Mexique : situation sécuritaire à l’automne 2008
Alain RODIER
Le Mexique est devenu la plate-forme criminelle la plus importante d’Amérique latine. Il sert de zone de transit principale pour la drogue sud-américaine qui se déverse de manière croissante aux Etats-Unis et en Europe. Mais il est désormais le premier producteur mondial de marijuana et un des tout premiers fabricants d’héroïne et de drogues synthétiques. Il faut dire que 30% des terres cultivables sont consacrées à la culture de stupéfiants.
En quelques années, ce pays est devenu une sorte de « narco-démocratie » dont les deux activités économiques principales sont le trafic de drogue et celui des êtres humains. En effet, plus de douze millions de clandestins résident actuellement aux Etats-Unis dont une majorité d’hispaniques. Le Mexique est une porte d’entrée naturelle à cette immigration sauvage. Les passeurs qui acheminent êtres humains et drogue sont appelés les « coyotes ». Ces trafics, ainsi que les autres activités illégales auxquelles se livrent les organisations criminelles mexicaines (trafic d’armes et de fausse monnaie, prostitution, prêts usuraires, racket, enlèvements, etc.), générerait 25 milliards de dollars par an dont 80% proviendraient uniquement du trafic de drogue. Une partie importante de ces gains serait recyclée dans l’économie légale, le Mexique menant une politique économique particulièrement libérale.
La puissance de la criminalité organisée au Mexique tient à trois facteurs : la frontière poreuse de 3 200 kilomètres avec les Etats-Unis ; la corruption importante du monde politico financier et des administrations ; la pauvreté endémique de la population dont ma moyenne d’âge est très jeune.
La situation intérieure ne cesse de se dégrader. L’état de droit est constamment en recul dans de nombreuses régions et le pays est en état de faillite sécuritaire. Dans certaines régions, notamment celles bordant la frontière avec les Etats-Unis, les criminels tiennent le haut du pavé, n’hésitant pas à s’exhiber en public et à s’attaquer directement aux policiers et fonctionnaires qui ne sont pas corrompus.
Le Mexique est l’un des plus dangereux au monde : les morts se comptent par milliers[1]. Les criminels assassinent désormais délibérément des civils innocents et les enlèvements sont monnaie courante. Le Mexique est aujourd’hui considéré comme le deuxième pays le plus dangereux au monde pour les journalistes, le premier étant l’Irak !
Les raisons de la faiblesse de l’Etat
De 2001 à 2006, l’action vigoureuse du président Fox a constamment été enrayée par la profonde connivence existant entre la pègre et ceux qui étaient chargés de faire respecter la loi.
Après les élections de juillet 2006, le nouveau président Felipe Calderon a hérité d’une situation politique désastreuse qui se traduisait en particulier par l’arrêt des épandages aériens effectués sur les plantations de stupéfiants. Il a alors entrepris une vigoureuse reprise en main, notamment en créant le « Corps de police fédérale » qui regroupe 15 000 policiers et 10 000 militaires. Cette unité a été chargée de lutter contre le crime organisé. La lutte contre la corruption s’est également intensifiée.
Ainsi, fin juin 2007, Genaro Garcia Luna, le secrétaire à la sécurité publique a annoncé le limogeage de 230 officiers supérieurs de la police dont 34 responsables fédéraux. Cependant, cette politique semble trouver ses limites. La violence ne cesse d’augmenter et les militaires ne paraissent pas être assez bien adaptés à des missions de police.
Le gouvernement est confronté à deux problèmes criminogènes majeurs : les mouvements insurrectionnels et la criminalité organisée.
Les organisations criminelles transnationales mexicaines
Les organisations criminelles transnationales (OCT) et les gangs locaux sont extrêmement nombreux au Mexique. Les premières collaborent avec des groupes étrangers au premier rang desquels se trouvent les narcotrafiquants colombiens.
Devant la relative baisse de production de drogue colombienne, les Mexicains ont diversifié leurs sources d’approvisionnement en se tournant, depuis le début des années 2000, vers le Pérou et le Brésil, la production locale étant encore insuffisante pour subvenir aux besoins de leurs clients nord-américains et européens.
