Mort possible d’Ayman Al-Zawahiri, n°2 d’Al-Qaeda
Alain RODIER
La dernière bande audio d'Ussama Ben Laden, qui aurait été enregistrée en décembre 2005, n'a pas été adressée à la mi-janvier à la chaîne de télévision Al-Djazira sans raison. En effet, il semble qu'un coup important ait été réellement porté à Al-Qaeda le 13 janvier 2006 dans le village pakistanais de Damadola. Il est même possible que le docteur Ayman Al-Zawahiri ait été éliminé au cours de l'opération de bombardement menée par la CIA. Hormis les activistes du mouvement, personne ne sait qui a été réellement tué dans la mesure où au moins cinq corps ont été évacués par les moudjahidines après le raid des drones Predator américains.
Cependant, l'organisation Al-Qaeda semble obligée de démontrer qu'il y a toujours quelqu'un « aux commandes », ce qui expliquerait cette soudaine réapparition de Ben Laden après un silence assourdissant de plus d'un an, sa dernière intervention datant de décembre 2004 ! Durant toute l'année 2005, c'est Al-Zawahiri qui était apparu à plusieurs reprises sur le devant de la scène, semblant même supplanter Ussama Ben Laden.
Un leader expérimenté du djihad
Le docteur Ayman Mohamed Rabie Al-Zawahiri est né le 9 juin 1951 au Caire. Son père était professeur en pharmacologie à l'université du Caire. Son grand-père paternel a occupé la charge de grand imam de l'institut Al-Azhar, le plus haut poste hiérarchique de la branche sunnite de l'islam. Son grand-oncle, Abdel-Rahman Azzam, a été le premier secrétaire général de la Ligue arabe.
Après des études brillantes, il obtient son diplôme de chirurgien en 1974. Il exerce alors la spécialité de chirurgie pédiatrique. Cependant, très tôt, il se fait remarquer par ses convictions religieuses extrémistes. Il est même arrêté à l'âge de 15 ans pour appartenance au mouvement des Frères musulmans. Il adhère ensuite au mouvement Al-Jihad1 dont il a été un temps le chef. Le 23 février 1998, il participe à la création du Front mondial pour le djihad contre les Juifs et les Croisés d'Ussama Ben-Laden. Dès lors, il est considéré comme le bras droit du dirigeant saoudien et comme son médecin personnel. Al-Zawahiri est arrivé au Pakistan en 1980 dans le but de soigner les victimes de la guerre menée par les Soviétiques en Afghanistan. C'est dans ce cadre qu'il rencontre Ussama Ben Laden, via Abdullah Azzam qui dirige les Bureaux d'aide aux moudjahidines (MAK). Il est séduit par ce jeune millionnaire qui n'hésite pas à sacrifier sa fortune et sa position sociale pour être fidèle à ses idées religieuses.
Condamné à mort par contumace dans son pays d'origine, recherché par les Etats-Unis – une prime de 25 millions de dollars a été mise sur sa tête – il est également l'objet d'une fiche de recherche d'Interpol à la demande du gouvernement égyptien.
Supérieurement intelligent, profondément religieux, Al-Zawahiri est un homme renfermé, calme en apparence, froid et organisateur. Il a une grande expérience de la vie clandestine à l'étranger. Il aséjourné sous de fausses identités2 en Europe au début des années 90, aux Etats-Unis en 1995 – il y aurait même obtenu une « carte verte »- et dans les ex-pays de l'Est. En décembre 1996, il aurait été arrêté par les forces russes à la frontière tchétchène. Il aurait alors été détenu six mois puis relâché, les forces de sécurité n'ayant pas réussi à l'identifier.
Il hait les Occidentaux qu'il considère comme amoraux et décadents. Le fait que son épouse et son fils aient trouvé la mort lors de bombardements en Afghanistan à la fin 2001, n'a rien fait pour arranger les choses ! Ces mêmes Occidentaux sont, selon lui, responsables de l'existence même de l'Etat d'Israël et du maintien au pouvoir de despotes apostats qui dirigent actuellement les pays musulmans. C'est d'ailleurs lui qui a poussé Ben Laden à étendre les opérations terroristes à l'Occident. En effet, selon lui, pour renverser les gouvernements honnis, il convient de les couper de leurs soutiens extérieurs en général, et américains en particulier.
