Liban : le Fatah al-Islam s’oppose à l’armée libanaise
Alain RODIER
Les 19 et 20 mai, des affrontements violents ont opposé, dans le Nord du Liban, l’armée et les forces de sécurité intérieures (FSI) libanaises à des activistes du Fatah al-Islam, un groupuscule qui se revendique idéologiquement proche d’Al-Qaida. Les combats ont eu lieu dans la ville de Tripoli et aux abords du camp de réfugiés de Nahr al Bared.Ces heurts sont les premiers depuis des années à opposer les autorités libanaises à un groupe armé palestinien. Les accrochages ont tout d’abord débuté dans la nuit à Tripoli puis aux abords du camp de Nahr al Bared qui accueille quelques 40 000 réfugiés.
Selon un accord signé en 1969 entre les autorités libanaises et les Palestiniens, les forces de sécurité n’ont pas le droit de pénétrer à l’intérieur même des camps de réfugiés. Cependant, depuis quelques semaines, l’armée libanaise avait resserré son dispositif autour de Nahr al Bared de manière à tenter de contrôler les activistes du Fatah al-Islam. Au petit matin du dimanche 20 mai, en représailles, une patrouille de l’armée libanaise tombait dans une embuscade dans la région de al-Qalamoun, sur la route littorale, 10 km au Sud de Tripoli. 7 soldats étaient tués au cours de cette action. Enfin, dimanche matin, après des tirs nourris, les forces de sécurité investissaient un immeuble situé dans le quartier de Miteyn, à Tripoli. Les pertes qui pourraient encore s’alourdir en raison des nombreux blessés graves, s’élèvent à 47 tués : 22 soldats et membres des FSI, 19 activistes du Fatah al-Islam et 6 civils. Une dizaine de personnes ont été arrêtées. Le 20 mai après-midi, l’armée libanaise pilonnait, par intermittence, à l’arme lourde les positions de Fatath al-Islam du camp de Nahr al Bared. Dans la soirée du 20 mai, une bombe explosait dans le parking d’un supermarché à Beyrouth. Les autorités libanaises accusent la Syrie d’être derrière l’ensemble de ces événements qui serait une réponse à la création d’un tribunal international destiné à juger les responsables du meurtre de Raffik Hariri.
Al-Qaida au Liban
Même si dans leurs discours, Oussama Ben Laden et son adjoint, le docteur Ayman Al-Zawahiri ont placé la lutte contre Israël en tête de leurs priorités, l’organisation Al-Qaida n’a jamais réussi à s’implanter durablement, ni dans les mouvements palestiniens, ni au Liban. Cela est dû au fait que Téhéran et les dirigeants palestiniens ont toujours préféré tenir éloignés les activistes d’Al-Qaida de la région, question de reconnaissance internationale. Al-Zawahiri ne s’y trompe d’ailleurs pas puisqu’il a condamné violemment le Hamas en mars 2007.
En 2002, Moussab Al-Zarqaoui, le chef d’Al-Qaida en Irak, avait souhaité se rendre au Liban pour y implanter un réseau chargé de préparer des opérations terroristes sur le sol hébreu. Il en a été fermement dissuadé par les Iraniens dont il était alors un affidé. Par la suite, il a échappé à ses mentors des services secrets iraniens, mais n’a pas eu l’occasion de mettre son projet initial à exécution. Il était assez pris par ses « activités » en Irak. Il a été tué le 7 juin 2006 par les Américains.
En mars 2003, Ahmed Mohamed Hamed – alias Abou Mohamed al-Masri ou Farouq al-Masri – le chef du mouvement Esbat al-Ansar1, une émanation locale d’Al-Qaida, a été assassiné vraisemblablement par les services secrets iraniens. Depuis, ce groupuscule a cessé toute activité opérationnelle apparente, mais il serait en sommeil et dirigé par un certain Abdel Karim as-Saadi alias Hisham Sheidi.
