Le soutien étranger aux forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC)
Alain RODIER
Le 1er mars 2008, les forces armées colombiennes menaient une opération militaire à l’intérieur du territoire équatorien. 25 personnes étaient tuées dont le numéro deux des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) : Raoul Reyes. Des matériels informatiques étaient saisis et leur contenu épluché. Si rien de bien nouveau n’est réellement apparu, le soutien accordé aux FARC par les régimes progressistes vénézuélien et équatorien étant déjà largement connu, les détails eux, se sont révélés très intéressants. Ils sont contenus dans 609,6 gigaoctets comprenant des documents, des images et des vidéos découverts dans les trois ordinateurs portables, les deux disques durs externes et les trois clefs USB saisis. Parmi eux se trouvent des messages adressés aux sept membres du « Secrétariat[1] » – l’organe de direction du mouvement – par Raul Reyes.
Interpol consulté en tant qu’organisme indépendant par le gouvernement colombien, a inspecté les matériels informatiques saisis afin de vérifier qu’ils n’avaient pas fait l’objet de manipulations de la part des autorités à des fins de désinformation. La conclusion est la suivante : « Interpol n’a trouvé aucun élément attestant la création, la modification ou la suppression de fichiers utilisateur sur l’ensemble des huit pièces à conviction informatiques postérieurement à leur saisie aux mains des FARC, le 1er mars 2008, par les autorités colombiennes ».
Bien sûr, les présidents Hugo Chavez (Venezuela) et Rafael Correa (Equateur), mis en cause par certains documents découverts, ont affirmé haut et fort qu’il s’agissait là d’une manipulation orchestrée par Washington dans le cadre d’un « plan impérialiste ».
Venezuela
Le régime du président Chavez s’inspire fortement de l’idéologie marxiste. Le bouillant ancien officier putschiste se voit en héritier de Fidel Castro. Son objectif est d’étendre ce qu’il appelle « la révolution bolivarienne » à l’ensemble de l’Amérique latine. Ses convictions personnelles font qu’il se sent idéologiquement très proche des FARC et qu’il pense que ce mouvement marxiste peut, à terme, renverser le pouvoir en Colombie. Cela lui permettrait de créer un « espace bolivarien » qui regrouperait les deux pays. Au marxisme de cette cause vient s’ajouter le vieux rêve historique du Venezuela d’annexer son voisin colombien, ce qui donnerait un avantage essentiel a cette union : l’accès aux deux océans : l’Atlantique et le Pacifique. C’est pour ces raisons que le régime en place à Caracas apporte depuis longtemps son aide – sans grande discrétion d’ailleurs – aux guérilléros colombiens.
Les informations tirées des matériels informatiques saisis ont permis d’éclairer un certain nombre de points. Ainsi, le soutien aux FARC par Caracas aurait débuté en 2002. De nombreuses rencontres de Comandantes des FARC (dont Ivan Marquez et Rodrigo Granda[2]) avec des officiels vénézuéliens (dont le président Chavez en personne) ont eu lieu. Il est de notoriété publique que Ivan Marquez réside en permanence au Venezuela et ne séjourne que temporairement en Colombie.
En novembre 2006, le pouvoir vénézuélien – par l’intermédiaire de son ministre de l’intérieur, Ramon Rodriguez Chacin – envisageait de développer un « projet stratégique » avec les FARC. Ces dernières devaient entraîner les forces vénézuéliennes à un conflit asymétrique qui serait déclenché si les Etats-Unis envahissaient le pays. Il est intéressant de constater que Caracas craint réellement une intervention militaire américaine et tente de s’y préparer.
Un message d’Ivan Marquez daté de janvier 2007, indique que général Hugo Carvajal, le chef du renseignement militaire vénézuélien et un autre officier général -dont l’identité n’a pas été dévoilée – allaient livrer « 20 bazookas » aux FARC la semaine suivante. Il ajoute que les livraisons d’armes russes au Venezuela devaient permettre d’inclure quelques containers destinés aux FARC. Carvajal aurait aussi discuté avec des membres des FARC de « finances, armes et politique frontalière ».
