Manoeuvres américaines en République Centrafricaine
Michel NESTERENKO
La presse a observé, au cours de l'été 2006 (Reuters 12 août 2006), la présence d'une société de "sécurité et de logistique" américaine bien connue au Texas, chargée la formation militaire des anciens rebelles du Sud-Soudan. On peut se demander pourquoi une société américaine (chrétienne) forme "officiellement", au vu et au su du gouvernement soudanais (islamiste), des bandes armées qui dans un passé très récent l'ont farouchement combattu ? L'action de la société du Texas à été autorisée par les néo-conservateurs du gouvernement Bush (Condoleeza Rice). Le limogeage de Donald Rumsfeld, suite à la défaite électorale des Républicains, va certainement affaiblir la société en question, qui, par ailleurs, ne peut pas reconnaître des agissements qui pourraient s'avérer "illégaux", voire pire.
De troublantes relations entre découvertes pétrolières et reprises de conflits
Pour comprendre les événements actuels, il faut les replacer dans leur contexte historique. Pendant 20 ans, la guerre du Sud-Soudan a causé près de 2 millions de victimes et 5 millions de déplacés, selon les ONG. Il faut ajouter à cela les 200 000 morts et 3 millions de personnes déplacées du Darfour. Or, tous ces affrontements internes ont commencé après les grandes découvertes pétrolières effectuées par la compagnie américaine Chevron, en 1976.
- 1983 : la rébellion inter-ethnique du Sud-Soudan redémarre.
- 1996 : le gouvernement applique la politique de "la terre brûlée" pour faciliter l'exploitation pétrolière (phénomène décrit dans de nombreux rapports internationaux). Dans la foulée le gouvernement américain Démocrate du Président Clinton impose des sanctions internationales et un embargo.
- 1999 : le pipeline chinois vers la mer Rouge permet l'augmentation sensible des exportations d'hydrocarbures.
- 2000 : changement du gouvernement aux Etats-Unis (arrivée des néo-conservateurs du président Bush). Le vice-président Cheney (auparavant président de la société de services pétroliers Halliburton) organise des réunions secrètes de responsables pétroliers américains à la Maison-Blanche, pour mettre au point une politique d'hégémonie américaine. Le gouvernement américain se rapproche du gouvernement de Khartoum et favorise les pourparlers avec les rebelles du Sud-Soudan, ceux-là même qui sont formés par la société du Texas aujourd'hui.
- 2005 L'exploitation pétrolière du Sud-Soudan bat son plein et l'allocation des « lots » s'étend vers la frontière ouest jouxtant la République centrafricaine (RCA), la Republique Democratique du Congo (RDC) et le Tchad.
Le développement d'une compagnie aérienne privée à Khartoum suscite une attention particulière. En 2004 une petite compagnie privée (créée en 1998) est recapitalisée avec des capitaux privés pour former Badr Airlines. Badr loue des avions russes Antonov et des avions cargo lourds Iliouchine IL 76 à des "coquilles" situées dans des ex-républiques soviétiques favorables aux intérêts américains. Plus particulièrement Badr loue des Antonov à British Gulf International, compagnie basée à Sharjah (Emirats Arabes Unis) et immatriculée à Sao Tome E Principe. Cet archipel indépendant est réputé être le porte-avions des contrebandiers américains vers l'Afrique de l'Ouest. De plus, Badr vend ses services par une autre société de Khartoum la African Logistic Support (ALS), qui elle même loue à Badr un avion cargo IL 76. Dans son prospectus, ALS propose des transports et de la construction de camps ! Il faut rappeler que la société militaire privée du Texas possède une expertise reconnue dans la "logistique".
La multiplication des actions souterraines américaines
Des sources confidentielles confirment la mise en place, à partir de 2000, d'une stratégie de l'industrie pétrolière américaine pour la zone frontalière Soudan-Tchad-RCA-RDC. Cela a pu être observé à travers l'effort de cartographie détaillée par moyens satellitaires, non militaires, mené par les acteurs économiques sur cette zone. Les entreprises américaines ont très probablement déjà identifié la localisation des ressources les plus prometteuses. Il leur reste donc à éviter l'appel d'offre pour les obtenir au moindre coût, comme c'est le cas pour certains sites miniers en RDC, qui ont été "alloués" par la force. Beaucoup d'observateurs affirment que le président Mzé Kabila a été assassiné par ses commanditaires lorsqu'il a refusé d'obtempérer à leurs demandes.
Les militaires français déployés en Côte d'Ivoire ont remarqué le très grand professionnalisme de la communication anti-française. Ceux qui cherchent à nuire aux intérêts de Paris dans la région s'appuient sur des agences de communication anglo-saxonnes afin de faire condamner, par la communauté internationale et le Tribunal Pénal International, les gouvernements favorables à la France, pour crimes contre l'humanité. Dans cette optique le communiqué de Reuters du 21 novembre 2006 montre avec quelle habileté linguistique – et sans preuve réelle – on laisse planer le doute sur le fait que les soldats gouvernementaux centrafricains sont responsables d'exactions sur la population. Il faut noter que ces actes de banditisme ont été perpétrés dans une zone pétrolière (Paoua), proche de concessions américaines aujourd'hui remises en cause, et qu'il est fort aisé pour des "rebelles" de s'affubler d'uniformes gouvernementaux et de se livrer à des massacres. Si le président centrafricain était désigné comme responsable par le TPI, il deviendrait facile pour les entreprises américaines de mettre en place une nouvelle équipe favorable à leurs intérêts.
Quelle stratégie adopter face à ces manœuvres ?
Le contexte semble favorable : la perte de pouvoir des néo-conservateurs à Washington ne va plus leur permettre de cacher leurs crimes sous le sceau du Secret Défense, ce que la présence de Donald Rumsfeld au Pentagone leur garantissait. Toutefois, il faut s'attendre à ce que certains acteurs américains utilisent une stratégie plus "douce", faisant largement appel aux techniques de la "guerre de l'information" de façon à faire condamner les dirigeants africains actuels par le TPI.
Face une telle stratégie, il est indispensable d'élaborer une réponse qui couvre plusieurs registres. La réaction doit comprendre 3 volets :
- une amélioration des contrôles de police dans les régions frontalières avec le Soudan, ou dans les régions à fort potentiel pétrolier, et la mise en oeuvre d'un renseignement performant de façon à garantir la stabilité des républiques ayant des frontières avec le Soudan ;
- une campagne de communication en direction des agences de presse internationales utilisant les informations (et les fuites) obtenues par le renseignement de police. Cette communication doit être conduite à partir d'une ville neutre avec un accès direct aux organes des Nations Unies et des ONG ;
- une gestion des ressources naturelles optimisée par des appels d'offre. Ceux-ci seront conduits après une évaluation indépendante du patrimoine, de façon à en fixer la valeur plancher réaliste. Cette gestion des ressources optimisée, à terme, coupera les sources de financement des rebelles et enrichira grandement les pays qui sont les cibles des attaques comme le Tchad, la RCA et la RDC.
Toute approche partielle serait vouée à l'échec et serait une aubaine pour les rebelles soutenus par les intérêts pétroliers d'outre-Atlantique, au détriment de ces pays et de la sécurité de leur population.