Afin de faciliter l’écoulement de la drogue, les OCT entretiennent des contacts avec leurs homologues nord-américaines (Cosa Nostra, les gangs de motards, etc.) et européennes (mafias italiennes et albanaises et OCT issues des ex-pays de l’Est). Plus récemment, des liens ont été noués avec les triades chinoises, surtout pour s’assurer une ouverture sur le marché canadien où elles sont très bien représentées.
Si, globalement, l’« export » se déroule correctement, il n’en n’est pas de même à l’intérieur. En effet, les principales OCT mexicaines se disputent en permanence les territoires, particulièrement ceux bordant la frontière américaine. Il s’ensuit des guerres des gangs particulièrement sanglantes. Le nombre des victimes est en constante augmentation.
Le Cartel du Golfe
A l’est de la frontière américano-mexicaine se trouve le cartel du Golfe ou Matamoros. Depuis l’incarcération à vie de son fondateur Juan Garcia Abrego – condamné à onze fois la perpétuité aux Etats-Unis – et l’extradition de son frère Osiel Cardenas Guillen,[2] le 19 janvier 2007, un des chefs occultes de cette organisation serait le frère de l’ex-président Carlos Salinas, Raul, incarcéré depuis 1995 pour détournement de biens publics. A l’extérieur, le chef serait Jorge Eduardo Costilla-Sanchez, alias « El Coss ». Il dirigerait le groupe armé surnommé « Los Sierras ». Un des membres important de cette organisation est Oliviero Chavez Araijo, surnommé « la star de la cocaïne mexicaine ». Une originalité de ce cartel est de s’être allié des anciens militaires mexicains et guatémaltèques : le gang des « Zetas » qui sert aux basses œuvres de l’organisation.
Le cartel du Golfe est basé principalement dans l’Etat de Tamaulinas et contrôle la frontière est du Mexique, en face du Texas par où transitent des tonnes de cocaïne et de majijuana. Cependant, son influence s’étend également jusqu’à Mexico au sud et au Nuevo Laredo à l’ouest.
Les Zetas
Les Zetas constituent un groupe armé fondé en 1994 par Arturo Guzman Decena qui a été assassiné le 22 novembre 2002. Ils se composent à l’origine des déserteurs du groupe aéromobile des forces spéciales, une unité d’élite de l’armée mexicaine. Ses membres ont été formés à Fort Benning aux Etats-Unis, puis ont ensuite été entraînés au Mexique par des instructeurs israéliens. Leur principale mission consistait à combattre les narcotrafiquants ! A la fin des années 90, ils furent rejoints par des anciens des 15e et 70e bataillons d’infanterie, du 15e régiment de cavalerie motorisée et d’ex-fusiliers parachutistes. Il semble que la raison majeure de ces désertions importantes est l’appât du gain. Des « volontaires étrangers » auraient aussi rejoint les Zetas, notamment des « Kaïbiles » (forces spéciales guatémaltèques) et des membres des redoutables « Maras » centre-américaines.
Les responsables du cartel du Golfe ont littéralement « acheté » ces sicaires afin de constituer leur bras armé. La formation militaire et l’armement moderne de ses membres[3] font qu’ils sont particulièrement redoutables sur le plan opérationnel. De plus, ils connaissent parfaitement les modus operandi des forces de sécurité, ce qui leur permet de les contrer efficacement.
Bien que leur principal bastion soit la région de Tamaulipas, ils sont désormais présents sur l’ensemble du territoire mexicain, particulièrement dans les provinces de Veracruz et Guerrero sur l’océan Pacifique. Leur nombre n’est pas connu mais on parle de centaines de combattants.
