Syrie : un responsable historique d’Al-Qaida dans la nature
Alain RODIER
Le Syrien, naturalisé espagnol par mariage, Mustafa Setmariam Nasar[1] – alias Abou Moussab al-Suri et Omar Abd Al-Hakim -, un important idéologue d'Al-Qaida, a été libéré par le régime de Bachar el-Assad, des prisons d'Alep, fin 2011. Au printemps 2013, l'individu est toujours introuvable. Il est possible qu'il ait repris des responsabilités au sein de la nébuleuse terroriste de feu Oussama Ben Laden.
Setmariam Nasar était connu des services de sécurité espagnols depuis de longues années pour ses convictions islamistes affichées. Déjà, en 2003, il était recherché par le juge Baltasar Garzon pour « activités terroristes en liaison avec Al-Qaida ». Il était cependant considéré, jusqu'aux enquêtes portant sur les attentats de Madrid du 11 mars 2004, comme un « intellectuel propagandiste », mais pas vraiment comme un opérationnel.
Début 2005, le département d'Etat américain l'a désigné comme étant un des cinq membres les plus dangereux d'Al-Qaida et a offert une prime de 5 millions de dollars pour tout renseignement permettant sa capture. Parallèlement, Setmariam Nasar était recherché par Interpol.
Il a été arrêté à Quetta, au Pakistan, en novembre 2005, puis livré aux Américains qui l'ont envoyé dans une prison secrète de la CIA, située à Diego Garcia. Il est possible qu'il ait séjourné à Guantanamo avant d'être rendu au régime syrien, car il y était recherché pour son appartenance aux Frères musulmans de Syrie.
Fin 2011, le régime de Bachar el-Assad l'a libéré en signe de « bonne volonté » vis-à-vis d'Al-Qaida, espérant probablement obtenir des contreparties en retour. Force est de constater que celles-ci ne sont jamais venues. Il est bien loin le temps où le régime de Damas soutenait en sous-main les djihadistes internationalistes combattant en Irak contre l'« envahisseur » américain.
Une carrière bien remplie
Setmariam Nasar est étudiant à Alep quand il rejoint l'« Organisation de l'avant-garde combattante » qui dépend des Frères musulmans, lesquels s'opposent au régime en place à Damas. Cet engagement l'oblige à fuir son pays dans les années 1980 pour rejoindre l'Irak, puis la Jordanie. Il appartient alors à l'organisation des Frères musulmans syriens à l'étranger. En 1987, il s'installe à Grenade, en Espagne, où il épouse Elena Moreno (qui se convertit à l'islam), dont il aura 4 enfants.
Peu après, il gagne Peshawar, au Pakistan, où il s'engage dans un des camps dirigés par Abdullah Azzam qui dirige le Bureau d'aide aux moudjahidines (MAK). A ce titre, il participe à la fin de la guerre menée en Afghanistan contre les Soviétiques. En 1991, il publie un manuel de 900 page intitulé La révolution islamique en Syrie, document qui rompt avec les thèses des Frères musulmans et qui servira à la conception idéologique d'Al-Qaida. Il rencontre pour la première fois Oussama Ben Laden au début des années 1990, alors que ce dernier est l'hôte d'Hassan al-Tourabi, au Soudan.
En 1992, Setmariam Nasar revient s'installer en Espagne. Puis, à la demande de Ben Laden, il rejoint Londres en 1994, où il participe à la formation de la représentation d'Al-Qaida en Europe. Il est à l'origine de la parution de la revue Al-Ansar, la première publication islamique éditée avec l'aide du GIA algérien. Il participe aussi à la formation du Bureau d'étude des conflits islamiques.
En 1997/98, il part vivre avec sa famille en Afghanistan, à Kaboul. Il s'initie au maniement des armes conventionnelles et spéciales dans les camps d'entraînement de Derunta et d'Al-Ghuraba. Son instructeur est Midhat Mersi Al-Sayed Omar – connu également sous le nom d'Abou Khabab – le grand artificier d'Al-Qaida. Ce dernier sera tué par un drone de la CIA au Waziristan, le 28 juillet 2008. C'est également en Afghanistan qu'il aurait fait la connaissance d'Abou Moussab Al-Zarqaoui, le futur chef de la branche irakienne d'Al-Qaida[2].
Lors de son séjour afghan, Setmarian Nasar rencontre à plusieurs reprises Oussama Ben Laden ainsi que de hauts responsables d'Al-Qaida. A cette époque, il est soupçonné d'avoir formé des activistes européens venus s'entraîner dans le camp qu'il dirige dans les environs de Kaboul et de les avoir renvoyés dans leurs pays d'origine afin d'y créer des cellules dormantes, notamment en France, en Grande-Bretagne et en Italie. Bien qu'aucune preuve ne vienne étayer cette thèse, ces événements peuvent être rapprochés des tentatives d'attaques à l'arme chimique avortées lancées par Al-Zarqaoui en 2002, en France, contre la représentation diplomatique de Russie, et à Londres, contre divers lieux publics.
Par contre, Setmarian Nasar joue un rôle clef dans les attentats de Madrid du 11 mars 2004, qui ont fait 202 tués et 1 800 blessés. En effet, c'est lui qui aurait donné, depuis l'étranger – vraisemblablement depuis le Pakistan – les ordres nécessaires à ses lieutenants, trois mois avant le déclenchement des opérations. Il avait bien précisé de « frapper peu avant la fin de la campagne électorale ». La désignation des objectifs et l'exécution des actions ont ensuite été laissés à l'initiative des activistes implantés en Espagne. Le résultat est connu : les forces militaires espagnoles ont quitté en catastrophe l'Irak et le gouvernement Aznar a été renversé.
En décembre 2004, il lance sur le net « L'Appel à la résistance islamique globale », pavé dans lequel il détaille le manière de constituer des cellules terroristes indépendantes réparties de par le monde. Il y critique également la stratégie adoptée par Al-Qaida qui ne peut qu'amener la défaite des forces islamiques.
En 2005, les services secrets occidentaux apprennent que son épouse et ses enfants sont installés au Koweït. Mais c'est au Pakistan qu'il est finalement appréhendé.
Le fait que Setmariam Nasar soit libre de ses mouvements est très inquiétant car il est l'un des derniers responsables historiques d'Al-Qaida. Il peut jouer un rôle de tout premier plan au profit de cette organisation. Il est vrai que, pour l'instant, sa présence n'a pas été signalée sur une quelconque terre de djihad. Cela est vraisemblablement dû aux mesures de sécurité qu'il est contraint d'adopter, mais gare à son retour !
En 2012, si Bachar el-Assad a fait libérer de nombreux activistes islamiques liés à Al-Qaida, c'est aussi pour se « venger » de l'attitude de l'Occident à son égard. Mais cette initiative a été totalement contreproductive pour son propre régime, devenu « apostat » aux yeux des idéologues d'Al-Qaida. Il convient également de replacer le conflit syrien dans la guerre, beaucoup plus large, que se livrent désormais les sunnites – Arabie saoudite et Qatar en tête – et les chiites – Iran, Irak, Syrie et Hezbollah au Liban – à l'échelle planétaire.
- [1] Né le 26 octobre 1958 à Alep (Syrie), Nasar possède des cheveux roux (il porte barbe ou moustache), le teint pâle, les yeux verts. Il peut tout à fait passer pour un Occidental et possèderait, en plus de ses passeports syrien et espagnol, des faux papiers britanniques et d'autres nationalités
- [2] Il est mort en Irak le 7 juin 2006, lors d'un raid des forces spéciales américaines.