Tchétchénie, attaque de Grozny : prélude d’opérations terroristes pour Noël ?
Alain RODIER
L'Emirat du Caucase se divise en six régions (vilayat)
dotées de commandements indépendants.
Dans la nuit du 3 décembre 2014, un peu avant minuit, plus d'une dizaine d'hommes lourdement armés débarquent de trois voitures particulières à un rond-point du centre de Grozny, capitale la république de Tchétchénie, membre de la Fédération de Russie. Ils s'en prennent alors à un véhicule de police, tuant sur le coup trois fonctionnaires. Puis, ils pénètrent dans l'immeuble de la maison de la presse et une école voisine, heureusement vide à cette heure. Les échanges de tirs sont alors très nourris. Les forces de sécurité tchétchènes quadrillent la zone avant de faire le siège des deux bâtiments où sont retranchés les rebelles. Au petit matin, les deux immeubles sont pris sous un déluge de tirs d'armes légères, de mitrailleuses lourdes et de roquettes antichars. Le feu ravage en partie les deux immeubles. Le bilan final fait état de 14 policiers tués et de 28 blessés. 10 dépouilles de rebelles auraient été retrouvées, mais il est possible que plusieurs activistes aient profité de la nuit pour s'échapper et se fondre dans la population.
Un des responsables du commando avait revendiqué l'opération sur le net affirmant : « nous sommes des moudjahidines de la province de Tchétchénie de l'Emirat du Caucase […] nous sommes entrés dans Dzhohar (nom donné par les rebelle à la ville de Grozny) sur ordre de l'émir Khamzat. Nous avons fait serment d'allégeance à l'émir Abou Mohammad […]. C'est une opération martyr et nous combattrons jusqu'à la mort […]. Elle a été déclenchée en riposte à l'oppression des femmes musulmanes, nos sœur, par les laquais des Russes.»
Ali Abou Mohammad et Aslan Byutukayev, l'émir et le chef opérationnel de l'Emirat du Caucase
Des chefs terroristes connus
L'émir Khamzat, aussi surnommé Abubakar – de sa véritable identité Aslan Byutukayev – n'est pas un inconnu. C'est le chef de la brigade du martyr Riyad-us-Saliheen (chargée des kamikazes), responsable de nombreux attentats dont le plus meurtrier fut celui du 24 janvier 2011 contre l'aéroport international de Domodedovo, à Moscou. Il avait pris le commandement du « secteur ouest » de l'Emirat du Caucase la même année. Depuis, il aurait été nommé commandant en chef pour l'ensemble des moudjahidines du Caucase. Ce serait donc le chef militaire de l'Emirat du Caucase.
Il apporte son expérience militaire à l'émir Ali Abou Mohammad qui, lui, est plus « politico-religieux. » En effet, il dirigeait la cour suprême de la charia parallèle à l'organe de commandement de l'Emirat : le Majlis al-Choura (Conseil consultatif). En mars 2014, il a accepté, après bien des réticences en raison de ses lacunes militaires, de prendre la suite de Dokou Oumarov, l'émir du Caucase mort par empoisonnement le 7 septembre 2013.
Evolution de l'Emirat du Caucase
Bien que n'ayant pas réussi à perturber les Jeux olympiques d'hiver qui se sont tenus en février 2014 à Sotchi[1], trois attentats à la bombe avaient eu lieu précédemment dans la région de Volgograd, ville anciennement appelée Stalingrad.
Depuis des années, l'Emirat du Caucase a subi de nombreux coups de la part des forces du président tchétchène Ramzan Kadyrov, l'« homme de Poutine », mais aussi en raison de profondes divergences intérieures. Si dans le passé, de nombreux djihadistes internationalistes servaient dans ses rangs, et en particulier au sein du bataillon islamique international, le mouvement s'est inversé depuis le début de l'insurrection syrienne en 2011. De nombreux combattants tchétchènes ont en effet rejoint le front syro-irakien, soit au sein du Front al-Nosra – la branche armée d'Al-Qaida « canal historique » -, soit dans les rangs de Daesh. Cette hémorragie a privé l'Emirat du Caucase de nombreux combattants expérimentés. La situation pourrait considérablement changer si ces moudjahidines décidaient de rentrer au pays dotés d'une solide expérience guerrière.
Le raid lancé sur Grozny début décembre a été précédé, le 5 octobre, par une tentative d'attentat de masse. Un jeune homme de 19 ans s'est fait exploser à l'entrée d'un concert bondé, tuant cinq policiers et en en blessant 13 autres. Ces actions ponctuelle mais meurtrières sont très inquiétantes pour l'avenir.
En effet, il est officiel qu'ordre a été donné, à la fois par le commandement d'Al-Qaida « canal historique » et par celui de Daesh, de déclencher des opérations terroristes partout où cela était possible. D'ailleurs, les actions offensives se déroulent un peu partout dans le monde avec une fréquence devenant plus qu'inquiétante (Somalie, Kenya, Yémen, Afghanistan, Pakistan, etc.). Cela entre dans le cadre de plusieurs objectifs :
– la concurrence à la notoriété à laquelle se livrent les deux mouvements, Al-Qaida tentant de rattraper le retard accumulé sur sa branche dissidente depuis plus d'un an ;
– terroriser les populations mondiales en rappelant que l'islam radical djihadiste peut frapper n'importe où et n'importe quand.
En ce qui concerne l'Emirat du Caucase, de nombreux activistes sont dans la nature et peuvent déclencher des attentats sur toute la profondeur du territoire russe et en particulier à Moscou[2].
La période des fêtes de Noël est particulièrement à risque en raison de son haut niveau symbolique, surtout pour les salafistes-djihadistes qui considèrent les chrétiens comme des « croisés », donc un ennemi à abattre. Des attentats déclenchés durant les jours prochains marqueraient considérablement les esprits. Les forces de sécurité en sont conscientes et multiplient les mesures de surveillance. Une alerte a d'ailleurs été déclenchée fin novembre sur les vols rejoignant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Mais toute protection peut être contournée à un moment ou à un autre. D'ailleurs, les autorités britanniques affirment qu'une attaque à terme est inévitable en soulignant que toutes les destinations européennes peuvent être visées. La plus grande menace provient d'individus ou de groupes isolés qui pourraient agir de manière non coordonnée et sans liens avec un « commandement central ».