Pakistan : les tambours de guerre resonnent au Waziristan
Alain RODIER
La presse et le gouvernement pakistanais font état d’importants combats, ayant débuté le 6 mars 2007, et qui se poursuivent encore début mai dans les régions de Shin Warsak, Zaghundai et de Kalousha, au sein de la zone tribale du Waziristan-Sud. Ces affrontements opposent des talibans pakistanais et des combattants étrangers (ou djihadistes internationalistes) à majorité ouzbèk.
Ces derniers seraient membres du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO). Les talibans pakistanais auraient constitué une « armée » (lashkar) qui a fait « donner les tambours de guerre » interdits depuis 2004 par les combattants étrangers car, selon eux, la Charia proscrit toute musique. L’objectif des talibans pakistanais consisterait à renvoyer chez eux ces étrangers qui sont arrivés dans la région après la chute de l’Afghanistan à la fin 2001. Bien accueillis avec armes et bagages au départ, leur attitude belliqueuse les ferait de plus en plus rejeter par les tribus locales. De plus, les différents accords conclus avec Islamabad prévoient cette mesure en échange de l’attribution d’une grande autonomie aux zones tribales. Cependant, cette présentation des choses est pour le moins simpliste, la réalité étant beaucoup plus complexe.
Une situation de terrain complexe
Le mollah Nazir – un fidèle de Jalaluddin Haqqani, le numéro deux des talibans afghans – a été désigné en novembre 2006 comme chef des tribus Ahmadzai Wazir, en remplacement du mollah Mohammad Omar – à ne pas confondre avec le mollah Omar, chef des talibans afghans – jugé trop favorable aux combattants étrangers. Ce sont ses hommes qui auraient attaqué les internationalistes après que ces derniers aient refusé de déposer les armes et de quitter le Waziristan-Sud, comme le prévoyait l’accord conclu avec Islamabad. En fait, il semble que les deux parties regroupent indifféremment des Pakistanais, des Afghans et des combattants étrangers. Afin de tenter de mieux comprendre ce qui se déroule actuellement, il convient de revenir sur certains points importants.
La tribu des Ahmadzai Wazir contrôle la partie occidentale du Waziristan-Sud. Elle s’y livre à une intense activité de contrebande entre l’Afghanistan et le Pakistan. Ce commerce porte essentiellement sur l’opium afghan, qui est ensuite acheminé vers l’Europe par deux routes : celle des Balkans, contrôlée par les mafias turco-kurdes, et celle « de la soie », qui est aux mains des organisations criminelles transnationales (OCT) des ex-pays de l’Est. Cette tribu est composée de nombreux clans, dont le plus important est celui des Zalikhels qui tient Wana, la capitale administrative, financière et commerciale du Waziristan-Sud. Les Zalikhels sont eux-mêmes divisés en trois sous-clans dont le plus important est celui des Yargulkhels qui, depuis l’invasion de l’Afghanistan par les forces américaines, a accueilli la grande majorité des djihadistes internationalistes chassés de ce pays. En outre, les Yargulkhels ont fourni de nombreux chefs de guerre talibans dont le plus connu : Nek Mohammad, le prédécesseur du mollah Omar, a été tué lors d’un bombardement américain en juin 2004. Or, le mollah Nazir qui a pris la tête des Ahmadzai Wazir n’appartient qu’au sous-clan Ghulamkel qui est très minoritaire. Cependant, il est considéré comme le chef taliban pakistanais le plus important de la région, car ayant réuni 14 groupes de combattants sous sa bannière.
Les affrontements qui ont lieu constituent en réalité une lutte de pouvoir interne. Laissés à eux-mêmes par le pouvoir central d’Islamabad, les différentes factions s’opposent pour prendre le contrôle de cette « zone grise » où l’argent issu de tous les trafics coule à flots. Il est aussi étrange de constater que les ennemis désignés par le mollah Nazir sont uniquement des Ouzbeks et que les autres internationalistes (Arabes, Tchétchènes, séparatistes cashmiris, etc.) ne sont pas visés. Une explication peut être avancée : le premier grief que le mollah Nazir a fait aux Ouzbeks est l’assassinat, en mars 2007, d’un de ses amis djihadiste arabe, Saiful Adil. De plus, il lui est peut-être utile de ne pas se mettre à dos l’ensemble des étrangers présents dans la région.
Même du côté des Ouzbeks, la situation n’est pas très claire. Ils sont divisés en deux groupes hostiles.
– Le premier, fort de plusieurs centaines d’activistes du MIO dirigés par Tahir Abdovhalilovitch Youldashev – alias Qari Farooq1 – est basé à Wana. Le MIO vient de connaître un important revers avec l’arrestation au début avril à Macha au sud du Tadjikistan2 d’un de ses hauts responsables : Safar Safarov.
