Russie : retour du KGB ?
Alain RODIER
La rumeur court que l’ancien KGB, le Comité pour la sécurité d’Etat (Komitet gosudarstvennoy bezopasnosti), la principale agence de sécurité de l’ex Union soviétique, dissoute en 1991, pourrait renaître prochainement de ses cendres. En effet, le Kremlin étudierait la possibilité de regrouper la majorité des services de renseignement et de sécurité dans une seule entité, comme c’était le cas avant l’éclatement de l’URSS. Elle pourrait porter le nom de ministère de la Sécurité d’Etat ou MGB (Ministerstvo gosudarstvennoy bezopasnosti). Cette appellation avait déjà existé entre 1946 et 1953, le MGB ayant succédé au NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures, Narodnii Komissariat Vnoutrennikh Diel) à partir de la GPU[1] (Direction politique d’État, Gossoudarstvénnoïe polititcheskoié oupravlénié) elle-même héritière de la Tchéka (Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage, Vserossiïskaïa Tcherzvytchaïnaïa Kommissia).
Le nouveau MGB regrouperait :
– le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB, Federalnaïa sloujba bezopasnosti Rossiyskoï Federatsii), chargé des affaires de sécurité intérieure ;
– le Service de renseignement extérieur (SVR, Sloujba vnechneï razvedki Rossiskoï Federatsi) ;
– et presque l’intégralité du Service de protection fédéral (FSO, Federalnaya Sluzhba Okhrany) chargé de la protection des hautes personnalités et des installations gouvernementales, mais à l’exclusion du Service de sécurité présidentiel (SBP) qui resterait rattaché directement au Kremlin.
Comme par le passé, le renseignement militaire (GRU) conserverait son indépendance.
En attendant cette possible réforme, le 22 septembre le président Vladimir Poutine a nommé à la tête du SVR Sergueï Yevgenyevich Narychkine remplacement de Mikhaïl Fradkov, qui était en poste depuis 2007. Dans son discours d’investiture, le président russe a déclaré : « Vous, comme nous tous, avez conscience de la situation dans laquelle nous sommes. Vous comprenez à quel point la réussite de ce service est importante pour la stabilité et le développement de notre pays ».
Né le 27 octobre 1954 à Leningrad, président de la Douma (chambre basse du Parlement russe) de 2011 à 2016, Narychkine était précédemment chef de l’administration du président de Russie de 2008 à 2011. Il aurait connu Poutine, alors qu’ils étaient tous deux élèves de l’École supérieure du KGB. Il y avait été admis après avoir suivi une formation d’ingénieur à l’Institut de mécanique de Leningrad. Dans les années 1980, il a notamment occupé un poste à l’ambassade d’URSS à Bruxelles, vraisemblablement pour le compte du KGB, mais il n’avait pas alors été déclaré comme tel à l’époque[2]. De 1992 à 1995, il a travaillé au Comité pour l’Economie et les Finances de la mairie de Saint Petersbourg, alors dirigé par un certain Vladimir Poutine. Puis, après avoir occupé plusieurs fonctions dans le monde de l’économie, Sergueï Narychkine est nommé, en 2004, vice-directeur de l’appareil économique du gouvernement russe, sous l’autorité de M. Fradkov, son prédécesseur à la tête du SVR. Il sera ensuite chargé de la réforme de l’administration présidentielle, avant d’être élu à la Douma sous l’étiquette « Russie unie », le parti de Poutine.
Narychkine fait partie des personnalités russes visées par des sanctions décidées par les Etats-Unis et l’Union européenne après l’annexion de la Crimée, dans le cadre de la crise ukrainienne. Il serait un des principaux coordinateurs des contacts avec les partis d’extrême-droite et d’extrême-gauche européens favorables à la politique de Moscou.
Si le MGB était créé, il n’est pas sûr qu’il porte cette appellation qui rappelle de mauvais souvenirs. Cela dit, le président Poutine effectue un travail de mémoire de réhabilitation du passé en affirmant par exemple : « Vous connaissez mon attitude envers la désintégration de l’Union soviétique. Ce n’était pas du tout nécessaire. On pouvait procéder à des réformes, y compris démocratiques, sans passer par là. » Le souci d’efficacité opérationnelle est également au centre de cette réforme, d’autant que la Russie est confrontée à de nombreux défis parmi lesquels l’islam radical et le crime organisé sont prioritaires. Moscou considère aussi que l’OTAN est redevenu un problème existentiel pour la survie même de la Russie !
[1] Se prononçant « Guépéou ».
[2] Les représentations diplomatiques de Russie comptent des « résidences » (postes) où les officiers traitants (OT) des services sont officiellement déclarés auprès des autorités du pays d’accueil (mais la plupart ne le sont pas). On ne peut pas parler réellement d’« illégaux », ces derniers ne devant avoir aucun lien avec une représentation officielle russe. Tous les membres du poste de l’Attaché de Défense dépendent directement ou indirectement du GRU.