enseignants, de médecins, d'infirmières, etc. Ils auraient reçu préalablement un entraînement spécial en Iran qui leur permettrait d'être opérationnels à tout moment. Sur ordre, ils pourraient déclencher des troubles au sein de la population, accueillir des agents opérationnels iraniens et éventuellement, guider des frappes aériennes, en particulier dirigées contre des installations civiles et militaires étrangères installées au Qatar, à Bahrein et à Oman.
Téhéran utilise le label « Al-Qaida » pour infiltrer différents pays arabes
Bien sûr, Téhéran est présent en Somalie depuis longtemps. Principal pourvoyeur d'armes des milices des Tribunaux islamiques (TI), les pasdarans auraient même envoyé des Somaliens s'entraîner au Liban dans des camps du Hezbollah. Depuis, ils soutiennent en sous-main les milices Shabab (jeunes) qui sont officiellement affiliées à Oussama Ben Laden.
Téhéran est présent dans l'ensemble des pays arabes, en utilisant des biais qui peuvent surprendre les néophytes. Ainsi, Mohammad Atiq Awayd al-Aoufi, le commandant opérationnel d'Al-Qaida au Yémen, a révélé après s'être rendu aux autorités de Sanaa, que les pasdarans soutenaient depuis longtemps son organisation et d'autres mouvements insurgés dans le pays. Il aurait même été dans leurs projets d'étendre les troubles à l'Arabie saoudite voisine.
Il convient de souligner que Téhéran a toujours eu une attitude pour le moins « compréhensive » à l'égard d'Al-Qaida. Une branche iranienne de l'organisation existe dirigée par Saif al-Adel. Toutefois, il est possible qu'elle n'ait pas de contact avec le noyau dur du mouvement installé dans les zones tribales pakistanaises. Plusieurs membres viennent d'être identifiés, dont Mustafa Hamid et Ali Salah Hussain qui seraient des financiers du mouvement. Les combattants se revendiquant d'Al-Qaida et voulant rejoindre l'Afghanistan pour y mener la Guerre sainte peuvent le faire par l'Iran. Cependant, la voie la plus employée reste celle passant par le Pakistan.
Téhéran accueille également le leader du Groupe islamique combattant libyen (GICL) Adel Muhammad Mahmoud Abdulkhaleq [2]. A défaut de pouvoir être efficace en Libye en raison des mesures de sécurité draconiennes qui y prévalent, le GICL est particulièrement actif en Irak et étend désormais ses opérations à l'Afghanistan. Au même titre que les Libanais membres du Hezbollah, les Libyens du GICL servent d'agents opérationnels pour les services secrets iraniens.
Téhéran se livre au prosélytisme chiite
Le président Ahmadinejad et le cheikh Hassan Nasrallah étant aujourd'hui les personnalités les plus populaires dans la rue arabe en raison de la combativité dont ils font preuve contre Israël et les Etats-Unis, Téhéran en profite pour se livrer à du prosélytisme auprès des populations sunnites. De plus en plus de conversions au chiisme auraient été constatées, notamment en Egypte.
Il semble que ce soit une des raisons principales qui ait poussé le Maroc à rompre ses relations diplomatiques avec Téhéran le 6 mars 2009. En effet, les autorités chérifiennes ont accusé l'Iran de se livrer à un « activisme avéré » contre « l'unicité du culte musulman et du rite malékite sunnite dont est garant le roi Mohammed VI ». En clair, Rabat accuse les Iraniens de chercher à convertir au chiisme les populations sunnites dans le royaume, mais aussi en Europe ! La raison invoquée initialement des tensions survenues entre Téhéran et Barhein suite aux déclarations d'un conseiller du Guide suprême de la Révolution mettant en cause la souveraineté du petit émirat semble être anecdotique. En fait, il s'agit bien de lutter contre l'entrisme dont font actuellement preuve les mollahs iraniens.
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Il faut prendre conscience qu'à peu près tous les dirigeants arabes n'ont actuellement qu'un seul souci : préserver leur régime. Pour eux, l'alternance démocratique n'a aucun sens. Téhéran qui a bien pris en compte ce facteur prône en conséquence une politique ambiguë. Selon ses intérêts du moment, les dirigeants iraniens font preuve d'une attitude relativement conciliante (exemple pour l'instant vis-à-vis de l'Afghanistan ou de l'Irak) tout en laissant sous-entendre qu'ils ont les moyens de déclencher le chaos qui mettrait le feu à la rue qui pourrait bien renverser les gouvernants en place. Si des leaders arabes se montrent aujourd'hui récalcitrants à ce véritable chantage (Arabie saoudite, Maroc, Egypte), d'autres tentent de négocier (Afghanistan, Irak).
Comme ailleurs en Europe et en Amérique latine, Téhéran a su tisser sa toile d'agents dormants qui sont prêts à passer à l'action si l'ordre leur en est donné. Comme en Egypte, il convient donc de les démasquer avant qu'ils n'en aient eu l'occasion.
- [1] Pour l'instant, l'identité de cet officier n'est pas confirmée. En effet, le général Bagherzadeh était connu jusqu'alors comme membre de l'armée régulière occupant un poste au sein de l'état-major général.
- [2] Depuis la mort d'Ammar Ashur al-Rufayi – alias Abou Laith al-Libi – présumé tué par un missile américain au Waziristan (Pakistan) en janvier 2008.