Stratégie d’Al-Qaida à l’horizon 2006
Alain RODIER
Al-Qaida est en train de revoir en profondeur son organisation, sa stratégie et sa tactique. Les premiers effets sont déjà apparents, mais ils devraient s'accélerer au printemps 2006.
L'organisation devrait revenir à un modèle plus centralisé comme cela était de mise du temps des taléban (1997-2001), époque durant laquelle le commandement central dépendait du Majlis al-Choura implanté dans l'est de l'Afghanistan.
A cette fin, Al-Qaida souhaite de nouveau implanter son état-major dans des zones sécurisées hors d'atteinte des frappes américaines. Plusieurs options sont envisagées : le sud-est de l'Afghanistan, le centre de l'Irak (ce ne sont peut-être que des leurres pour égarer les recherches de l'adversaire) ou toute autre contrée jugée comme suffisamment sûre. En effet, les islamistes d'Al-Qaida ne souhaitent pas renouveler l'expérience afghane en prenant le pouvoir d'un Etat qui deviendrait alors une cible prioritaire pour ses adversaires. Ils préfèrent s'installer dans des « zone de non-droit » (ou « zones grises »), c'est-à-dire non contrôlées par les gouvernements locaux. Ces « zones libérées » devraient abriter de nouveaux camps d'entraînement pour pallier à la faiblesse actuelle du mouvement dans ce domaine. En effet, faute de telles structures, la formation doit se faire via Internet ou pour des groupes de militants très réduits, dans des caches sûres, mais peu propices à un entraînement sérieux et efficace. Ce fait explique l'amateurisme rencontré chez de nombreux terroristes de la nouvelle génération. Un nouveau chef des opérations devrait être officiellement désigné. C'est lui qui aura la charge de l'ensemble des actions terroristes de par le monde.
Sur le plan tactique, Al-Qaida a soigneusement pris garde, jusqu'à aujourd'hui, à ne pas déclencher d'attaque terroriste massive contre les pouvoirs en place dans les pays musulmans considérés comme « apostats » : Arabie saoudite, Egypte, Jordanie et Pakistan. La crainte est en effet, que si ces régimes vacillent, les Américains n'en profitent pour accroître leur présence et leurs actions dans ces Etats, ce qui irait à l'encontre du but recherché : chasser les forces infidèles des terres d'islam.
Constatant que la puissance américaine, même appuyée par des forces coalisées comme en Afghanistan, est moins efficace que l'on pouvait le penser, cette stratégie pourrait bien changer. En s'appuyant sur la sympathie rencontrée au sein d'une grande partie des populations sunnites, Al-Qaida devrait lancer des opérations d'envergure contre ces régimes considérés comme les alliés des "satans" (les Etats-Unis, Israël et l'Europe). Pour ce faire, il convient également de gagner le cœur des populations chiites et c'est pour cette raison qu'Al-Zawahiri, le numéro deux d'Al-Qaida aurait demandé à Al-Zarkaoui de cesser ses opérations anti-chiites entreprises en Irak.
Le but de la recentralisation du commandement – d'autant que l'on sait qu'Oussama Ben Laden est vivant – a également pour but de faire rentrer dans le rang un certain nombre de chefs locaux, jugés par trop indépendants, en particulier Al-Zarkaoui, à moins que la place de chef opérationnel citée plus haut ne lui soit proposée.
L'objectif tactique prioritaire reste de s'attaquer aux Etats-Unis, mais d'une manière plus coordonnée, donc en théorie, plus efficace. Un des avantages de s'en prendre directement aux Américains – ou de les attirer dans des guêpiers – est que cela crée un capital de sympathie au sein des populations musulmanes, lesquelles sont généralement profondément anti-yankees.
L'accent doit également être mis sur la propagande. Pour cela, l'effort doit porter sur deux points : l'affirmation d'un « Islam pur et dur » qui se révèle très motivant pour de nombreux aspirants djihadistes ; la mise en avant des « fautes » du monde occidental ; la campagne concernant les caricatures du Prophète est très révélatrice à cet égard.
Si cette nouvelle stratégie se confirme, elle va cependant être confrontée à des difficultés majeures : où trouver des zones sécurisées à l'abri des raids aériens et terrestres des Américains ? Quelles vont être les réactions des chefs locaux comme Al-Zarkaoui, jaloux de leur indépendance et qui « utilisent » le label Al-Qaida plutôt qu'ils ne servent l'organisation ? Quelle va être la réaction des populations chiites fortement marquées par les attentats meurtriers qui les ont visés depuis de nombreux mois ? Quelle va être la politique de Téhéran vis-à-vis de cette stratégie ?
Ce qui semble sûr, c'est que les attentats ne devraient pas diminuer en nombre ni en intensité en 2006.