Le mouvement connaît toutefois des dissensions internes. Heriberto Lazcano – alias El Verdugo ou Lazca[4] – et Miguel Treviño Morales sont deux « ambitieux » qui veulent évincer l’actuel dirigeant Jorge Eduardo Costilla Sanchez[5] (basé dans la province de Matamoros) tout en se disant toujours fidèles à Cardenas. Ne pouvant l’assassiner directement afin de ne pas se mettre à dos les hommes qui lui sont dévoués, ils ont décidé de recourir à une stratégie indirecte. Ils ont intensifié considérablement les actes de violence déclenchés contre les autres cartels, dont celui de Sinaloa avec lequel le cartel du Golfe est en guerre depuis 2005. Surtout, ils s’en sont pris directement aux représentants de l’ordre, n’hésitant pas à assassiner de hauts responsables civils et militaires. Ils espèrent ainsi provoquer des réactions brutales de la part des cartels concurrents et des forces de sécurité, avec l’espoir que Costilla sera neutralisé par l’une ou l’autre partie. Ils espèrent également que cela affaiblira notablement les cartels traditionnels afin de leur permettre d’asseoir leur propre autorité sur l’ensemble du Mexique. Pour cela, ils comptent sur leur cruauté qui dépasse en horreur celle des membres des autres organisations criminelles.
Un des freins à l’établissement de leur propre cartel[6] était le fait qu’ils ne connaissaient pas les clients et les fournisseurs de drogue. Il semble que cela ne soit plus le cas aujourd’hui.
Le cartel de Tijuana
A l’ouest de la frontière américano-mexicaine, le cartel de Tijuana a été crée par Miguel-Angel Felix Gallardo, un ancien policier aujourd’hui incarcéré aux Etats Unis. Ses neveux et sa nièce lui ont succédé. Ils ont connu des fortunes diverses : l’un a été arrêté en mars 2002 (Benjamin Arellano Felix), un autre a été abattu en pleine rue la même année (Ramon Arellano Felix) et un troisième, Franciso Javier, a été appréhendé par les Coast Guards américains le 14 août 2006.
Les chefs actuels du cartel sont Eduardo et Enedina Arellano Felix (frère et sœur des précédents), Manuel Aguirre-Galondo, Gustavo Rivera-Martinez et Alberto Marquez Esqueda. Cependant, il semble que Benjamin participe toujours à la direction du cartel depuis la cellule qu’il occupe à la prison de haute sécurité de La Palma. Cet établissement bâti en 1992 qui, théoriquement devrait être une prison modèle, est en fait une véritable passoire. Des meurtres y ont lieu, souvent commis à l’aide d’armes à feu introduites clandestinement grâce à la complicité des personnels pénitentiaires.
Les activités du cartel de Tijuana sont la distribution de marijuana, de cocaïne et d’héroïne aux Etats-Unis et le contrôle de la zone de Tijuana-San Diego à l’ouest de la frontière, où il supervise des gangs locaux qui lui fournissent la piétaille nécessaire.
Un temps, cette organisation a été proche du cartel de Cali (Colombie). Depuis la disparition de cette organisation dans les années 1990, le cartel de Tijuana a noué des contacts avec le cartel del Norte del Valle. Le cartel de Tijuana a toujours su faire protéger ses activités par des responsables corrompus des forces de sécurité. Cependant, il est attaqué sur ses terres par les cartels de Sinaloa et de Juarez.
Le cartel de Juarez
Le cartel de Juarez a été affaibli par la mort en 1997 de son chef Amadi Carillo Fuentes et l’arrestation à la fin 2005 de Ricardo Garcia Urquiza, le financier du mouvement. Son dirigeant actuel est Vicente Carrillo-Fuentes, le frère de Amadi. Il a pour adjoints Ismael Zambada-Garcia, Munoz Talavera, Horacio Brunt Acosta, un ancien policier, Juan José Esparragosa, Alcides Magana, Eduardo Palma et Jaramillo.
Ce cartel a entretenu des relations étroites avec ses homologues colombiens de Medellin et de Cali. Plus récemment, des contacts avec le cartel colombien Norte del Valle ont été mis à jour. Ce cartel fait pénétrer aux Etats-Unis de la cocaïne et de la majijuana dans la région centrale de Ciudad Juarez vers El Paso. Rien que dans cette ville, plus de 780 victimes ont été tuées depuis le début 2008 !
Le cartel de Sinaloa
Il est dirigé par Juaquin Angel Guzman Loera « El Chapo » (arrêté en 1995, il s’est évadé en janvier 2001). Un de ses adjoints, Arturo Beltran Leyva a été arrêté en janvier 2008. Il serait remplacé par Ismael Zambada.