On devrait connaître dans un proche avenir le sort d'Al-Zawahiri. S'il ne réapparaît pas sur les ondes, il sera très probable qu'il aura été effectivement tué à Damadola.
Un autre responsable important d'Al-Qaeda déclaré mort
Fait curieux, les Pakistanais semblent persuadés qu'un autre responsable important du mouvement a trouvé la mort lors du raid américain.
Il s'agit de Midhat Mursi al-Sayid Umar, alias Abou Khatab al-Masri. Très peu connu du grand public, c'est pourtant un responsable opérationnel de haut niveau d'Al-Qaeda. Considéré comme l'artificier du mouvement et comme le responsable de la recherche dans le domaine NRBC, il a formé de nombreux terroristes au maniement des explosifs.
Né le 29 avril 1953 dans le quartier populaire d'Asafirah à Alexandrie, il obtient un diplôme de chimie à l'université de la même ville en 1975. Il est jugé une première fois pour appartenance à un mouvement terroriste (le Djihad islamique dans lequel milite également Ayman Al-Zawahiri) après l'assassinat du président Anouar el-Sadate en 1981. En 1987 il rejoint l'Afghanistan via l'Arabie Saoudite afin de prendre part à la guerre contre les Soviétiques. C'est tout naturellement qu'il se retrouve sur les fichiers informatiques qu'exploite Ussama Ben Laden pour créer Al-Qaeda. Il devient alors l'artificier du mouvement. A ce titre, il est soupçonné avoir participé techniquement à de nombreux attentats dont celui contre le destroyer USS Cole en baie d'Aden, en octobre 2000 (17 marins américains avaient trouvé la mort lors de cette opération suicide). Très apprécié pour ses compétences techniques, il devient membre du Comité militaire du Majlis Al-Shoura, l'instance dirigeante d'Al-Qaeda. De 1997 à 2001, il dirige le centre d'entraînement de Derunta, situé à une centaine de kilomètres à l'est de Kaboul. Il s'intéresse particulièrement aux armes NRBC. Suite aux découvertes faites par les Américains après la chute des Taliban, il semble qu'Al-Qaeda n'est guère dépassé, en ce domaine, un niveau expérimental rudimentaire. C'est pourtant à lui que l'on doit les vidéos sur lesquelles sont filmés des gazages d'animaux. Il aurait alors employé du cyanure d'hydrogène ou de l'acide cyanhydrique, substance généralement utilisée pour les exécutions au gaz, mais trop instable pour pouvoir servir à confectionner des armes à usage militaire. En 1999, il édite un manuel d'instruction qui sera distribué de nombreux militants terroristes.
Ayant formé des dizaines d'artificiers, il peut être considéré comme le responsable technique de la mort de centaine de personnes. Prudent, il n'apparaît jamais en première ligne, déléguant ses anciens stagiaires pour qu'ils confectionnent les bombes. Son adjoint serait un certain Assadalah Abdul Rahman.
Recherché dans son pays d'origine – où seraient incarcérés deux de ses fils, Mohamed et Hamzah – et par le FBI, qui a mis une prime de 5 millions de dollars sur sa tête, il était connu qu'il résidait dans les zones tribales sur la frontière pakistano-afghane.
Si la nouvelle de ces deux morts était confirmée, ce serait effectivement un revers important pour Al-Qaeda qui perdrait ainsi deux leaders historiques : l'idéologue et un opérationnel-clé du mouvement. Cependant, il faut rester lucide : l'hydre terroriste est loin d'être vaincue, le mouvement ayant à maintes reprises démontré ses capacités de régénération.
- 1surtout connu pour l'assassinat du président Anouar el-Saddate le 6 octobre 1981. Al-Zawahiri purgera une peine de trois ans d'emprisonnement pour détention illégale d'arme lors du maxi-procès qui s'ensuivit.
- 2Il aurait eu un passeport français et un suisse au nom d'Amon Othman. Il en aurait également eu un hollandais sous l'identité de Sami Mahmoud el-Hifnawi. Il est entré aux Etats-Unis en 1995 avec le nom de Docteur Abdel Moez.