Mexique : la guerre des cartels redouble de violence
Alain RODIER
Le 30 mars 2010, pour la première fois dans la guerre qui oppose les cartels de la drogue mexicains aux autorités, des membres de ces organisations criminelles s'en sont violemment pris à des bases militaires. Cependant, les affrontements n'ont pas tourné à leur avantage puisque dix-huit des leurs ont été tués, deux ont été blessés et deux autres appréhendés. Un seul militaire aurait été blessé.
L'attaque de garnisons militaires
Dans l'Etat de Tamaulipas situé au nord-est du pays, la base militaire de Reynosa s'est retrouvée assiégée par des véhicules qui formant des barrages destinés à empêcher les soldats de sortir. Parallèlement, les rues adjacentes de la base de Matamoros étaient bloquées par des sicarios (hommes de main des cartels). Simultanément, une patrouille militaire qui effectuait une reconnaissance sur la route fédérale 40, au niveau de la localité de General Bravo (Etat de Nuevo Leon à l'ouest du Taumalipas), a fait l'objet de tirs nourris en provenance de plusieurs véhicules. L'avantage restait à l'armée puisque les attaquants abandonnaient sur le terrain 54 armes à feu, 61 grenades à main, des projectiles de lance-roquettes anti-chars, huit IED et 6 véhicules civils blindés.
Quelques heures auparavant, les autorités avaient annoncé l'arrestation de Roberto Rivero Arana, un neveu d'un des deux chefs actuels des Zetas, Heriberto Lazcano[1]. Il avait été appréhendé en compagnie de Daniel Perez, le chef de la police de Ciudad del Carmen, qui est soupçonné avoir apporté sa « protection » aux Zetas dans cette ville portuaire de l'Etat de Campeche, en échange d'une rétribution de 16 000 dollars par mois ! Cette affaire démontre la corruption d'une partie importante des forces de police mexicaines. Lors de ces arrestations, dix armes à feu, une grenade à main, de la drogue, des uniformes de la police et des tenues estampillées au logo de la compagnie pétrolière d'Etat, Pemex, ont été saisies.
Les autorités ont affirmé que les actions lancées contre les militaires avaient pour origine les Zetas. Elles sont intervenues au moment où ces derniers sont en guerre ouverte contre le Cartel du Golfe, auquel ils appartenaient à l'origine. Leur objectif est de conquérir les territoires controlees par ce dernier : l'Etat de Tamaulipas et son voisin, l'Etat de Nuevo Leon. Ces actions peuvent être interprétées comme un signal donné aux forces armées, soupçonnées par les Zetas de soutenir le cartel du Golfe à leur détriment. Il faut savoir que de nombreux membres des Zetas sont des déserteurs de l'armée, ce qui ne plaide pas en leur faveur aux yeux des responsables militaires.
Il s'agit là d'un sérieux revers pour ce mouvement armé qui, pour une fois, c'est attaqué à du « trop fort » pour lui. Profitant de cet échec, les sicarios du cartel du Golfe ont poursuivi les membres des Zetas dans l'Etat de Nuevo Leon. Ainsi, des dizaines de gros 4X4 estampillés « CdG » (Cartel del Golfo) et arborant un grand « X » à l'arrière[2] ont parcouru la région, n'hésitant pas à ouvrir le feu sur des postes des forces de l'ordre soupçonnées entretenir des liens avec les Zetas.
L'affrontement des deux blocas criminels
Il existe aujourd'hui deux entités criminelles principales au Mexique qui se livrent une guerre sans merci pour le contrôle des routes de la drogue à destination des Etats-Unis :
- d'un côté, le cartel du Golfe, de Jorge Eduardo Costilla Sanchez, qui s'est allié à ceux de Sinaloa, de Joaquin « El Chapo » Guzman, et de la Familia Michoacana pour constituer une super organisation criminelle appelée la « Nouvelle fédération ».