Le cartel de Sonora
Le cartel de Sonora (région frontalière de l’Arizona) est dirigé depuis sa prison par Miguel Angel Caro Quintero. Il ne semble pas que ce cartel soit en guerre ouverte avec celui de Tijuana pourtant voisin. Par contre, à la mi-2007, la violence était en augmentation notable dans la région de Sonora.
Le cartel de Colima
Le cartel de Colima – ou de Guadalajara – des frères Adan, Luis et Jesus Amezcua Conteras (actuellement tous incarcérés) est spécialisé dans la distribution d’amphétamines aux Etats-Unis où il assurerait 90% de l’approvisionnement du marché. Pour introduire ces produits stupéfiants, cette organisation utilise plutôt la voie maritime, des cargos rejoignant les eaux internationales au large des côtes californiennes où ils sont déchargés de nuit par des embarcations rapides.
Le cartel Ignacio Coronel Villareal
Le cartel Ignacio Coronel Villareal (ICV) qui porte le nom de son leader, est basé à Mexico, Guadalajara et Jalisco. C’est peut-être l’organisation criminelle mexicaine la plus internationale car elle se livre à différents trafics, dont principalement celui de la drogue à destination des Etats-Unis, de l’ensemble de l’Amérique latine et de l’Europe via les Caraïbes. Il possède des laboratoires à Mexico où sont fabriquées des tonnes de métamphétamines.
Le cartel du Milenio
Le cartel du Milenio qui date du début des années 1990 est surtout présent dans le centre du pays et plus particulièrement dans la province du Michoacan. Son chef, Armando Valencia Cornelio a été arrêté en août 2003.
La guerre des cartels
En 2005, Osiel Cardenas (cartel du Golfe) et Benjamin Arellano Felix (cartel de Tijuana) ont conclu en prison une alliance qui a conduit au déclenchement d’une guerre sanglante contre le cartel de Sinaloa. Cette guerre dont le but est le contrôle des voies d’acheminement de la drogue vers les Etats-Unis, se déroule dans les régions de Nuevo Laredo, Ciudad Juarez (le centre de la frontière américano-mexicaine) et plus récemment, dans l’Etat du Nuevo Léon repris au cartel du Golfe par les hommes de Loera.
Depuis 2005, la région de Nuevo Laredo est devenue une zone de non droit extrêmement dangereuse. Une importante opération menée en 2006 par les forces fédérales dépêchées dans la région a permis l’arrestation de nombreux policiers corrompus. Mais il semble que cette reprise en main n’ait pas eu de suite. Plus inquiétant, les cartels du Golfe et de Sinaloa auraient finalement signé en juin 2007 un cessez-le-feu dans le but de négocier un accord concernant le partage des trafics. Par contre, il s’oppose directement au cartel de Juarez. C’est dans ce cadre qu’en août 2008, il a menacé de mort le gouverneur de l’Etat de Chihuahua, José Reyés car il est soupçonné soutenir le cartel de Juarez.
Le cartel du Golfe a subi des revers majeurs dont le plus important a été l’extradition vers les Etats-Unis en janvier 2007, de son chef Osiel Cardenas Guillén. Il s’en est suivi une guerre entre cartels dont le but est de récupérer des territoires. L’objectif est de contrôler la frontière américano-mexicaine afin d’avoir la haute main sur les trafics de drogue, d’êtres humains et d’armes qui s’y déroulent. Le contrôle des côtes longues de plus de 10 000 kilomètres, est aussi vital pour le crime organisé. Cet affrontement a lieu sur l’ensemble du territoire mexicain mais est particulièrement violent dans la région de Sinaloa, où plus de 100 meurtres ont été recensés en mai 2008. Le plus marquant a été celui Edgar Guzman, le fils de chef du cartel de Sinaloa, Joaquin « El Chapo » Guzman. Quelques 500 douilles de fusil d’assaut seront retrouvées sur place ! Trois jours après, c’est son adjoint direct, Alfonso Gutiérrez Lorea qui était appréhendé à Culiacan, vraisemblablement suite à une dénonciation dont l’origine est attribuée aux Zetas. Dans la province du Michoacan, les Zetas se sont alliés au cartel du Milenio des frères Valencia qui ont rompu avec le cartel de Sinaloa. Le cartel de Tijuana est aussi aux côtés de celui du Golfe pour lutter contre le cartel de Sinaloa. Ce dernier, qui possède également une branche militaire, « les Pelones » (les Tondus), commandée par Edgar Valdez Villarreal, a réagi par la violence.
