Sinaï : l’insécurité s’accentue
Alain RODIER
Abou Oussama al-Masri, le leader de Daesh qui a revendiqué l’attentat contre l’Airbus russe de Charm el-Cheikh
Depuis l’attentat déclenché contre l’Airbus russe Metrojet KGL9268 le 31 octobre 2015, l’attention des autorités internationale s’est tournée vers ce qui se passe au Sinaï, région que les forces de sécurité égyptiennes ne parviennent pas à contrôler. Le groupe armé « wilaya Sinaï » (Province du Sinaï), anciennement dénommé Ansar Bait al-Maqdis, qui a fait allégeance à l’ Etat islamique (Daech), serait forte de 1000 à 2000 combattants, souvent soutenus par des tribus bédouines qui se sont toujours senties abandonnées par le pouvoir central du Caire.
Cette rébellion reçoit des armes, des munitions, des renforts ainsi qu’une assistance médicale via la bande de Gaza, malgré la « zone tampon » établie par l’armée égyptienne le long de sa frontière. Le responsable le plus connu est Abou Oussama al-Masri (un nom de guerre[1]).
Toutefois, un homme occupe un rôle très important au sein de ce dispositif. Il s’agit de Husayn Juaythini, l’ancien numéro deux du Conseil de la choura des “Moudjahiddines des environs de Jérusalem[2]“. Il s’est rendu en Syrie en septembre 2014 et a personnellement prêté allégeance à Abou Bakr al Baghdadi. Il a reçu pour mission de rentrer à Gaza pour y monter un réseau de l’Etat islamique. Pour ce faire, il a recensé tous les groupuscules gazaouis favorables à Daech, en leur promettant des fonds. Il a donné comme consigne aux activistes de ces groupes de Gaza de rester discrets puisque cette enclave sert de base logistique pour la « wilaya Sinaï ». Il convient de ne surtout pas provoquer le Hamas qui gère ce territoire palestinien et qui ne souhaite pas être assimilé à Daesh. L’influence de Juaythini dépasse même la wilaya Sinaï, car il est chargé de l’acheminement de volontaires venant ou se dirigeant vers le continent africain, en particulier vers la Libye.
Les opérations de harcèlement ont majoritairement lieu dans le nord-ouest du Sinaï, dans les villes de Rafah, Sheikh Zubeid et même la très quadrillée Al-Arish ou une attaque audacieuse d’un check point a eu lieu en plein jour, le 19 mars, tuant 15 militaires. Il s’agit généralement d’actions ponctuelles avec l’emploi d’engins explosifs improvisés (IED), d’embuscades et de coups de main. La wilaya Sinaï a parfois mené des attaques de type terroriste dans la région du Caire. Tous les six mois, une importante opération – dite « méga opération » – engageant plusieurs groupes est déclenchée causant des pertes significatives au sein des forces de sécurité. Il s’agit le plus souvent d’attaques simultanées de plusieurs infrastructures étatiques.
Enfin, les terroristes n’hésitent à parader dans les lieux non contrôlés par l’armée, établissant à leur tour leurs propres points de contrôle et haranguant les populations qui ne leur sont parfois pas hostiles du fait de la violence dont font parfois preuve les forces de sécurité. Par exemple, le fait qu’il n’y ait pas assez de personnels féminins au sein des forces de l’ordre pour contrôler les femmes oblige leurs collègues masculins à se livrer à des palpations sur les check points, ce qui est très mal vécu par les populations très traditionalistes de la région[3]. Les bombardements aveugles, dont une grande partie provient des forces gouvernementales, provoquent aussi de véritables mécontentements populaires. Résultat, les renseignements se font rares et les rebelles se déplacent comme des poissons dans l’eau dans le Nord-Sinaï et y établissent même des camps d’entraînement[4] .
La wilaya Sinaï est une des provinces extérieures de l’Etat islamique les plus actives avec la Libye, l’Afghanistan et le Caucase, le Nigeria étant un peu à part étant donnée la spécificité de Boko Haram (devenue la wilaya Afrique de l’Ouest[5]). Ce groupe djihadiste représente un danger certain pour le Caire qui ne parvient pas à juguler cette menace malgré les importants déploiements de forces consentis avec l’accord d’Israël. En effet, l’Etat hébreu sait, qu’à terme, le danger peut s’étendre à son sud et qu’il convient donc d’apporter toute l’aide nécessaire au régime du président Sissi afin qu’il maîtrise au mieux la situation.
[1] Il s’agirait d’un ancien étudiant de l’université Al-Azhar du Caire qui serait devenu ensuite importateur de vêtements. C’est lui qui a revendiqué en novembre 2015 le sabotage de l’Airbus russe. Il avait déjà appelé ses fidèles à s’attaquer aux juges égyptiens en ces termes « empoisonnez leur nourriture, surveillez les à leur domicile et dans la rue »
[2] Groupe fondé en 2012 et toujours actif dans la bande de Gaza. Il n’a pas fait allégeance à Daech mais l’a assuré de son « soutien ». Son émir serait Abdallah al-Ashqar.
[3] La principale et plus ancienne tribu du Nord-Sinaï est la Al-Swarka.
[4] A l’image du camp Abou Hajar Al-Misri, du nom d’un martyr tombé au combat.
[5] Ce mouvement ne respecte pas la doctrine salafiste-djihadiste prônée par Abou Bakr Al-Baghdadi, mais ce dernier en a trop besoin pour émettre le moindre reproche à l’encontre de cet allié de circonstance.