En avril 2004, le Saoudien Ayman Samkari, soupçonné d’entretenir des liens avec la nébuleuse d’Oussama Ben Laden, a été arrêté au Sud-Liban par le Fatah. Or, ce mouvement ne pouvait intervenir dans cette région sans l’aval du Hezbollah libanais dirigé en sous-main par Téhéran et Damas. Il est cependant vrai que Samkari a été relâché une semaine après et a disparu dans la nature.
Enfin, il faut rappeler que durant des années, le camp de réfugiés palestinien de Ein Héloué, situé au sud de Beyrouth, à proximité de Saïda, a abrité le mouvement salafo-djihadiste Osbat an-Ansar (La ligue des partisans) qui était une émanation d’Al-Qaida.
Le Fatah al-Islam
Ce n’est que fin 2006 que l’on entend reparler d’un mouvement proche d’Al-Qaida. Il s’agit du Fatah al-Islam, créé officiellement le 26 novembre 2006. Quelques 150 à 200 activistes sont installés au sein du camp palestinien de Nahr al-Bared, situé au Nord-Liban, dans la région de Tripoli. Ces militants seraient majoritairement des Palestiniens (issus du Fatah Intifada) mais également des ressortissants syriens, saoudiens, tunisiens et marocains ayant effectué un séjour en Irak.
Abou Mouayed, l’un de ses dirigeants déclare à qui veut l’entendre : « libérer notre terre est un droit sacré inscrit dans le Coran ». Son leader, le Palestinien Chaker Al-Abssi (né à Jéricho en 1955) proclame pour sa part : « il n’y a de dieu qu’Allah » exprimant ainsi son dégoût de la corruption qui existerait selon lui, au sein des mouvements de résistance palestiniens. Recherché en Jordanie pour sa participation au meurtre du diplomate américain Lawrence Foley, le 28 octobre 2002, pour lequel Al-Zarqaoui a été condamné à mort par contumace, cet ancien pilote formé en Libye a purgé une peine de trois ans d’emprisonnement en Syrie pour son appartenance à Al-Qaida. Malgré les preuves flagrantes2, il persiste à nier tout lien du mouvement qu’il dirige avec Al-Qaida. Il en est de même pour le représentant du Fatah al-Islam à Tripoli, le Cheikh Omar Bakri Mohamed.
Déjà, en mars 2007, les autorités libanaises ont arrêté six membres de ce groupe (dont quatre Syriens) soupçonnés avoir perpétré les attentats à la bombe dirigés contre deux bus, le 12 février de la même année, dans la région chrétienne d’Aïn Alak, ,au nord-est de Beyrouth. Trois personnes ont été tuées et 20 autres blessées au cours de ces actions terroristes. Dans un premier temps, les autorités gouvernementales avaient accusé les Syriens d’être derrière ces attentats. Les suspects auraient avoué que le mouvement Fatah al-Islam souhaitait aussi s’en prendre à la FINUL installée au Sud-Liban.
Fatah al-Islam serait une scission du Fatah Intifada, mouvement lui-même créé en 1983 par le colonel Abou Moussa. Son ancien adjoint, Abou Khaled al-Aamlé, actuellement installé à Damas, aurait envoyé des djihadistes internationalistes au camp d’al-Bared pour renforcer la structure naissante du Fatah al-Islam. En retour, il est désormais considéré comme un renégat par le Fatah Intifada.
Conclusion
Malgré ses échecs successifs, il ne fait aucun doute qu’Al-Qaida tentera toujours de s’en prendre à l’Etat d’Israël en se rapprochant de ses frontières. Des indices sérieux laissent à penser que des activistes de la nébuleuse sont également installés au Sinaï et dans la bande de Gaza. D’autre part, les intérêts israéliens (et plus largement juifs) à l’étranger constituent des cibles prioritaires pour Al-Qaida qui voue une haine intarissable à l’égard de l’Etat hébreu.
Cependant, les autorités libanaises semblent avoir décidé de marquer un coup d’arrêt au développement du Fatah al-Islam. Le Hezbollah ne devrait pas s’opposer à cette volonté car, jusqu’à présent, il n’a pas toléré une moindre ingérence d’Al-Qaida dans ce qu’il considère comme étant sa zone d’action réservée.