Les cartels de Sonora, Juarez et Sinaloa auraient créé la « Fédération », une sorte de conseil suprême, à l’image de la « Coupole » sicilienne qui chapeaute les différentes familles de Cosa Nostra. Le chef de cette Fédération serait Juan José Esparragoza Moreno.
Les gangs locaux
A côté des cartels tout puissants, différents gangs locaux travaillent en payant une « taxe » au cartel qui couvre leur zone d’activité. On trouve notamment ceux de Pedro Diaz Parada – un important trafiquant de majijuana arrêté et évadé deux fois – d’Eduardo Martinez Garza, de Ramiro Mireles, de Tony Peres, etc.
Certains de ces gangs tiennent en coupe réglée l’aéroport international Benito Juarez de Mexico en n’hésitant pas à attaquer les touristes. Les autres aéroports internationaux mexicains ne sont pas plus sûrs. Ainsi, des cas de voyageurs qui ont été drogués afin d’être délestés de leurs biens ont été signalés depuis le début 2005 à l’aéroport Francisco J. Mujica (MLM) de Morelia (Etat de Michoacan). L’insécurité grandit pour les ressortissants étrangers qui sont de plus en plus l’objet de kidnappings ou de vols avec violence.
L’extension généralisée de l’insécurité
Autrefois relativement tranquille, la région touristique d’Acapulco est aujourd’hui la cible des criminels. Traditionnellement, elle servait de « zone franche » où tous les hors-la-loi notoires pouvaient venir se reposer en famille. Cette « pax mafiosa » est terminée depuis 2007, plusieurs criminels de haut vol y ayant été abattus. Plusieurs officiers de police y ont également été tués.
Les cartels du Golfe et celui de Sinaloa s’y disputent la primauté afin de bénéficier de la route maritime vers les Etats-Unis. Désormais, seules les villes de Guadalajara, Culiacan, Tijuana et Mexicali ont un taux de criminalité supérieur à celui d’Acapulco. De plus, l’Etat de Guerrero, qui englobe Acapulco et Zihuatanejo, produit plus d’opium que tous les autres Etats du Mexique. Effrayés, les touristes préfèrent maintenant se rendre à Cancun et Los Cabos. A la mi 2007, le département d’Etat américain a placé logiquement la zone d’Acapulco comme une « région à risque ».
La population mexicaine, excédée par l’augmentation exponentielle de l’insécurité, en particulier les enlèvements d’enfants, a parfois décidé de se faire justice elle-même par l’intermédiaire de groupes appelés les « vigilants ». Il faut bien reconnaître que la sécurité individuelle n’est plus assurée dans le pays à tel point que le parlement envisage de voter une loi autorisant les civils à s’armer afin qu’ils assurent eux-mêmes leur autodéfense, l’Etat reconnaissant par là même son incurie.
Une des particularités de la pègre mexicaine est l’exploitation généralisée qu’elle fait des enfants qui fournissent une matière première docile et peu coûteuse. Ils sont mis à toutes les sauces : dealers, passeurs, prostitués, « hommes » de main, quand ils ne sont pas « exportés » vers les Etats Unis à fins d’adoption ou de prostitution…
Enfin, nombre de criminels se servent des Etats-Unis comme une base de repli sûre. Bien qu’en général, ils évitent de s’y livrer à des violences par crainte des mesures de rétorsion qui pourraient être prises, quelques meurtres récemment survenus au Texas seraient de leur fait. Cependant, en août 2008, Washington a été informé que des cartels mexicains avaient l’intention de frapper des « cibles » sur le sol américain.