Un courrier de Rodrigo Londoño Echeverry alias Timochenko, un des membres du « secrétariat », fait état de la difficulté d’obtenir des « fusées ». Cependant, il ajoute que le Venezuela serait en mesure de délivrer les pièces nécessaires à leur fabrication. Il semble qu’il s’agisse en fait de missiles anti-aériens portables. A ce propos, Manuel Marulanda suggère, dans un courrier daté du 11 janvier 2007, que les rebelles ont décidé d’utiliser ce type d’armement contre les forces aériennes colombiennes, particulièrement dans l’est du pays. Optimiste, il affirme qu’en « un seul coup, nous pourrions abattre dix avions ». Exactement à cette même date, les FARC relâchaient deux otages qui étaient confiés au ministre de l’Intérieur vénézuélien. Toujours le même Timochenko affirme que les liens se resserrent entre les FARC et les forces armées vénézuéliennes, disant qu’il a visité un stand de tir ainsi qu’un « hall d’entraînement » installés au Venezuela. Il ajoute : « nous avons maintenant une usine de couture[3] et une pour fabriquer des grenades et nous sommes en train de construire diverses installations pour des hôpitaux ». Il décrit des « opérations où nos hommes sont équipés d’armes et d’uniformes vénézuéliens ». Il ajoute même que des chefs militaires vénézuéliens locaux ont embarqué des guérilléros à bord d’hélicoptères afin d’effectuer des reconnaissances.
Victor Julio Suarez Rojas – alias Briceños Suarez ou Mono Jojoy – proposait de demander à Chavez « de nous aider à obtenir les armes prévues dans le plan stratégique grâce à un prêt de 250 millions de dollars qui serait remboursé quand nous aurons pris le pouvoir ». Au moment où Reyes a été tué, Chavez s’apprêtait à fournir 50 millions de dollars. Chavez aurait aussi proposé de fournir les FARC en armes venant du Belarus. Dans un message codé, le secrétaire du Conseil de sécurité biélorusse, Victor Sheiman (un proche du président Alexandre Lukashenko), aurait discuté avec Chavez de cette possibilité. Caracas devait faire transiter ces armes par ses ports, particulièrement via Macaraibo.
Cette coopération ne se serait pas passée sans heurts. Ainsi, à la fin 2004, cinq militaires et une technicienne vénézuéliens auraient été assassinés dans la région d’Apure. Dans un courrier, Reyes affirme que « le président Chavez est ennuyé mais veut traiter cela politiquement et avec prudence ». Il aurait alors décidé, propagande oblige, d’imputer ces meurtres commis de sang froid aux paramilitaires colombiens. Il serait parfaitement au courant des exactions commises par les FARC, particulièrement les enlèvements, les extorsions et les meurtres dont sont victimes des éleveurs de troupeaux vénézuéliens. Il aurait décidé de laisser passer ces « provocations » en raison du rôle joué par les FARC dans l’extension de la « révolution bolivarienne ».
Equateur
Le président Correa se définit lui-même comme « humaniste et chrétien de gauche ». Même s’il ne peut objectivement pas être qualifié de marxiste, sa posture politico-sociale, si elle ne lui fait pas partager les idéaux des FARC, néanmoins, lui fait rejeter le pouvoir du président Uribe considéré comme l’émanation de l’impérialisme américain.
Le colonel Gustavo Larrea, le ministre coordinateur de la Sécurité intérieure et extérieure équatorien, a eu des contacts avec des membres des FARC. Il utilisait alors le pseudonyme de « Juan ». Officiellement, c’était pour négocier la libération d’otages. En fait, il semble que les discussions aient également porté sur une certaine coopération à la frontière colombienne. Des responsables militaires équatoriens locaux jugés trop peu coopératifs auraient même été volontairement écartés.
Plus grave, Manuel Marulanda Vélez, le chef historique de la guérilla marxiste colombienne, aurait ordonné le paiement d’une somme de 100 000 dollars fin 2006 pour aider au financement de la campagne du candidat Rafael Correa. Le 26 novembre 2006, lors du deuxième tour des élections présidentielles qui l’opposaient à Alvaro Noboa, Correa est élu avec 56,8% des suffrages ! Cela est mentionné dans un courrier de Reyes daté du 14 octobre 2007. Il y mentionne également une rencontre qu’il aurait eu avec le colonel Jorge Brito, qui faisait alors partie de l’équipe de campagne de Correa[4]. En outre, les hommes du 48e Front implanté à la frontière entre la Colombie et l’Equateur, auraient participé à une « collecte » au profit du candidat Correa qui aurait rapporté 300 000 dollars. Marulanda mentionne dans un de ses courriers : « nous serons aux côtés de Correa tant qu’il se maintiendra [au pouvoir] ».