- de l'autre les Zetas qui coopèrent avec le cartel de Juarez, dirigé par Vicente Carrillo Fuentes, et celui des frères Beltran Leyva.
Au printemps 2010, l'avantage serait en train de tourner au profit de la « Nouvelle fédération », les hommes de main du cartel de Sinaloa – Los Negros et Los Aztecas – étant en passe de gagner du terrain dans la région de Ciudad Juarez, ville située en face de la localité américaine d'El Paso et fief du cartel de Juarez. Pour leur part, les Zetas sont mis en difficulté au nord-est et à l'ouest du pays. En outre, à la fin de l'année 2009, le cartel des frères Leyva a subi des coups très durs de la part des autorités qui auraient reçu des informations « providentielles » permettant sa neutralisation partielle. Sur les cinq frères, il n'en reste plus que deux dans la nature : Hector et Mario Alberto. Cette organisation rencontre également de graves problèmes internes puisqu'un de leurs hommes, l'Américain Edgar Valdez Villareal – dit « la Barbie » – s'est retourné contre ses chefs pour tenter de prendre leur place à la tête du cartel. S'il y parvenait, ce serait la première fois qu'un cartel mexicain serait dirigé par un citoyen américain !
Une guerre plus meurtrière que les théâtres afghan et irakien réunis
Depuis décembre 2006, plus de 18 000 personnes ont été tuées au Mexique dans le cadre de la guerre contre la drogue déclenchée par le président Felipe Calderon. La majorité de ces morts, qui augmente de mois en mois, est à imputer aux cartels qui se livrent des combats sans merci. Les malheureuses victimes sont parfois retrouvées atrocement mutilées (le démembrement est devenu une spécialité locale) dans le but de transmettre des messages, soit aux autorités, soit, le plus souvent, aux organisations criminelles adverses. Cette véritable guerre fait aujourd'hui plus de morts que les conflits irakien et afghan réunis ! Il faut reconnaître que les enjeux financiers sont énormes puisque la grande majorité de la cocaïne produite en Amérique latine est commercialisée par les cartels mexicains.
Dans le nord du pays, la stratégie des cartels consiste à démontrer à la population qu'ils peuvent contrôler des zones entières du pays en empêchant les forces de l'ordre d'intervenir. C'est ainsi que, depuis le début de l'année, des groupes armés ont réussi à complètement isoler certaines localités – en particulier Maycoba et Guadalupe dans l'Etat de Sonora- pour y « faire le ménage » avant que les forces de sécurité ne puissent y revenir.
De plus, ils souhaitent que les militaires soient désengagés du combat. Cela se comprend lorsque l'on sait que les forces de police, qu'elles soient fédérales ou locales, sont extrêmement corrompues. Ces fonctionnaires n'ont d'ailleurs souvent pas le choix car la proposition suivante leur souvent est faite : « plata o plomo ? » (« argent ou plomb ? »). De plus, les sicarios n'hésitent pas à s'en prendre aux familles des fonctionnaires menacés. Les civils, pour leur part, ne peuvent pas se défendre alors que les riches Mexicains se payent des escortes armées et des véhicules blindés,. qui les mettent relativement à l'abri des actions des narcos.
Bien qu'en difficulté, la partie « Zetas, Beltran Leyva et cartel de Juarez » n'a certainement pas dit son dernier mots, ses membres étant de véritables professionnels de la violence[3]. Il est aisé d'en déduire que le jeu de massacre va perdurer dans les années à venir. Le président Calderon a jusqu'aux élections de 2012 pour démontrer qu'il peut rétablir l'ordre…
- [1] Le deuxième est Miguel Angel Trevino Morales.
- [2] Cet affichage a deux objectifs : éviter de s'entretuer par méprise entre membres du même cartel et, surtout, montrer à la population l'impuissance des forces de sécurité.
- [3] Le bras armé du cartel de Juarez s'appelle « la Linea » et il n'a rien à envier aux Zetas en matière de savoir faire car il est majoritairement composé d'anciens policiers.