L’état de déliquescence du Mexique permet de comprendre pourquoi le président Bush a proposé de faire construire un mur de 1 000 kilomètres le long de la frontière, projet qui ne sera vraisemblablement jamais réalisé dans son intégralité en raison de difficulté budgétaires et diplomatiques. De toutes façons, on peut raisonnablement douter de l’efficacité réelle d’une telle mesure sachant que les OCT s’adaptent parfaitement aux situations nouvelles en trouvant la parade adéquate.
Les mouvements insurrectionnels
Une nouvelle insurrection a vu le jour en juin 2006 dans l’Etat « le plus indien » du Mexique : l’Oaxaca[7]. Robert Garcia et Flavio Sosa, deux fondateurs de l’Association populaire des peuples d’Oaxaca (APPO), n’hésitent pas à s’affirmer « anticapitalistes, anti-impérialistes et pluriels ». Ils louent l’arrivée au pouvoir en Bolivie d’Evo Morales qui leur sert de modèle et vouent un véritable culte au président vénézuélien Hugo Chavez et à son mentor, Fidel Castro. Temporairement, l’ordre a été rétabli à la fin 2006-début 2007 avec en particulier l’arrestation de Flavio Sosa.
Dans la région voisine du Chiapas, le sous-commandant Marcos utilise la drogue pour subvenir aux besoins de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) depuis sa création en 1994. Dans cette région sévit également un groupuscule de formation récente : le Commando populaire et révolutionnaire de la Patrie Es Primero (CRP-LPEP).
Le mouvement gauchiste radical Armée populaire révolutionnaire (EPR), apparuen juin 1996, s’est rendu responsable de plusieurs meurtres au sud de Mexico et dans les provinces de Morelos, Guerrero et Oaxaca. L’EPR est un conglomérat groupuscules révolutionnaires marxistes-léninistes. La taille de ses formations est trop faible pour mettre l’Etat en péril mais suffisante pour maintenir un sentiment d’insécurité important, particulièrement dans les Etats de Guerrero et d’Oaxaca. Les en juillet et septembre 2007, l’EPR a fait exploser des gazoducs de la société d’Etat PEMEX (Petroleos Mexicanos) qui alimentaient des centaines d’entreprises. L’EPR maintient vouloir poursuivre la « lutte de masse contre l’oligarchie de ce gouvernement antipopulaire ».
La survie de ces mouvements insurrectionnels dépend des liens qu’ils entretiennent avec la criminalité organisée qui leur fournit des fonds et des armes en échange de la matière première dont elle a besoin : la drogue.
Le désarroi des forces de sécurité
Depuis le 1er décembre 2006, date de son intronisation, le président Felipe de Jesus Calderon Hinojosa, a déclenché – avec l’appui de Washington – une guerre aux cartels. Mais, les Zetas et autres groupes armés, ont lancé une véritable campagne d’intimidation à l’encontre des forces de l’ordre et, par ricochet, de la population mexicaine, en assassinant de nombreux fonctionnaires de police.
Le point culminant a été la mort d’Edgar Millan Gomez, le chef de la police nationale de Mexico et responsable de la lutte anti-drogue pour l’ensemble du pays. Il a été abattu à son domicile de neuf balles, le 8 mai 2008. Les autorités soupçonnent le cartel de Sinaloa d’être derrière ce meurtre. En effet, en janvier de cette année, Gomez avait supervisé l’arrestation d’Arturo Beltran Leyva, considéré comme le numéro deux de cette organisation criminelle. Il est facile d’en déduire qu’il s’agit d’une vengeance. Le 10 mai, Luis Antonio Roman Garcia, le numéro deux de la police municipale de Ciudad Juarez, était assassiné à son tour devant son domicile. Quinze jours plus tard, sept policiers étaient tués dans une embuscade tendue à Culiacan dans l’Etat de Sinaloa.
La pression est tellement forte que certains policiers désertent ou démissionnent. C’est le cas Guillermo Prito, le chef de la police de Ciudad Juarez, qui a préféré se réfugier à El Paso (Texas) après que son adjoint ait été assassiné en mai 2008. Il savait qu’il était le prochain sur la liste des personnes à abattre.
