Mali : Oumar Ould Hamaha menace la France
Alain RODIER
Mi-octobre, Oumar Ould Hamaha, le chef opérationnel d'Ansar Dine, a menacé, les otages français et le président François Hollande. Il reproche à ce dernier de pousser les pays africains à tenter de reconquérir le Nord-Mali. Il a particulièrement déclaré que « la vie des otages français est désormais en danger à cause des déclarations du président français qui veut faire la guerre. Lui-même, sa vie est désormais en danger. Il faut qu'il le sache ». Par ailleurs, il affirme « nous sommes prêts à toutes les éventualités […] Si on veux enlever des otages français en Afrique de l'Ouest ou même en France, on peut le faire facilement ».
Les incohérences d'Oumar Ould Hamada
Toutefois, plusieurs incohérences accompagnent l'arrivée sur le devant de la scène médiatique d'Oumar Ould Hamaha.
Il était connu initialement comme le chef opérationnel d'Ansar Dine, celui qui a conquis Tombouctou[1]. Il se présente maintenant comme un porte parole du Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO). Par ailleurs, ses liens d'amitiés avec Mokhtar Belmokhtar, le chef d'une des plus importante katiba d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) au Sahel sont connus. Aussi, pour qui roule-t-il vraiment ?
Autre fait troublant, ni le MUJAO, ni Ansar Dine, ni Belmokhtar ne détenaient les otages français jusqu'à un passé récent. En effet, nos quatre compatriotes travaillant pour Areva[2] étaient les prisonniers de la katiba d'Abou Zeid et les deux géologues[3] ont été enlevés par celle d'Abbelkrim Taleb. Ces deux katibas, comme celle de Belmokhtar, dépendent officiellement d'AQMI.
Cela dit, le MUJAO détient toujours trois personnels diplomatiques algériens, après avoir assassiné leur chef, le vice-consul Tahar Touati ; il a libéré trois humanitaires européens en échange d'une rançon et de libération de trois activistes islamiques.
Il est vrai que les activistes islamiques au Sahel peuvent appartenir simultanément à plusieurs mouvements et que des questions se posent quant à l'affiliation d'Ansar Dine et du MUJAO à AQMI. Il est possible que ces groupes soient de simples katibas comme celles d'Abou Zeid, de Mokhtar Belmokhtar et d'Abdelkrim Taleb.
Le MUJAO a-t-il de l'influence sur les katibas qui détiennent les otages ou existe-t-il une réelle coopération entre-elles depuis la conquête du Nord-Mali ? En effet, auparavant, elles étaient indépendantes voire concurrentes. Une unification des différentes unités sous un commandement commun serait une catastrophe car cela démultiplierait leur pouvoir de nuisance. Mais alors, qui dirigerait cette nébuleuse ? Si l'on compare avec les précédents connus, il pourrait s'agir d'un conseil (Shurah) où tous les mouvements seraient représentés. Mais, généralement une personnalité émerge toujours en tant que « leader ». Il va falloir attendre pour voir !
En fait, il semble que les différentes unités islamiques se soient entendues pour se partager le terrain qui est assez vaste pour tout le monde : Ansar Dine à Kidal, le MUJAO et Belmokhtar à Gao – où ils ont été rejoints par une centaine de combattants nigérians de Boko Haram – et Tombouctou à Abou Zeid (avec des passages des autres unités dépendant formellement d'AQMI).
S'il n'y a pas encore de réelle coopération, une coordination minimale semble bien exister. L'objectif politique de toutes ces entités est la gestion des affaires courantes avec l'établissement de la charia (loi islamique). A plus court terme, il ne s'agit plus de passer à l'offensive vers le Sud du Mali ou vers d'autres pays voisins, mais de préparer la riposte à une opération de reconquête qui pourrait être lancée dans les mois à venir (six semblent un minimum). Pour ce faire, une intense campagne de recrutement a actuellement lieu en direction des jeunes maliens ainsi que l'accueil de volontaires étrangers. La deuxième phase consiste à les équiper et à les entraîner. La troisième consistera à les répartir dans de petites unités mobiles et indépendantes. Si une partie de ses recrues n'est pas très motivée – particulièrement les anciens membres du MNLA -, les plus jeunes sont faciles à fanatiser comme tous les enfants-soldats.
Toutefois, des rumeurs laissent entendre que Belmokhtar aurait été démis de ses fonctions de chef de katiba par Abdelmalek Droukdel, le leader d'AQMI. Cela fait des années que Belmokhtar n'obéit plus au commandement central d'AQMI. Cette destitution officielle serait le signe d'une réorganisation en profondeur du dispositif djihadiste au Sahel. L'Algérien Yayia Abou El Hama Al Jezairy – de son vrai nom Djamal Okacha, chef de la Seriyat el Vourghane – aurait été désigné comme nouvel « émir du Sahara » par Droukdel. C'est lui qui devrait coordonner les opérations d'AQMI dans la région.
Cette réorganisation pose tout de même des problèmes. Personne ne peut imposer à Belmokhtar de quitter sa katiba. Et il n'est pas dit qu'Abou Zeid accepte la tutelle de Yayia Abou El Hama.
La menace contre la France
Oumar Ould Hamaha a été très clair dans ses menaces énoncées contre la France. En premier lieu, des otages détenus risquent d'être assassinés. Le seul élément positif est qu'il ne contrôle vraisemblablement pas directement leurs geôliers et que ces derniers ont sans doute l'intention de les garder comme un précieux « capital » pour l'avenir[4].
Il a affirmé son intention d'éventuellement en enlever d'autres en Afrique de l'Ouest – en fait, tous les pays voisins du Mali sont « à risque » – ce qui n'est pas une surprise, mais aussi en France. La faisabilité d'une opération de ce type n'est pas à écarter. Encore faut-il qu'AQMI dispose d'une cellule assez professionnelle pour se livrer à une telle action, ce qui n'est pas évident. Le travail de renseignement de la DCRI est là pour déceler et neutraliser ce type de problème sur le territoire national, ce qu'elle fait fort bien.
La menace pesant sur le président français est plus de l'ordre de la « fatwa » que de la réalité. Cela dit, il n'est pas exclu qu'un illuminé tente un attentat suicide. Le moment le plus propice a lieu quand le président prend des « bains de foules ». Le Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) est parfaitement au courant de cette hypothèse qui, à priori, peut être déjouée assez aisément.
Les choix à faire par le pouvoir politique français sont dramatiques. Le président doit mesurer maintenant ce qu'est la solitude de sa prestigieuse fonction. Il n'est plus un « citoyen normal » mais celui dont les décisions vont engager la vie et la mort d'êtres humains. Devant de tels dilemmes où les intérêts vitaux de la France sont engagés, il serait utile qu'une union nationale se fasse pour donner toute sa crédibilité et sa force à la parole de la patrie.