– Le second – le Groupe du Djihad islamique de l’Ouzbékistan3 – commandé par Abdullah Nasir Mansour Sohail, alias Abou Houzaifa. Ce mouvement est cantonné à Mir Ali, au nord de la province du Waziristan. Sohail aurait actuellement toute la confiance d’Ayman Al-Zawahiri, l’adjoint d’Oussama Ben Laden.
Comme par hasard, c’est également à Mir Ali que résiderait l’Irakien Abou al Marajel, un responsable du Conseil des Moudjahiddines d’Irak qui serait à la tête de combattants saoudiens, marocains, somaliens, yéménites, etc. Après entraînement, ces volontaires rejoindraient l’Irak via l’Iran. Autre particularité de Marajel, c’est lui qui aurait en charge la formation d’activistes au maniement d’armes chimiques. Plusieurs attentats mettant en œuvre du chlore survenus en Irak au début 2007 seraient le fait de certains de ses anciens disciples.
Le mollah Nazir reconnaît qu’il y a « de bons et de mauvais Ouzbeks ». Il accuse le groupe de Youldashev, évidemment composé de « mauvais Ouzbeks », d’avoir assassiné 200 membres des tribus au cours des deux dernières années. Il est vrai que certains Ouzbeks ont servi de tueurs à gages, mais pour le compte de qui ? Le mystère reste entier. Dans son combat, le mollah Nazir est soutenu par certains chefs de guerre comme Haji Khanan, Malik Shrin Jan et son frère Akbar. Ses forces, composées d’un millier de combattants, auraient été renforcées par des activistes originaires du Pendjab. En outre, Islamabad lui apporterait une aide discrète dans le domaine du renseignement, de la logistique et parfois, de l’appui feu.
L’importance des combats
Ces combats qui peuvent être qualifiés de sporadiques, auraient fait une centaine de morts depuis la mi-mars (on est loin des 300 Ouzbeks annoncés tués). En fait, des accrochages ont lieu depuis l’automne 2006. Ils auraient été provoqués par des djihadistes étrangers, majoritairement turkmènes, qui s’en seraient pris aux Ouzbeks dans la région de Wana. La situation a empiré avec des affrontements plus intenses en novembre. Ce serait pour cette raison que des talibans afghans auraient pénétré au Pakistan à cette époque, pour imposer le mollah Nazir comme chef des talibans pakistanais de cette région, afin qu’il y rétablisse le calme. Le mollah Omar avait alors été écarté car jugé comme trop favorable aux djihadistes internationalistes. Ce dernier, refusant son éviction forcée, aurait pris la tête de la résistance vis-à-vis de son successeur. Il aurait été rejoint par deux commandants talibans pakistanais : Noor Islam et Maulavi Abbas. Par contre, le mollah Nazir a reçu un soutien direct prodigué par la 9 ème division de l’armée pakistanaise commandée par le major général Muhammad Gul et cantonnée à Wana.
Cependant, si ces tensions conduisent parfois à des combats fratricides comme ceux que connaissent le Waziristan-Sud, il est peu probable que cela entame notablement le pouvoir de nuisance des djihadistes internationalistes. Les islamistes purs et durs savent bien où se trouvent leurs intérêts. A titre d’exemple, Siraj Haqqani, un des fils de Jalaluddin Haqqani, est venu négocier « une paix des braves » à Wana. Car il leur faut rétablir un minimum d’ordre pour se retourner contre l’ennemi juré : les « mécréants ». C’est d’autant plus nécessaire que c’est Jalaluddin Hassani qui dirige les opérations militaires des talibans afghans le long de la frontière pakistanaise. Le président Musharraf saisit l’occasion pour affirmer que la politique qu’il a menée dans les zones tribales frontalières avec l’Afghanistan est la bonne. Il prédit même que les tribus vivant au Waziristan-Nord vont bientôt imiter leurs homologues du Waziristan-Sud et s’attaquer aux djihadistes étrangers.
- 1 Chef historique du MIO qui a succédé à Juma Namangani tué par une frappe aérienne américaine à Kunduz au nord de l’Afghanistan en novembre 2001. En 2002, il a créé le Mouvement islamique d’Asie centrale. En 2004, il a été blessé lors d’une opération de l’armée pakistanaise au Waziristan. Il est condamné à mort en Ouzbékistan.
- 2 Le MIO est bien sûr actif en Ouzbékistan où il souhaite remplacer le pouvoir en place par un régime islamique intégriste, mais aussi au Tadjikistan, au Kirghizstan, au Pakistan et en Afghanistan. Ce mouvement internationaliste est « associé » à Al-Qaida.
- 3 Un mouvement dissident du MIO apparu en 2004 et considéré comme encore plus proche d’Al-Qaida.