La guerre déclenchée contre les forces de l’ordre se poursuit avec intensité. Ainsi, à la mi-juillet, le responsable de l’unité trafic et contrebande de la Police fédérale préventive (PFP) et un de ses gardes du corps étaient assassinés dans un restaurant de Mexico. Le 24 juillet, c’était au tour de Salvador Barrero, le directeur d’une prison d’Etat, d’être abattu avec son garde du corps à Ciudad Juarez.
En conséquence, les services de police locaux semblent être inféodés à la pègre. Même au niveau fédéral, des cas de corruption ont été découverts. La menace physique pèse en permanence sur les décideurs. Ainsi, l’épouse d’un cousin germain du président Calderon a été assassinée 15 jours après son élection à titre d’« avertissement ». La violence due aux cartels mexicains dépasse désormais les frontières.
Les décideurs sont également soumis à une pression extraordinaire de la part des groupes criminels qui n’hésitent pas à employer à leur encontre la violence la plus abjecte pour parvenir à leurs fins. Par exemple, en décembre 2007, cinq personnes appartenant à des sociétés de sécurité travaillant sur l’aéroport international de Mexico étaient décapitées et leurs restes exhibés aux quatre coins de la ville. Les narco trafiquants avaient ainsi voulu se venger d’importantes saisies de drogue effectuées sur cette plateforme et lancer un avertissement à tous ceux qui collaboraient avec les forces de sécurité. Le même mois, la police de la ville frontalière de Rosarito était désarmée par les forces militaires afin de vérifier si des armes de service n’avaient pas été utilisées lors d’assassinats, dont celui du chef de la police de la ville !
* *
*
La situation sécuritaire au Mexique est actuellement dramatique et il y a peu de chance que cela évolue favorablement dans un proche avenir. Les municipalités et les Etats provinciaux sont considérés comme totalement gangrenés. Malgré les 35 000 militaires et policiers engagés dans la guerre contre les cartels à l’initiative du président Calderon, la situation est pourrie en raison de l’infiltration des services de sécurité par le crime organisé. Ceux qui sont incorruptibles se retrouvent sur des listes d’hommes à abattre de tueurs chevronnés qui n’hésitent pas non plus à s’en prendre à leurs familles. La peur règne au sein de la population qui, par crainte des représailles, ne coopère pas avec les forces de l’ordre. Les criminels et leurs proches, ne dédaignent même plus à se pavaner en public en exhibant leurs richesses acquises dans de juteux trafics. Quiconque oserait s’en prendre à eux serait impitoyablement puni : « plata o plomo » (« de l’argent ou du plomb »).
- [1] 2 703 de janvier à août pour 2008, alors que 2 673 victimes avaient été répertoriées pour toute l’année 2007.
- [2] Son frère Antonio Ezequiel Cardenas Guillen alias Tony Tormenta qui est à la tête du groupe « les scorpions » lui a succédé pendant quelques mois, mais il aurait rétrogradé dans la hiérarchie en raison de son incompétence.
- [3] Les Zetas cherchent à acquérir des missiles sol-air portables afin de pouvoir détruire en vol les hélicoptères de la police et des forces armées. Ils pourraient également les utiliser pour effectuer un chantage en menaçant les avions de ligne.
- [4] Il a été donné pour tué par les forces de sécurité le 5 septembre 2007. Aucun fait n’est venu confirmer cette mort.
- [5] Les autres chefs des Zetas sont Antonio Ezequiel Cardenas Guillén, Gregorio Sauceda Gamboa et son frère Arturo (Nuevo Laredo), El Caramuela, Héctor Manuel Sauceda Gamboa El Karis, Miguel Treviño Morales (Nuevo Leon), Arturo Basurto Peña, Velasquez Caballero (Quintana Roo et Guerrero), Cipriano Mendoza – alias El Remy – et Ernesto Zatarain – alias El Taca.
- [6] Un « cartel » a la haute main sur la totalité d’un trafic, qu’il soit de drogue, d’être humains ou autres. Il contrôle depuis la « production de la matière première », en passant par l’acheminement, jusqu’à sa distribution.
- [7] Dans cet Etat vivent plus de deux millions d’indiens : des Chinantèques, des Chontales, des Nahuas, des Zapothèques, etc.