Tchétchénie : le président ne supporte pas les opposants
Alain RODIER
Une série de crimes visant des opposants au président tchétchène Ramzan Kadirov vient d'avoir lieu. Les soupçons se tournent vers les hommes de main qui auraient agi pour le compte du président tchétchène. En effet, ce dernier ne semble pas supporter que l'on puisse s'opposer à lui d'une manière ou d'une autre. Sa riposte consisterait donc à éliminer physiquement ses adversaires. Moscou, qui a tout fait pour amener Ramzan Kadirov au pouvoir en Tchétchénie – suite à la mort de son père dans un attentat à la bombe, le 9 mai 2004 – le soutient malgré tout. En effet, depuis sa prise de fonction comme président de Tchétchénie en 2007, il est le garant d'une certaine stabilité dans le Caucase, même si ses méthodes sont jugées expéditives.
Meurtres et disparitions se succèdent
- Le 19 janvier 2009, l'avocat Stanislas Markelov est assassiné en plein Moscou, alors qu'il venait de donner une conférence de presse. Il a été tué d'une balle tirée à bout portant dans la tête, à l'aide d'un pistolet équipé d'un silencieux. Considéré comme un spécialiste des crimes commis en Tchétchénie, Markelov enquêtait sur de nombreuses affaires mettant en cause Ramzan Kadirov. Une jeune femme âgée de 25 ans qui tentait de s'interposer a été abattue à ses côtés : Anastasia Babourova. Elle était journaliste stagiaire pour Novaïa Gazeta, un bihebdomadaire qui critique régulièrement les crimes commis en Tchétchénie. Ce journal employait également Anna Politovskaïa lorsqu'elle a été assassinée par balles, dans l'ascenseur de l'immeuble où elle résidait, à Moscou, le 7 octobre 2006. A l'époque, Kadirov avait déclaré : « je ne tue pas des femmes », ce qui laisse entendre que l'assassinat d'hommes lui est une chose commune.
- Le 13 janvier 2009, Oumar Israïlov, vingt sept ans, un ancien rebelle tchétchène arrêté en 2003, puis amnistié, est abattu. C'était l'un des anciens gardes du corps du président Kadirov. Le meurtre a eu lieu à la sortie d'un magasin d'alimentation dans le quartier de Floridsdorf, à Vienne, en Autriche, où il avait trouvé l'asile politique en 2006, après avoir transité par la Russie puis la Pologne. Deux tueurs l'on agressé et poursuivi alors qu'il tentait de s'échapper, avant de l'abattre de deux balles tirées à l'aide d'une arme de poing[1]. Israïlov s'était plaint auprès du service autrichien anti-terroriste LVT[2] : il se sentait surveillé par des individus suspects depuis plus d'un mois. Faute de preuves recevables, aucune protection particulière ne lui avait été accordée. Israïlov avait déclaré publiquement que, lors de sa détention en 2003, il avait été torturé par Kadirov en personne. Il avait aussi dénoncé les tortures et les exécutions sommaires que le président tchétchène et ses hommes avaient fait subir à d'autres détenus entre 2003 et 2005. Le 8 novembre 2006, Israïlov avait également porté plainte contre la Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Cette démarche n'a pas connu de suite. Israïlov laisse une veuve enceinte et trois enfants. Des précisions quant aux commanditaires de ce meurtre pourraient être connues rapidement car Otto Kaltendrunner, un suspect de nationalité tchétchène résidant depuis des années en Autriche, a été arrêté.
- Le 4 septembre 2008, Ruslan Yaladayev, un ex-chef militaire tchétchène et ancien membre de la Douma, est abattu alors qu'il est au volant de la Mercedes de son frère Sulim, dans le quartier de Smolenskaya Embankment, dans le centre de Moscou. Le tueur a profité du fait que la voiture était arrêtée à un feu rouge pour vider le chargeur de son pistolet-mitrailleur d'origine russe Kedr, sur le véhicule. Yaladayev est atteint de dix balles. Au cours de cette action, un passager a été grièvement blessé. Il est à noter que les hommes des frères Yaladayev s'opposaient violemment depuis des mois à ceux de Kadirov. En outre, ce dernier craignait que Moscou ne profite de l'influence des deux frères pour contrebalancer son propre pouvoir.
- Mukhmadsalakh Massaïev a été enlevé en août 2008, en Tchétchénie, après avoir donné une conférence de presse au cours de laquelle il avait dénoncé les traitements dégradants et inhumains dont il aurait été la victime, en 2006, lors de sa détention dans une prison du village natal de Ramzan Kadirov, Tsentoroi. Il n'est jamais réapparu depuis et le pire est à craindre pour son cas.
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Dans le passé, Ramzan Kadirov a publiquement déclaré : « j'ai tué ceux que je devais tuer. Je tuerai les suivants aussi longtemps que je ne serai pas moi-même tué ou emprisonné ». Il semble qu'il applique son programme à la lettre. Pour ce faire, certains analystes estiment qu'il utilise les services de tueurs à gages qui sont extérieurs aux organes de sécurité[3]. Des rumeurs laissent entendre que, pour stopper court à toute investigation, certains de ces tueurs auraient ensuite été exécutés. Malgré les forts soupçons qui pèsent sur lui, cela permet au président Kadirov de ne pas apparaître officiellement dans ces règlements de comptes. Par contre, ce qui est certain, c'est que chaque assassinat est réalisé par des professionnels qui utilisent toujours la même méthode : le meurtre à courte distance perpétré avec des armes de petit calibre. Cela évite les pertes collatérales trop importantes qui pourraient, par exemple être provoquées, lors de l'emploi de bombes.
La question qui se pose aujourd'hui est : combien de temps Moscou acceptera ces débordements sanglants ? En effet, à terme, Kadirov pourrait bien embarrasser le Kremlin qui aura du mal à couvrir les exactions auxquelles ses partisans se livrent. Il n'est donc pas exclu qu'il soit un jour écarté du pouvoir en Tchétchénie. Soit un exil doré lui sera accordé, Kadirov n'ayant aucun mal à poursuivre ses affaires – qui seraient très liées aux organisations criminelles russes et tchétchènes – soit il connaîtra un sort tragique orchestré par le FSB russe. Pour l'instant, le problème reste pour Moscou de lui trouver un remplaçant crédible.
- [1] Les quatre coups de feu ont été tirés au milieu d'une importante foule, en plein après-midi.
- [2] Le BVT Bundesamt für Verfassungsshutz und Terrorismusbe Kämpfung (Agence fédérale pour la protection de l'Etat et le contre-terrorisme) possède une section (Landesämter für Verfassungsshutz und Terrorismusbe Kaämfung/LVT) dans chacun des neuf Landers qui composent l'Autriche.
- [3] Kadirov est à la tête d'une organisation paramilitaire composée majoritairement d'anciens militaires, d'anciens policiers et de membres des services secrets. Ces hommes sont appelés les Kadyrovites. Leur PC est situé à Tsentoroi, village natal de Ramzan Kadirov.