Menaces de guerre dans la corne de l’Afrique
Alain RODIER
Durant l'été 2006, après la prise de Mogadiscio, les forces conduites par le cheikh Hassan Dahir Aweys- le président du Conseil suprême islamique de Somalie (CSIS) qui regroupe les différents tribunaux islamiques – ont continué à progresser. Elles se sont emparées de la ville de Beledweyne, des ports d'Harardhere, d'Eldher et d'Hobyo, tous situés au nord de la capitale. Une offensive se dessine pour s'emparer de la localité de Galkayo, la capitale de la région de Mudug, située à 600 km au nord de Mogadiscio. La prise de cette ville serait importante pour les forces islamiques car des fidèles d'Adde Muse – qui préside le Puntland – contrôlent actuellement la moitié de cette localité. L'objectif du CSIS est clair : unifier l'ensemble de la Somalie pour y établir la loi islamique, à l'image de ce que firent les Taliban en Afghanistan. Pour cela, les régions « indépendantes » du nord – le Somaliland (dirigé par le « président » Dahir Rivale Kahin) et le Puntland – doivent être conquises. Si cela se réalise, le Gouvernement fédéral de transition (GFT), dirigé par le Premier ministre Ali Mohamed Gedi – qui vient de renouveler son cabinet suite à la démission de 22 de ses ministres sur 102 – devrait tomber de lui-même.
Parallèlement, de nombreux membres des troupes dirigées par le Gouvernement fédéral de transition basé à Baidoa ont déserté pour rejoindre les forces islamiques.
Des instructeurs étrangers forment les forces du CSIS
L'ancien camp militaire d'Hilweyne situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Mogadiscio, accueille depuis cet été des instructeurs de nationalités afghane, pakistanaise e téthiopienne. Un premier contingent de 600 hommes a déjà bénéficié de leurs enseignements. Le Cheikh Aweys a déclaré que ces forces auraient pour mission de : « désarmer les civils, restaurer la loi et l'ordre et de défendre la Somalie contre les agresseurs intérieurs et étrangers ». La présence de ces étrangers fait craindre un renouveau de la nébuleuse Al-Qaida dans la région. De plus, si les gouvernements de Kaboul et d'Islamabad ne sont vraisemblablement pour rien dans la présence de leurs ressortissants, il n'en est pas de même pour Asmara. Cela laisse à penser qu'un accord secret a été passé entre l'Erythrée et le CSIS. En effet, l'ennemi commun est tout désigné : le pouvoir en place à Addis-Abeba. Selon plusieurs sources indépendantes, d'autres camps d'entraînement auraient été érigés sous la supervision de membres d'Al-Qaida. Le syndrome afghan est en train de se répéter (cf. Note d'actualité n°43 de juin 2006).
Un nouveau mouvement radical
Adan Hashi Ayro, un Somalien âgé d'à peine trente ans proche du Cheikh Hassan Dahir Aweys (ils sont tous deux membre du clan Ayr) a formé à la fin de l'été 2006 un groupe radical appelé Shabbab (Jeunesse). Ayro a été instruit dans des camps d'Al-Qaida en Afghanistan avant l'invasion américaine de 2001. Depuis 2003, il était déjà à la tête d'un groupuscule d'activistes qui a fortement contribué aux conquêtes des Tribunaux islamiques. Auparavant, il s'était livré à de nombreux assassinats dirigés contre des étrangers, des intellectuels et d'anciens membres de la police et des forces armées somaliennes. Il s'est surtout fait connaître sur la scène internationale, en janvier 2005, en profanant 300 tombes d'Italiens enterrés à Mogadiscio.
Les activistes de ce mouvement sont généralement des jeunes, souvent des enfants soldats, peu éduqués, extrêmement brutaux et sans scrupules. Cependant, ses troupes comportent également quelques anciens étudiants qui ont adopté un islam particulièrement radical et violent.
En plus de l'armement léger d'infanterie habituel (fusils d'assaut de type AK 47, armes anti-chars RPG 7, etc.), ils sont dotés de camions portant des mitrailleuses lourdes anti-aériennes qu'ils utilisent comme armes d'appui au sol. Ces forces sont extrêmement motivées, relativement bien entraînées et peuvent constituer à l'avenir des troupes de choc capables d'engager des combats à grande échelle.
Les nouveaux responsables
Plusieurs personnalités commencent à émerger au sein du CSIS comme Hassan Abdullah Hersi al-Turki, un ancien membre dirigeant du groupe Al-Itihad Al-Islamiyah (AIAI/Unité de l'Islam), créé par Oussama Ben Laden en 1993. Né dans la province éthiopienne d'Ogaden, il souhaite que cette région obtienne l'indépendance. Le Cheikh Yousouf Mohamed Siad – alias Yousouf Indha'adde – également membre du clan Ayr, est plus particulièrement chargé d'approvisionner le CSIS en armes et munitions. A ce titre, il a été nommé adjoint au sein du Comité exécutif du Conseil des Tribunaux islamiques. Son chef direct est en théorie le Cheikh Sharif Cheikh Ahmed, mais ce dernier semble avoir été écarté par des éléments plus radicaux. Depuis 2005, les armes proviennent essentiellement d'Erythrée, via l'aéroport de Baledogle, près de Mogadiscio, et le port de Marka. Depuis la prise de Mogadiscio, les armes entrent également dans le pays par le port de la capitale. Indha'adde paye ces acquisitions grâce au trafic de drogue – notamment du Qat en provenance du Kenya – trafic lucratif auquel il se livre depuis de longues années.
La résistance s'organise
Le GFT ne s'avoue pas vaincu. Ses forces se sont emparées de la ville de Wajid et de son aéroport, ce qui est d'une grande importance stratégique. Des contre-offensives ont été lancées par d'anciens chefs de guerre, théoriquement sous son contrôle. Ainsi, Hassan Awale Qeydiid a repris le contrôle de Bandiiradley, un petit village situé au centre de la Somalie.
Une partie de la plus haute importance est en train de se jouer en Somalie. Elle pourrait avoir des conséquences sur toute la Corne de l'Afrique. Car les islamistes radicaux somaliens n'ont pas pour seul but d'établir un Etat islamique dans leur pays. En effet, reprenant les revendications émises par la défunte AIAI sous l'impulsion d'Oussama Ben Laden, ils souhaitent créer un califat qui couvre la Somalie, l'Ethiopie, l'Erythrée et Djibouti. De plus, si la Somalie est talibanisée, des djihadistes internationaux pourront y trouver refuge et entraînement. Cela permettra à ces combattants de s'en servir comme base arrière pour relancer le Djihad dans les pays voisins (Kenya, Tanzanie, Yémen, Arabie Saoudite, etc.).
Ainsi, une guerre qui ne dit pas son nom est en train de se dérouler dans l'indifférence générale, l'opinion publique internationale étant focalisée sur d'autres sujets : Irak, Liban, Palestine, etc. Seuls les Ethiopiens et les Américains semblent en avoir pris la mesure.