Le Sahel, terrain de jeu d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)
Alain RODIER
Le dimanche 27 avril 2009, l'organisation Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a menacé d'exécuter l'otage britannique Edwyn Dyer qu'elle détient si Abou Qoutada, qui est actuellement incarcéré en Grande-Bretagne dans la prison de haute sécurité de Long Lartin (Worcestershire), n'était pas libéré dans les vingt jours. Cette menace a été proférée via l'organisation al-Fajr, sur un site internet islamique.
Abou Qoutada – alias Omar Mahmoud Othman ou Abou Omar – est un citoyen jordanien considéré dans le passé comme le « bras droit de Ben Laden en Europe ». Vivant en Grande-Bretagne, il a été arrêté en 2002. Il a été relâché une première fois avant d'être réincarcéré en 2005. Il est menacé d'une mesure d'expulsion vers son pays d'origine où il a été condamné à la perpétuité par contumace.
Rappel des faits concernant les enlèvements survenus au Sahel
Fin 2008 et début 2009, de nouveaux enlèvements d'Occidentaux ont eu lieu dans le Sahel :
– Quatre touristes européens ont été enlevés le 22 janvier 2009 à la frontière entre le Mali et le Niger, alors qu'ils revenaient d'assister au festival de culture nomade « Tamadachit N'Azawagh » d'Andéramboukane (Mali). Il s'agissait du Britannique Edwyn Dyer, des Suisses Werner et Gabriella Greiner et de l'Allemande Marianne Petzold. Après des négociations ayant eu lieu via des équipes maliennes et burkinabaises et des responsables de tribus touaregs, les deux femmes ont été libérées le 22 avril, dans la région de Gao au Mali.
– Robert Fowler, envoyé spécial de l'ONU et ancien ambassadeur du Canada au Niger et son adjoint Louis Guay, ancien ambassadeur du Canada au Gabon, qui avaient été enlevés le 14 décembre 2008 dans la région de Tillaberi, dans l'ouest du Niger, ont été libérés à la même date et au même endroit.
Fait important : les otages n'étaient pas détenus par les mêmes groupes terroristes. En effet, dans la majorité des cas, les personnes enlevées le sont par des groupes purement criminels. Ces derniers « revendent » ensuite leurs prises aux mouvements islamiques radicaux, ce qui explique généralement le temps assez long qui se passe entre l'enlèvement et la première revendication officielle
Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) au Sahel
Comme le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) – dont elle est issue – l'organisation AQMI qui a été officiellement créée le 25 janvier 2007 a divisé l'Afrique du Nord en régions militaires. Le Sahel forme sa 9e région. Cette entité militaire a par la suite été rebaptisée l'« Emirat du Sahara » ( Imaratou Es-Sahra ). Selon les directives d'internationalisation de la guerre sainte prônée par Oussama Ben Laden, cet « Emirat » déborde désormais très largement sur les pays voisins : Mali, Niger, Nigeria, Libye, Mauritanie et Tchad.
Initialement, c'était Abdelkader Massoud Mokhtar Belmokhtar (MBM) – alias Abou Al Abbes ou Belaouer – qui était le chef de cette zone d'opération. Il était à l'époque fidèle au GSPC car il entretenait des liens d'amitié forts avec Amari Saïfi – alias Abderrazak le para ou Abou Haidara – le numéro deux du mouvement.
Les choses se sont dégradées après l'arrestation de ce dernier par le Mouvement pour la Justice et la Démocratie au Tchad (MJDT), en mars 2004, puis son extradition vers l'Algérie en octobre de la même année. Ne bénéficiant plus de soutien au sein des instances dirigeantes du GSPC, MBM a commencé à prendre ses distances avec le chef du mouvement, Nabil Sahraoui. Lorsque ce dernier a trouvé la mort en juillet 2004, son successeur Abdelmalek Droukdel – alias Abou Moussab Abdelouadoud ou Djafar Abdelouaddoud – ne s'est pas trouvé mieux disposé à son égard. En conséquence, en 2005, il a ordonné son remplacement à la tête de la 9e région par Abdelkader Benmessaoud – alias Moussab Abou Daoud. Le choix ne s'est pas avéré très judicieux puisque Abou Daoud s'est rendu aux autorités algériennes en juillet 2007. C'est aujourd'hui Yahia Djouadi – alias Yahia Abou Amar Abd El-Ber – qui est l'émir de l'« Emirat du Sahara ».
