Manuel jihadiste
Alain RODIER
Le 20 juillet 2018, le réseau Telegram a publié un manuel intitulé Le Jihad sans frontières – Les attaques en Occident dans une perspective islamique[1] d’un certain Abdullah Ash-Shaybani (ou al-Shaydani). Il y justifie le djihad et appelle les musulmans, particulièrement ceux qui vivent déjà en Occident, à mener des attaques localement. Faisant référence à diverses sources islamiques, il présente le concept de « Jihad sans frontières » qui, selon lui est du devoir de tout musulman qui en a la possibilité. Il désigne des cibles potentielles en demandant aux activistes de s’intéresser prioritairement à des objectifs militaires, policiers, politiques et économiques ou à toute personne ou organisation connue pour son « inimitié vis-à-vis de l’islam et des musulmans ». Le livre préconise des assassinats ciblés mais aussi d’autres méthodes qui visent des objectifs « où il y a le moins de chance de toucher des innocents » , par exemple des casernes ou installations militaires, des conférences politiques, des manifestations anti-musulmanes ou des bureaux semblables à ceux de Charlie Hebdo.
Sur le plan idéologique, il affirme que « beaucoup a été dit à propos du terrorisme islamique à la lumière des attaques récentes en Occident visant les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et nombre d’autres pays européens. Les politiciens et commentateurs occidentaux semblent avoir atteint un consensus comme quoi de telles attaques barbares n’avaient rien à voir avec l’islam et étaient le fait que d’une minorité d’extrémistes qui se revendiquaient d’une une interprétation erronée de la religion islamique pour justifier leur action. En fait, beaucoup de musulmans ont aussi fait écho à ces sentiments affirmant univoquement que ces opérations et individus n’avaient rien à voir avec l’Islam » renforçant en cela la narration occidentale. Toujours selon l’auteur, ce discours semble ignorer une voix importante – celle de l’islam -. Pour lui, les gouvernements et les médias occidentaux ont pendant de longues années tenté de dicter aux musulmans ce qu’est ou devrait être l’islam : une version compatible avec les idéaux occidentaux, ses principes et ses intérêts. Malheureusement, de nombreux musulmans, vivant notamment en Occident, ont commencé à être perdus avec ces discours opposés : celui de l’Occident et celui de l’islam. « Ainsi certains commencent à douter que le devoir de tout musulman au XXI° siècle (et auparavant) est celui du djihad ».
En étudiant l’argumentation de cet ouvrage, il semble qu’il émane plutôt d’Al-Qaïda « canal historique » que de Daech, les idéologues de cette dissidence de la nébuleuse ne s’embarrassant pas d’« innocents », car pour eux, tous ceux qui ne partagent pas leurs vues sont considérés comme des ennemis à éliminer. Par contre, cela démontre que les penseurs islamiques, quelle que soit leur affiliation, continuent à mettre au centre de leur réflexion le djihad dans son interprétation guerrière et non dans sa version édulcorée du « combat intérieur », si souvent énoncée et si pratique pour écarter toute critique vis-à-vis de la religion musulmane[2].
Le texte d’Ash-Shaybani rattache clairement le terrorisme islamique à la religion musulmane. Tant que les intellectuels musulmans n’auront pas levé ces ambiguïtés – et il est très difficile de concevoir comment ils pourraient y parvenir -, ce sont les salafistes qui se poseront comme les vrais et uniques défenseurs de la doctrine islamique. Certes, la très grande majorité des musulmans ne constitue pas une menace terroriste potentielle mais tous les terroristes islamiques se revendiquent bien de l’Islam.
Londres, le 14 août vers 07 H 37, un véhicule percute les barrières du parlement britannique faisant trois blessés. Le conducteur est aussitôt appréhendé mais refuse de coopérer avec la police : en clair, il se tait comme le droit l’y autorise. S’est-il inspiré de l’ouvrage cité plus avant ou Daech va t-il faire une revendication ? Vu le fiasco de l’opération, peut-être que personne ne va vraiment s’en vanter…
[1] Document en anglais de 68 pages en version PDF et daté du 4 octobre 2017.
[2] En France, il est encore légal de critiquer le contenu de textes religieux, mais pour combien de temps ?