La crise économique mondiale profite au crime organise
Alain RODIER
Le directeur du bureau drogue et criminalité des Nations Unies, Antonio Maria Costa a affirmé fin janvier 2009 que d'immenses quantités d'argent étaient actuellement investies dans le système bancaire mondial par le crime organisé. Selon lui, celui-ci profite des opportunités « en or » que lui offre la crise financière pour effectuer des dépôts ou proposer des prêts à ceux qui en expriment le besoin. Costa a ajouté : « l'argent est disponible et le besoin de liquidités est là. Je pense que tout le système est infecté ». Il a même indiqué que des banques (sans les citer nommément) ont été sauvées de la faillite grâce à des apports d'argent de la drogue à partir de la seconde moitié de l'année 2008.
D'autres activités pratiquées par la criminalité transnationale comme la contrefaçon et la contrebande prospèrent également en proposant sur le marché des produits que beaucoup de personnes ne pourraient acquérir autrement. Enfin, le trafic de migrants clandestins augmente aussi avec la crise. Les malheureux qui n'ont plus les moyens de trouver du travail chez eux, notamment en Afrique et en Amérique latine, espèrent pouvoir s'en sortir en migrant vers les pays riches comme l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord. Même si la récession est là, des entrepreneurs peu scrupuleux préfèreront toujours employer des clandestins qui coûtent beaucoup moins cher et qui peuvent être licenciés à tout moment. Cela est particulièrement vrai dans les secteurs de l'agriculture et du bâtiment.
Les investissements financiers criminels
Si les organisations criminelles transnationales (OCT) n'ont pas été à la base de déclenchement de la crise monétaire mondiale, elles ont, par contre, bien compris tout l'intérêt qu'elles pouvaient en tirer. En effet, leur plus grand problème a toujours été de blanchir l'argent sale fruit de leurs activités illégales : trafics de drogue, d'êtres humains, d'armes, racket, etc. Les sommes d'argent ainsi accumulées sont faramineuses. Rien que le trafic de drogue leur aurait rapporté quelques 246 milliards d'euros en 2008 !
Pour les OCT, le problème a toujours consisté à pouvoir réutiliser cet argent en le faisant passer le plus discrètement possible dans l'économie légale. Une solution consiste à investir massivement dans des banques et autres organismes financiers que la conjoncture rend moins regardants sur la provenance des fonds proposés et tant attendus sous peine de faillite.
La crise permet aussi aux OCT d'infiltrer de plus en plus l'économie légale. Ainsi, elles auraient racheté un certain nombre d'entreprises en perdition. Les OCT ont également élargi leurs activités d'usure palliant en cela la déficience des banques qui font de plus en plus de difficultés pour accorder des prêts. Pour mener à bien cette activité, les OCT utilisent souvent comme couverture des commerces d'achat d'or et de pierres précieuses, des joailleries et des bureaux de change.
Il semble que se soit en Italie que ces phénomènes sont le plus visibles. En dehors des établissements bancaires, les petites et moyennes entreprises qui ne peuvent plus emprunter auprès des institution financières se sont retournées vers les mafias. Selon une étude récente, ce serait ainsi 180 000 entreprises italiennes qui auraient eu recours à ce procédé. Sachant que les mafias italiennes génèrent quelques 100 millions d'euros par an, soit 7% du PIB du pays, les mafieux se sont empressés de prendre le relais en pratiquant des taux usuraires faramineux. Pour les malheureux qui n'arrivent pas à rembourser leurs emprunts, les mafias leur rachètent leur entreprise à bas prix. Des régions entières seraient ainsi en train de passer sous dépendance mafieuse.
Les autres activités du crime organisé sont aussi en augmentation
En raison de l'appauvrissement des populations, les contrefaçons (vêtements, médicaments, électronique, pièces de rechange, etc.) qui sont moins chères que les originaux et la contrebande seraient des activités en pleine expansion. La majorité des produits contrefaits sont d'origine asiatique et proviennent principalement de Chine. Les Triades et les Yakusa sont en première ligne pour ces trafics de plus en plus rentables. Par contre, beaucoup de faux médicaments proviendraient d'Inde.
L'augmentation des flux migratoires illégaux vers l'Europe occidentale et le continent nord-américain est aussi notable en cette période de crise économique mondiale. Les réseaux de passeurs ne savent plus où donner de la tête tant la demande est grande. Résultat : les prix exigés sont en constante augmentation. Comme la majorité des migrants clandestins remboursent après coup en se voyant ponctionner une importante partie (voire la totalité) de ce qu'ils peuvent gagner, ces périodes de remboursement de dettes devraient s'allonger notoirement. Etant donnée l'ampleur inégalée du nombre des volontaires au départ, les moyens de transport sont de plus en plus aléatoires, notamment en termes de sécurité. En conséquence, les pertes en vies humaines devraient croître notablement.
La mafia sait aussi profiter des calamités naturelles
De nombreux observateurs s'inquiètent d'ailleurs de ce qui va se passer dans les Abruzzes où un tremblement de terre de forte amplitude a détruit en partie la ville de L'Aquila le 6 avril dernier. Le gouvernement a promis de débloquer une somme de 12 milliards d'euros pour aider à la reconstruction. Les mafias italiennes vont certainement être attirée par ce pactole et par le fait que de nombreux chantiers vont être mis en œuvre dans un domaine où elles excellent : le bâtiment. Il semble que le clan Casalesi de la Camorra, qui sévit dans la région de Caserte, soit actuellement le mieux placé pour profiter des opportunités provoquées par cette catastrophe (Naples n'est qu'à 240 kilomètres).
Les triades chinoises, yakusa japonais, mafias albanaises, américaines et turques, les OCT originaires des ex-pays de l'Est et les cartels sud-américains ne semblent pas être en reste. Il est très difficile pour les autorités de lutter efficacement contre la montée en puissance spectaculaire du crime organisé car les montages financiers qu'il met en oeuvre sont très sophistiqués et les économies mafieuse et légale sont de plus en plus imbriquées.
Enfin, les décideurs politiques se trouvent de plus en plus souvent confrontés à un choix cornélien : accepter l'apport de fonds douteux ou laisser l'économie partir à la faillite. Ils sont fortement tentés de choisir la première solution qui est bénéfique à court terme. Cependant, à long terme, les OCT auront ainsi pris le contrôle de pans entiers de l'économie mondiale…