Le groupe El Moulathamoun de MBM
Cependant, tout ces bouleversements n'ont pas empêché MBM de continuer à diriger un groupe baptisé El Moulathamoun , héritier de la katiba [1] Achahada qu'il avait constituée dans les années 1994-1995. Son groupe est surtout actif à l'ouest du Sahel et plus particulièrement au nord-Mali [2] et en Mauritanie.
Même la direction d'AQMI a dû se rendre à l'évidence : elle ne pouvait se passer de ses services. En effet, c'est lui qui fournit en grande partie le mouvement en véhicules et en armement grâce à son activité de contrebandier, qu'il exerce dans la région depuis les années 1995 ! A noter qu'il fournit également les djihadistes mauritaniens d' Ansar Allah El Mourabitoune Vi Biladi Chinguitt [3], dont le chef est Abou Doujana, un Mauritano-Nigérien qui fut un de ses plus fidèles lieutenants.
MBM semble satisfait de sa situation car il jouit désormais d'une très grande indépendance. Début 2006, il avait d'ailleurs déclaré que les « décisions prises par Droukdel ne m'engagent pas ». Il faut dire qu'il a logiquement remarqué que les attentats suicides pratiqués dans le nord de l'Algérie ne ramènent rien alors que le contrôle des trafics – armes, migrants, drogue, cigarettes, etc. -, les braquages, les enlèvements et autres activités à caractère criminel rapportent gros. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est probable que l'enlèvement des deux diplomates canadiens ait été de son fait. Il est de notoriété publique que les gains recueillis par les activités criminelles auxquelles se livre MBM lui servent à autofinancer son combat. En effet, à la différence des pirates somaliens qui s'enrichissent de manière visible (construction de villas de luxe, achat de voitures rutilantes, etc.), MBM, qui reste très discret, ne semble pas intéressé par une autre vie que celle de nomade qu'il s'est choisi depuis 1995.
La katiba Tareq Ibn Ziyad
Un autre chef de guerre important plus loyal à Yahia Abou Amar est Abid Hammadou – alias Abdelhamid Abou Zeïd. Il est à la tête de la katiba Tareq Ibn Ziyad ou El Fatihine qui avait été créée en 2003 dans la 5e région (nord-est de l'Algérie) avant de rejoindre le Sahel.
Abou Zeid aurait participé aux côtés d'Abderrazak le para à l'enlèvement de 32 touristes occidentaux en 2003. Il aurait ensuite personnellement dirigé celui des Autrichiens Andrea Kloiber et Wolfgang Ebner, qui a duré du 22 février au 31 octobre 2008 [4]. C'est également son groupe qui aurait enlevé les touristes européens au Mali le 22 janvier 2009.
A noter qu'au moins trois autres katiba seraient placées sous l'autorité de Yahia Abou Amar : la Talaia es-Salafia (région de Djefla, Laghouat, Ghardaia), la El Nasr Aflou et la Mouhadjiroune (toutes deux localisées dans le djebel Boukhil).
La désinformation menée par les autorités algériennes
La presse algérienne, qui est souvent victime d'opérations de désinformation lancées par le pouvoir, a relaté plusieurs faits qui semblent plus que douteux.
