Syrie – Irak : la terre de djihad privilégiée d’Al-Qaida
Alain RODIER
Depuis le départ des forces américaines d'Irak en décembre 2011, Al-Qaida a regagné de l'importance. La violence initiée par les salafo-djihadistes de la nébuleuse initiée par Oussama Ben Laden n'a fait que croître. Elle est clairement dirigée contre le gouvernement en place à Bagdad et contre les populations chiites. Il n'y a plus un jour sans qu'il n'y ait plusieurs attentats – souvent suicides – causant des dizaines de tués et des centaines de blessés. Plus aucun endroit n'est sûr : ni les cafés, ni les mosquées, ni les stades de sport, etc. Même les funérailles publiques sont parfois l'objet d'attentats aveugles.
La communauté internationale reste silencieuse car elle sait pertinemment qu'elle ne peut désormais plus rien faire pour éviter ce bain de sang. De plus, ce sont des musulmans qui assassinent d'autres musulmans, parfois avec l'aval de pays à majorité sunnite qui ne veulent pas que l'Iran chiite étende son influence dans la région. La nouveauté réside dans le fait que l'entité kurde située en Irak du Nord commence à être également visée par les salafo-djihadistes. En fait, il s'agit pour eux d'étendre la guerre sainte à cette enclave préservée depuis les années 1990, suite logique de leur stratégie adoptée en Syrie contre les kurdes des unités de protection populaires (YPG), le bras armé du Parti de l'unité démocratique (PYD). En effet, pour Al-Qaida, le front irako-syrien ne fait plus qu'un depuis au moins un an. Le chef d'Al-Qaida en Irak, Abou Bakr al-Baghdadi – alias Abou Dua – a même rebaptisé son mouvement l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL). Il se serait personnellement installé en Syrie, s'y jugeant plus en sécurité qu'en Irak. De là, il coordonne les opérations d'Al-Qaida sur l'ensemble du théâtre.
Al-Qaida en Irak
En Irak, son mouvement compterait 3 000 activistes entraînés et aguerris dont une centaine de volontaire kamikazes, le tout épaulé par un nombre inconnu – mais croissant – de sympathisants qui voient d'un mauvais œil l'administration chiite en place à Bagdad. Cette force militaire serait apte à planifier des opérations simultanées multiples et complexes. Cela s'est vu lors de l'opération « Brisons les murs » qui s'est terminée en juillet 2013. Elle a surtout constitué à attaquer les prisons afin de libérer nombre d'activistes chevronnés qui sont venus renforcer les rangs de l'Etat islamique d'Irak et du Levant, tout en magnifiant l'image de marque du mouvement. En effet, être capable de s'en prendre à des lieux ultra protégés a constitué un signe de puissance qui a bien été compris par les populations. La réalité est cruelle : en Irak, plus personne n'a le contrôle de la situation, surtout pas le pouvoir en place.
Al-Qaida en Syrie
En Syrie, l'EIIL fort de quelques 5 000 combattants, s'est emparé durablement de plusieurs localités parmi lesquelles Rabqa, Azaz et Jarablous, près de la frontière turque. Afin d'éviter les erreurs du passé qui lui ont aliéné une partie de la population, le mouvement se livre à des actions sociales dans les zones ravagées par la guerre qu'il contrôle. Pour cela, il bénéficie des revenus des puits de pétrole dont il s'est emparé et d'un intense trafic de contrebande transfrontalier mené en coopération avec les mafias turco-kurdes. Bien sûr, en échange, les populations doivent se soumettre à la loi islamique stricte et elles sont assommées par les prêches salafistes. Le plus inquiétant est que la jeunesse est soumise à un intense bourrage de crâne évoquant : « l'interdiction de la démocratie, les vertus du jihad, l'excommunication des Alaouites ». Cela n'augure rien de bon pour les années à venir.
Signe inquiétant, les candidats à l'attentat suicide – technique maîtrisée et prônée depuis des années par Al-Qaida – se multiplient. Les enlèvements d'étrangers sont de plus en plus fréquents, les journalistes et les humanitaires étant particulièrement visés. Enfin, les combattants étrangers affluent pour rejoindre l'EIIL, ce qui prouve que la terre de jihad syro-irakienne est attractive. Il faut reconnaître qu'elle présente une différence notoire avec les anciens (et toujours actifs) théâtres afghan, pakistanais, yéménite, sahélien, somalien, etc. La « qualité de vie » y est plus marquée. Par exemple, la ville d'Atmeh, située près de la frontière turque, est devenue un bazar à ciel ouvert où tout un chacun peut faire ses emplettes en matériels de contrebande : électronique, armes, véhicules, drogues, habillement, etc. Cette ancienne bourgade pauvre est surnommée le « Disneyland des djihadistes ». Même des restaurants y ont ouvert ! Il semble que l'on soit loin de l'ascétisme prôné par les pères fondateurs d'Al-Qaida, mais attirer de nouvelles recrues mérite bien quelques entorses aux principes islamistes tant que la morale de la charia est respectée en apparence !
