La Chine élargit sa sphère d’influence à l’Amerique latine
Alain RODIER
La Chine est le pays le plus peuplé de la planète avec 1,3 milliard d'habitants. Elle développe actuellement considérablement son économie, désormais la deuxième du monde. La croissance y est estimée à 9% par an. La Chine a un besoin vital d'importer du pétrole, du gaz naturel, de l'aluminium, du cuivre, du fer et d'autres matières premières. Ces ressources se trouvent en abondance en Amérique latine. Augmenter les approvisionnements en provenance de cette région du monde permettrait à la Chine de diversifier ses fournisseurs qui sont surtout actuellement la Russie, l'Indonésie, le Myanmar, le Kazakhstan, l'Ouzbekistan, l'Angola et le Soudan.
Voulant également régler le problème de Taïwan considéré comme une « province renégate » qui doit à terme rentrer dans le giron du pays, la Chine compte user de toutes les armes politiques qui lui sont offertes pour parvenir à ses fins. Il convient donc d'isoler Taïwan sur le plan diplomatique. Or, la majorité des 25 pays qui entretient aujourd'hui des relations diplomatiques avec Taïwan se trouve située en Amérique Latine : Panama, Costa-Rica,, Nicaragua, El Salvador, Honduras, Guatemala, Paraguay, République Dominicaine, Haïti, St Kitts et Nevis, St Vincent et Grenadines.
Le but de cette superpuissance émergente consiste aussi à concurrencer dans l'avenir les Etats-Unis, non seulement sur le plan économique, mais également politique, en offrant des solutions de substitution à l'hégémonie actuelle de Washington. Ce dernier point est particulièrement apprécié par de nombreux dirigeants sud-américains dont, en premier lieu, le président vénézuélien Hugo Chavez qui ne cache pas sa haine anti-yankee. Pékin ne dissimule pas non plus son intention de réformer le système de vote à l'ONU afin de se protéger des attaques portant sur la non application des Droits de l'Homme dans le pays.
Le tournant capital dans la politique chinoise à l'égard de l'Amérique latine est survenu lors du voyage officiel que le président Jiang Zemin a effectué en avril 2001 en Argentine, en Uruguay, au Brésil, à Cuba et au Venezuela. Ces visites ont été suivies, en novembre de la même année, par la tournée de Li Peng, le président du comité dirigeant le Congrès National du Peuple. En novembre 2004, le président Hu Jintao s'est rendu à son tour en Argentine, au Brésil, au Chili et bien sûr, à Cuba. 39 accords bilatéraux et 100 milliards de dollars1 d'investissements (prévus pour les dix années suivantes) ont été annoncés en cette occasion. En mai 2005, le président du parti communiste chinois, Jia Qinglin, a effectué un voyage en Colombie, au Mexique, en Uruguay et à Cuba.
La denrée la plus recherchée par la Chine reste le pétrole. Pékin a donc investi 1 milliard de dollars2 au Venezuela, cinquième producteur mondial avec 2,5 millions de barrils/jour. Dans ce domaine, la Chine prospecte également les marchés équatorien, argentin, colombien et mexicain.
Parallèlement, Pékin est devenu le deuxième partenaire commercial du Pérou (il n'en était que le 16e en 1990), le troisième pour le Chili (contre le 30e en 1990), le quatrième pour l'Argentine (14e en 1990) et le Brésil (18e en 1990). Les liens économiques se sont également considérablement intensifiés avec le Paraguay et l'Uruguay. En contrepartie, la Chine apporte sa technologie pour améliorer les infrastructures ferroviaires et portuaires et les télécommunications. A titre d'exemple, un investissement de 4,8 milliards de dollars est prévu pour moderniser les chemins de fer brésiliens.
Sur le plan militaire, Pekin ne reste pas inactif. Ainsi, le ministre de la Défense Cao Gangchuan s'est rendu au Brésil en 2004. Le vice-président de la commission militaire centrale, Xu Cailhou, a visité Cuba la même année. En outre, depuis 1990, il y a eu au moins un voyage par an d'une haute autorité militaire chinoise au Venezuela. Sur l'ensemble de l'année 2005, se sont plus de 20 visites d'autorités militaires qui ont eu lieu en Amérique latine !
Selon le général Bantz Craddock, commandant les forces américaines en Amérique latine, de plus en plus de cadres militaires sud-américains se rendent en République Populaire de Chine pour y suivre des stages de formation. Cela est en partie du au fait que Washington exige, pour signer des accords de coopération militaire, que les pays concernés s'engagent à ne pas poursuivre les militaires américains devant la cour criminelle internationale. La conséquence ne s'est pas faite attendre : des militaires chinois remplacent peu à peu leurs homologues américains.
Le président Chavez, qui maintient volontairement des relations tendues avec Washington, menace de vendre des avions américains à la Chine si les Etats-Unis persistent à refuser d'entretenir la flotte de F 16 acquise précédemment. La Chine a signé un accord de coopération militaire avec Caracas, mais également avec l'Argentine, le Brésil, le Chili, le Pérou et l'Uruguay.
En 1999, une coopération destinée à développer la technique des satellites-espions a été initiée avec le Brésil. La Chine a fourni les lanceurs et le Brésil la technologie dans le domaine des images digitales qui permet la haute résolution et l'imagerie en temps réel. La Chine pourrait également avoir accès aux installations de réception brésiliennes.
La collaboration avec La Havane s'est aussi considérablement accrue, surtout depuis que les Russes ont abandonné les stations d'écoute, particulièrement dans la région de Lourdes. Les techniciens chinois ont pris la relève de leurs homologues russes.
En Amérique du Sud, les phénomènes de pauvreté, de corruption et d'inégalité sont des facteurs qui poussent les électeurs à se désintéresser à la démocratie et au libre marché proposé par Washington. Les Etats-Unis sont plus considérés comme une superpuissance que comme un partenaire fiable. Les Chinois, qui ne sont pas très regardants sur la « moralité » commerciale, profitent à plein de la corruption de nombre de décideurs économiques et politiques pour arriver à leurs fins. La solution alternative qu'ils proposent en séduit plus d'un, même si Pékin sait qu'à terme, cela risque d'être contre-productif, l'Amérique latine devenant exclusivement un fournisseur de matières premières à moindre valeur ajoutée, ce qui ne peut que nuire à son développement technologique ultérieur.
Cette offensive politico-économique de Pékin en Amérique du Sud profite aussi du fait que Washington est actuellement occupé ailleurs. Cependant, il est plus que probable que la Chine va entreprendre le même type de confrontation avec les Etats-Unis dans d'autres régions du monde, particulièrement dans un premier temps, en direction du continent africain.