– Le premier révèle qu'Abou Zeïd et MBM seraient en conflit ouvert depuis des années. Or ces deux hommes ont tous deux été des proches d'Abderrazak le para [5]. En juin 2005, ils ont participé conjointement à une opération baptisée Ghazouar Badr dirigée contre le poste militaire de Lemgheity en Mauritanie [6]. Enfin, la libération des diplomates canadiens détenus par MBM et des deux femmes aux mains de Zeïd paraît avoir été étroitement coordonnée car elle est intervenue au même lieu et à la même date. A noter également que ces deux enlèvements avaient été salués par Salah Abou Mohamed, le plus important porte parole d'AQMI, en ces termes : « nous sommes heureux de transmettre à la nation islamique la bonne nouvelle du succès des moudjahiddines dans la réalisation de deux opérations de qualité au Niger ». A l'évidence, ce discours ne constitue en rien un désaveu de l'action de MBM ! En réalité Abou Zeid et MBM paraissent bien s'entendre quand ils ne coopèrent pas directement.
– Le deuxième exemple de désinformation réside dans la rumeur qui a couru en 2007 faisant état de tractations qui devaient aboutir à la reddition de MBM. Rien de tel pour jeter le trouble dans l'esprit des militants de base. Or, non seulement MBM ne s'est pas livré, mais Alger l'a fait condamner à mort par contumace à deux reprises, ce qui semble prouver que les autorités n'ont jamais eu aucun espoir de le voir se rendre volontairement.
L'objectif de ces opérations de désinformation est clair : d'abord, créer la zizanie au sein d'AQMI de manière à tarir autant que faire se peut les sources de recrutement ; ensuite provoquer la reddition d'un maximum d'activistes qui voudraient bénéficier des mesures de clémence décidées par Charte pour la paix et la réconciliation nationale érigée fort intelligemment par le président Bouteflika.
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L'idée de l'échange de l'otage britannique contre la liberté d'Abou Qoutada ne vient sans doute pas d'Abou Zeid mais plus vraisemblablement de la direction du mouvement, donc de Droukdel en personne. Si cet horrible chantage fonctionnait, ce serait une victoire sans précédent pour AQMI qui apparaitrait ainsi comme un des alliés les plus efficaces d'Oussama Ben Laden.
Tout dépend des rapports qu'entretient Abou Zeid avec le conseil consultatif d'AQMI, l'organe dirigeant du mouvement. S'il en est le fidèle serviteur, il est à craindre que la menace soit mise à exécution. Toutefois, un point d'optimisme demeure : dans le passé, aucun otage occidental pris en Afrique du Nord n'a été assassiné, les ravisseurs préférant toujours toucher une juteuse rançon [7].
Le destin de ces deux malheureux otages est désormais dans les mains d'Abou Zeid. En effet, s'ils assassinent comme il l'ont prévu Edwyn Dyer à la mi-mai, ils pourront faire subir le même sort au Suisse Werner Greiner si la libération d'Abou Qoutada n'est toujours pas effective.
- [1] Une katiba est une unité combattante qui regroupe quelques dizaines d'hommes.
- [2] Belmokhtar a une épouse malienne d'origine touareg, ce qui lui facilité grandement la tâche dans ce pays.
- [3] Ce mouvement islamique radical mauritanien a vu le jour en septembre 2007.
- [4] Voir Note d'Actualité n°124 de mars 2008.
- [5] Les plus folles rumeurs ont toujours couru sur Abderrazak le para. Certains prétendent qu'il aurait été un agent infiltré des services secrets algériens, ce qui tendrait à expliquer pourquoi il n'est toujours pas passé en jugement. C'est oublier un peu vite que c'est également le cas pour Hassan Hattab, le fondateur du GSPC. A moins d'envisager l'hypothèse que le GSPC est une pure création du Département du renseignement et de la récurité (DRS), autrefois appelé Sécurité militaire (SM).
- [6] 15 militaires et 6 activistes ont trouvé la mort lors de cette attaque.
- [7] Seule une touriste est morte de déshydratation, mais il s'agissait alors d'un accident non voulu par les kidnappeurs.