Somalie : la situation se dégrade rapidement
Alain RODIER
Lundi 24 octobre, Ali Mohammed Ghedi, le Premier ministre somalien a remis sa démission au président Abdullahi Youssouf Ahmed. Ce départ fragilise considérablement les Institutions fédérales transitoires (IFT), le clan des Hawiye, largement dominant à Mogadiscio s’étant désormais rangé clairement dans l’opposition.
Le Gouvernement fédéral transitoire (GFT), dirigé depuis fin novembre par Nur Hassan Hussein, est aussi de plus en plus en position délicate car beaucoup de « chefs de guerre » qui le soutiennent ne pensent plus qu’à retrouver leurs pouvoirs et leurs fiefs dont ils ont été dépossédés par les islamistes en 2006.
En résumé, si l’armée éthiopienne n’était pas là, il y a longtemps que les IFT auraient disparu.
La dégradation de la situation intérieure
La démission du Premier ministre est survenue suite à des différents qui l’opposaient au président. Mais elle est également due à l’aggravation de l’insécurité globale qui règne dans le pays. Les insurgés n’hésitent plus à mener des opérations de jour, ce qu’ils ne faisaient qu’occasionnellement auparavant. Des violences ont lieu, non seulement à Mogadiscio où les morts se comptent par dizaines, mais également dans l’ensemble du pays, y compris dans le nord, qui avait été relativement épargné jusque là.
En effet, le Somaliland, qui a fait sécession durant la guerre civile de 1991, a mené des raids contre la province voisine du Puntland, en octobre. Même Garowe, la capitale de cette province, ne serait pas à l’abri d’un raid. Le Puntland est la terre natale du président Abdullahi Youssouf et les autorités régionales dirigées par Adde Muse sont alliées au GFT. Les chefs du Somaliland, et en particulier son président Dahir Rivale Kahin, détestent Abdullahi Youssouf qui est un ancien chef de guerre qui a envahi leur capitale Hargeisa à la fin des années 1990. D’autre part, les milices du Puntland ont été considérablement affaiblies depuis que le président Youssouf en a fait l’ossature des forces de sécurité du GFT et les a envoyé dans le sud du pays.
A Mogadiscio, 170 000 personnes ont fuit la ville depuis fin octobre, venant grossir les rangs des 400 000 réfugiés qui avaient quitté la capitale en mai 2007, suite à la reprise de la localité par les forces du GFT et l’armée éthiopienne. Si une centaine de millier d’habitants avaient ensuite rejoint leur domicile, ce retour avait été contrebalancé par un nouvel exode de quelques 90 000 personnes en juin, lors de la reprise des combats, sporadiques mais très meurtriers. Au total, les Nations Unies estiment qu’environ 800 000 Somaliens (sur les 9 120 000 officiellement recensés) sont actuellement déplacés dans leur pays ou dans les Etats voisins. Au total, ce serait 1,5 million de Somaliens qui ne survivent que grâce l’aide humanitaire, lorsqu’elle arrive à passer.
Les rebelles islamiques
Les rebelles, pour la plupart issus de l’Union des tribunaux islamiques (UTI), sont dirigés en grande partie depuis l’Erythrée qui est l’ennemi juré de l’Ethiopie. Le cheikh Sharif Ahmed Hassan, qui se présente comme le leader de l’« Alliance pour la re-libération de la Somalie » proclame que les rebelles ont pour devoir sacré de libérer la Somalie du « colonialisme ». La localisation de l’autre grand responsable des islamistes, le cheikh Hassan Dahir Aweys, n’est pas connue. Selon l’ONU, l’Erythrée a largement contribué au réarmement des activistes islamistes connus sous le nom de « Shebab » (jeunes) qui constituaient le fer de lance de l’UTI. Non seulement, ils auraient reçus de nombreuses armes légères, mais aussi des missiles sol-air portables SA-18. L’Erythrée aurait également délivré de grandes quantités d’explosif destinées à équiper des commandos suicide. Une partie de ces armements a été livrée aux rebelles grâce à au moins 13 vols de Boeing 707 ayant eu lieu entre Asmara et Mogadiscio avant l’effondrement des Tribunaux islamiques. L’armement livré n’a jamais été récupéré par les forces du GFT. L’approvisionnement se poursuit aujourd’hui essentiellement par voie maritime.
La criminalité s’est également considérablement développée dans le pays. Ainsi, des pirates détenaient au début novembre trois navires marchands : un Japonais, un Comorien, un Taïwanais, et deux bateaux de pêche tanzaniens. L’insécurité est telle que l’US Navy et la marine française escortent désormais les cargos d’aide humanitaire.
Les Forces nationales de défense éthiopiennes (FNDE)
Les forces éthiopiennes qui soutiennent le GFT sont confrontées à de nombreux problèmes. Ce sont les seules forces militaires réellement organisées présentes sur le terrain, l’armée et la police somaliennes renaissantes étant loin d’avoir terminé leur réorganisation.
Le président Meles Zenawi craint d’autre part, que l’Erythrée ne lance des raids destructeurs au nord de l’Ethiopie, reprenant ainsi les hostilités de 1998-2000. 70 000 personnes avaient trouvé la mort au cours de ce conflit. En prévision du déclenchement des violences, de nombreux réfugiés érythréens1 fuient en Ethiopie, particulièrement dans la région de Shilmeda où un camp de 16 000 âmes a vu le jour. La plupart de ces réfugiés souhaitent rejoindre le Soudan voisin. D’autre part, l’Erythrée voit dans le bourbier somalien le moyen d’y fixer de nombreuses unités éthiopiennes. En dehors de l’approvisionnement en armes cité plus haut, ce petit Etat accueillerait des camps d’entraînement pour des volontaires étrangers, et des rumeurs persistantes laissent entendre que des Erythréens sont aussi envoyés combattre en Somalie.
Les mouvements indépendantistes (Front de libération nationale de l’Ogaden/FLNO, et Front de libération Oromo/FLO) ont aussi repris leurs actions de harcèlement, même si les succès qu’ils annoncent sont totalement surévalués.
Malgré ces menaces sur ses arrières, l’Ethiopie a dépêché, au début novembre, d’importants renforts militaires dans la capitale somalienne afin de tenter de juguler l’insurrection qui s’étend de jour en jour.
Non seulement la situation n’est pas sûre en Somalie, mais l’avenir semble bien sombre. Ce pays est en train de retomber dans ses vieux démons de guerre civile et peut constituer le point de départ d’une déstabilisation de la Corne de l’Afrique. Même le contingent ougandais de 1 700 hommes (sur les 8 000 promis par l’Union africaine) constitue une cible privilégiée pour les islamistes radicaux. Ainsi, le cheikh Aweys déclarait à la mi-novembre : « pour nous, les Ougandais, Ethiopiens et Américains sont semblables. Ils nous ont envahi et nous disons aux Moudjahiddines : les Ougandais doivent constituer une de nos priorités ».
- 1 Dont une partie craint d’être enrôlée de force ; de nombreux déserteurs de l’armée érythréenne sont également présents. La tête des déserteurs est mise à prix pour 50 000 nafkas, l’équivalent de 3 000 euros.