*
La divulgation du contenu des matériels informatiques saisis a porté un coup très rude à la guérilla marxiste en Colombie. En plus des messages mettant en cause certains dirigeants politiques, les quelques 8 000 adresses e-mail trouvées constituent une mine d’or pour les services colombiens qui peuvent ainsi identifier de nombreux correspondants politiques, logistiques et opérationnels des FARC. Nombre d’informations recueillies n’ont pas été divulguées. Selon les rumeurs, certaines seraient très gênantes pour des personnalités de premier plan… Tout cela vient s’ajouter à la désertion de nombreux militants qui ne voient plus d’issue dans le combat entrepris en 1964 ! La dernière en date est celle de Nelly Avida Moreno – alias Karina – qui commandait le 47e Front dans la région d’Antioquia (province d’Uruba). Elle s’est rendue aux autorités le 18 mai 2008. Bien que n’occupant pas un poste hiérarchique très élevé, elle était un « exemple » pour toutes les militantes engagées dans le combat révolutionnaire.
Manuel Muñoz Ortiz alias Ivan Rios, un des membres du « Secrétariat » a été assassiné le 7 mars 2008 par un de ses gardes du corps qui a ensuite rejoint les forces colombiennes en apportant avec lui l’ordinateur personnel de ce dernier, dont le contenu n’a pas été dévoilé au public. A titre anecdotique, il a également apporté la main coupée de son chef comme « preuve » de sa disparition. Peu après, six gardes du corps de Mono Jojoy, auraient également tenté d’assassiner leur chef. Le complot aurait été découvert à temps. Trois des individus incriminés auraient été exécutés et trois autres seraient parvenus à s’enfuir. L’un d’entre eux se serait rendu aux forces colombiennes. Dans ces deux affaires, la récompense offerte de 5 millions de dollars n’est certainement pas étrangère à la motivation de ces rebelles en rupture de ban. Le résultat est que la suspicion est en train de s’étendre dans les rangs des FARC. Cette paranoïa va certainement nuire à l’efficacité opérationnelle du mouvement.
Cependant, la faiblesse actuelle des FARC ne permet pas d’affirmer qu’elles seront vaincues à court ou moyen terme. Il est en effet probable que la guérilla continuera à être active dans les mois et années à venir[5]. Par contre, ses méthodes vont évoluer de la guérilla au terrorisme. Les enlèvements qui sont considérés comme très payants devraient se poursuivre[6]. Il y a peu de chances que les otages politiques soient relâchés rapidement. En effet, ils représentent un atout important dans les mains des FARC. Il serait stupide pour eux de s’en priver.
- [1] Les membres du secrétariat actuellement opérationnels sont Manuel Marulanda (qui serait malade), Alfonso Cano (l’idéologue), Mono Jojoy, Joaquin Gomez et Rodrigo Londoño Echeverri.
- [2] Selon les documents saisis, ces deux responsables des FARC auraient rencontré le président Chavez en novembre 2007. Ils se seraient entendus pour créer des zones de repos et des hôpitaux à l’intérieur du territoire vénézuélien. Rodrigo Granda avait été enlevé par les services spéciaux colombiens à Caracas en décembre 2004. Après avoir été incarcéré, il avait été libéré le 5 juin 2007 en « geste de bonne volonté » par le président Uribe. Son objectif était alors de faciliter la libération des otages politiques des FARC. Le retour de Granda à des activités belliqueuses prouve que cette libération a été faite en pure perte.
- [3] Vraisemblablement, une fabrique d’uniformes.
- [4] Ce dernier qui serait très proche des thèses bolivariennes du président Chavez, a été nommé ambassadeur au Venezuela
- [5] Les FARC tentent depuis des années de s’établir à l’étranger. Ainsi, depuis 2002, ils utiliseraient la « Coordination Continentale Bolivarienne » (CCB) pour implanter des cellules officielles et clandestines dans 17 pays dont l’Allemagne et la Suisse.
- [6] En janvier 2008, leur nombre était estimé à 750, dont une cinquantaine de « politiques »