Qui se cache derrière le nouveau « président » tchétchène ?
Alain RODIER
Akhmed Zakayef, le représentant de la « résistance » tchétchène à Londres (où il bénéficie du statut de réfugié politique) et le chef de guerre Chamyl Bassaïev ont annoncé le 10 mars la désignation d'un président provisoire suite à la mort d'Aslan Maskhadov. Il s'agit du cheikh Abdul-Khalim Sadulayev, alias Abou Salamovitch, alias cheikh Abdulkarim. Cette succession aurait été préparée lors d'une réunion du comité militaire d'Etat qui se serait tenue en 2002 sous la direction du président Maskhadov. Cependant, cette « désignation » pourrait n'être qu'un leurre destiné à dissimuler la prise en main de la lutte jihadiste dans l'ensemble du Caucase par la nébuleuse Al-Qaeda avec le soutien opérationnel de Chamyl Bassaïev.
Abdul-Khalim est né en 1967 à Argoun, à l'est de Grozni, en Tchétchénie. Considéré comme un « religieux wahhabite », il a étudié la théologie à l'université de Tchétchénie. Il est présenté comme un vétéran des deux guerres de Tchétchénie, au cours desquelle il fut chargé de l'endoctrinement religieux des populations. Il dirigeait aussi le conseil militaire de la ville d'Argoun, où il exerçait parallèlement les fonctions d'imam. Cependant, son expérience de terrain serait, de l'aveu même de ses proches, très limitée. Pourtant, en 1999, il a été désigné par le président Maskhadov comme membre de la Commission d'Etat chargée d'établir la réforme constitutionnelle afin d'établir la Charia. Puis en 2002, il a été nommé président de la cour de la Charia.
Selon la radio russe, Abdul-Khalim serait de nationalité saoudienne. Il aurait été l'organisateur de l'enlèvement en 2001 de Kenneth Gluck, un membre de l'organisation Médecins Sans Frontières (il avait été libéré 25 jours après son rapt). Son épouse aurait été tuée par les forces de sécurité russes en 2003. Il aurait ensuite participé au raid de 2004 en Ingouchie ,qui causa la mort de 92 personnes.
L'acceptation par deux responsables importants de la guérilla tchétchène de la nomination de ce nouveau président quasi inconnu des médias, semble être un subterfuge destiné une fois de plus à tromper l'opinion publique. En effet, le président « provisoire » pourrait très bien ne pas être accepté par d'autres factions tchétchènes en raison de son « inexpérience » et de son engagement religieux jugé comme trop extrémiste.
Aujourd'hui, le seul chef de guerre encore capable de lancer des actions spectaculaires reste Chamyl Bassaïev. Il continue à être aidé par la nébuleuse Al-Qaeda. Il a été soutenu financièrement lors de diverses opérations par un envoyé d'Ussama Ben Laden, le Saoudien Abou Omar Al-Seif. Bassaïev bénéficie aussi de l'appui d'une personnalité beaucoup plus importante : le Jordanien Abou Hafs Al-Ourdani – alias Amzhet – responsable d'Al-Qaeda pour l'ensemble du Caucase. Abou Hafs Al-Ourdani est recherché par toutes les forces de sécurité russes au même titre que Chamyl Bassaiev. Ce sont vraisemblablement ces deux hommes qui dirigent désormais la « résistance » tchétchène dont les actions peuvent s'étendre à tout moment à l'ensemble du Caucase.
Al-Ourdani avait rejoint le défunt Abou Khattab – le premier chef des combattants islamiques internationalistes dans le Caucase – durant la guerre civile du Tadjikistan en 1994. En 1995, Khattab l'aurait envoyé remplir les fonctions d'instructeur dans un camp d'entraînement en Tchétchénie. En cette occasion, comme beaucoup d'autres internationalistes islamiques, il aurait épousé une autochtone. En 1996, cette fois sur ordre personnel de Bin Laden, il aurait rejoint les gorges du Pankissi afin de se charger de l'établissement de camps de recueil pour les djihadistes internationaux, de l'instruction des nouvelles recrues (particulièrement en provenance d'Europe occidentale), du soutien médical, de l'approvisionnement en armes, explosifs et munitions, etc. En 2002, il rejoint la Tchétchénie à la demande du successeur d'Abou Khattab, Abou Al-Walid. Il laisse la charge des camps des gorges du Pankissi à deux de ses adjoints : Abou Rabiya et Abou Atiya. Il épouse alors une deuxième femme, veuve d'un moudjahédine yéménite et remplace Abou Al-Walid quand ce dernier est tué. Il publie alors des communiqués qu'il signe en tant que « Commandant des Moudjahédines en Tchétchénie » ou « Commandant du Front Est ».
Le 13 octobre 2005, plus d'une centaine de combattants attaque des commissariats de police, des bâtiments gouvernementaux et l'aéroport de la ville de Naltchik, la capitale de la république autonome de Karbadino-Balkarie. Chamyl Bassaïev revendique l'opération quelques jours après. Les forces de sécurité recherchaient encore des activistes le 18 octobre.
Ces événements dramatiques démontrent que le Caucase est devenu une région à haut risque, le président Sadulayev semblant avoir décidé d'étendre le conflit tchétchène à l'ensemble de la zone. Il est certainement influencé en cela par Chamyl Bassaïev. La situation économique y est désastreuse pour les populations civiles, la corruption d'une grande partie de l'administration et l'influence grandissante de la criminalité organisée forment un terreau fertile que peuvent exploiter à loisir les radicaux islamiques. Ainsi, la plupart des assaillants de Naltchik étaient des autochtones.