Parallèlement, de nombreux mouvements islamistes radicaux se sont alliés à l'EIIL pour s'opposer au Conseil national syrien (CNS) et pour réclamer l'établissement de la charia sur l'ensemble de la Syrie. Bien évidement, le Front Al-Nosrah – emmené par Abou Mohammed al-Julani – est aux côtés de l'EIIL malgré le différend qui oppose les deux leaders pour des questions d'ego personnel. En réalité, ces deux entités proviennent bien d'Irak est sont totalement inféodées idéologiquement – à Al-Qaida central et à son chef, le docteur Al-Zawahiri. Le Harakat Ahrar al-Sham al-Islamiya d'Hassan Abboud – alias Abou Abdullah al-Hamawi -, qui emmène derrière lui le Front islamique syrien, entité qui regroupe 11 mouvements radicaux, s'est résolument rangé aux côtés de l'EIIL[1].
D'autres mouvements se revendiquant d'Al-Qaida sont composés en grande partie d'étrangers. C'est le cas de la brigade Jaish al-Mujahireen wal Ansar (« L'armée des émigrants et des renforts »), composée majoritairement de Caucasiens, notamment de Tchétchènes. Elle est dirigée par Abou Omar Shishani – alias Omar Gorgashvili -, un ancien des forces spéciales géorgiennes qui a changé de camp. Il revendique désormais l'appartenance de son unité à l'EIIL et aurait même reçu la responsabilité du secteur Nord. Ce personnage devrait refaire parler de lui dans l'avenir.
Abou Omar Shishani (au centre),
figure montante des djihadistes internationalistes en Syrie
Pour l'instant, le front syro-irakien est un véritable aimant pour les aspirants au djihad mondial. Il en vient de partout : des pays arabes en priorité, les déçus des printemps du même nom y trouvant là matière à laisser libre cours à leurs fantasmes politico-guerriers. Mais les Occidentaux sont également bien présents. Les Européens seraient aujourd'hui au nombre d'un millier alors qu'ils n'étaient que 250 fin 2012. En ce qui concerne les djihadistes originaires des pays arabes, comme lors de la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, cela « arrangerait » de nombreux dirigeants qui préfèrent voir ces individus utiliser leurs talents sous d'autres cieux plutôt que de remettre en question leurs propres régimes. Pour Moscou la région syro-irakienne constitue un véritable abcès de fixation qui empêche l'extension du « mal » à ses frontières sud.
Toutefois, tous ces pays ne craignent qu'une chose : le retour des djihadistes à domicile. En effet, ils constitueront alors une menace directe sur place augmentée du pouvoir de nuisance que leur apportera leur expérience de la guerre.
En regardant un peu en arrière, force est de constater que la politique américaine anti-terroriste menée depuis les attentats du 11 septembre 2011 est un vaste fiasco. Certes, la majorité des chefs historiques – à l'exception notable d'Al-Zawahiri – a été éliminée mais l'Irak est déstabilisé durablement, la Syrie va imploser à plus ou moins long terme, l'Afghanistan est partagé entre les taliban et les trafiquants de drogue, le Pakistan est fragilisé, le Yémen et la Somalie sont incontrôlés, la Tunisie et la Libye sont au bord du chaos et les dirigeants des pétromonarchies sont extrêmement inquiets pour leur avenir. Seuls le Maroc, l'Algérie et l'Egypte semblent à même de résister aux désordres ambiants. Encore faudrait-il que ces Etats soient soutenus dans l'avenir.
Surtout, l'organisation Al-Qaida n'est pas morte mais a muté et recrute de plus en plus de fidèles ! Dans cet imbroglio dramatique, il convient de ne pas oublier l'Iran qui continue son bonhomme de chemin vers la possession de l'arme nucléaire. L'Occident miné par ses contradictions internes et attaqué de l'intérieur par des organisations « droit de l'hommistes », qui ne se sont pas rendues compte qu'elles participaient directement à son affaiblissement – pour ne pas dire son effondrement[2] – par un travail de sape continuel censé défendre les « damnés de la terre[3] », ne peut qu'être attiré par un repli sur soi qui, à terme, conduira à une catastrophe planétaire : la guerre des civilisations.
- [1] Les autres mouvements opposé au CNS sont le Liwa al Tawhid, le Liwa al-Islam, le les brigades Suqur al-Sham, le Al-Fajr, la brigade al-Noor d'Alep, les bataillons Noor al-Din al-Zanki soutenus par l'Arabie saoudite, le groupe Fastaqim Kama Umirta, la 19e division, le Liwa al Ansar.
- [2] Certains dirigeants crypto-anarchistes sont bien conscients de ce fait, leur objectif non dissimulé étant de détruire la société libérale pour établir un « ordre nouveau ». Le marxisme-léninisme n'est pas mort avec la fin de l'URSS. Le problème est que ces responsables entraînent derrière eux les « imbéciles utiles » pleins de bons sentiments que décrivait en son temps Lénine.
- [3] En « oubliant » au passage les classes populaires qui vivent de plus en plus difficilement en Occident.