Israël : arrestation d’un espion iranien
Alain RODIER
Ali Mansouri, alias Alex Mans
Le 11 septembre 2013, le citoyen belge Alex Mans est arrêté à l'aéroport Ben Gourion alors qu'il s'apprête à quitter l'Etat hébreu. En fait, le Shin Bet, le contre- espionnage israélien, le soupçonne d'être un agent de Téhéran envoyé en mission de reconnaissance en Israël. En effet, il en est à son troisième séjour en Israël. Le premier a eu lieu en juillet 2012, le deuxième en janvier 2013 et le dernier a débuté le 6 septembre pour se terminer, menottes aux poignets le 11 septembre. Alex Mans a été interrogé pendant 9 jours sans bénéficier de l'assistance d'avocats et sa détention n'a été rendue publique que le 29 septembre.
Le recrutement et la manipulation
L'enquête révèle qu'il est né en Iran en 1958 sous le nom d'Ali Mansouri. Il quitte l'Iran pour la Turquie en 1980, soit un an après la révolution islamique. Il réside dans ce pays jusqu'en 1997, date à laquelle il obtient un visa pour la Belgique. En 2002, il devient citoyen belge par mariage, mais divorce en 2007. C'est à cette époque qu'il change d'identité pour faire « plus discret ». Entre-temps, il développe une affaire d'installation de vitres, céramiques et cloisons pour magasins.
Il retourne officiellement en Iran en 1997 où il se serait remarié. Il vit alors entre la Belgique, la Turquie et l'Iran.
Début 2012, il est approché par des officiers traitants de la division Al-Qods des pasdaran, le « service action » des gardiens de la révolution dirigé par le redoutable maître espion, le major-général Qassem Suleimani. Alex Mans connaît alors au moins trois interlocuteurs : Haji Mustafa, Haji Hamid Na'amati et Mahdi Hambadai (les identités sont vraisemblablement fictives). Il a donc été recruté par la division Al-Qods qui est chargé des opérations clandestines à l'étranger, le recueil de renseignements relevant plutôt du ministère du renseignement, le Vevak.
Après avoir reçu un entraînement dont il aurait détaillé les modalités aux enquêteurs israéliens lors de sa longue détention, Alex Mans reçoit pour mission de se rendre en Israël sous prétexte commercial. Il doit théoriquement y développer ses activités professionnelles et pour cela, nouer des relations avec des hommes d'affaires israéliens. Cela doit lui permettre de retourner y effectuer de fréquents séjours.
Il semble donc dès le départ, qu'il s'agissait d'une mission qui devait durer dans le temps. La somme d'un million de dollars pour sa contribution est avancée, mais le détail et les dates des versements n'ont pas été révélés par les Israéliens. Au moment de son arrestation, Alex Mans est trouvé en possession de photographies de sites sensibles israéliens comme la zone d'embarquement de l'aéroport Ben Gourion, mais aussi de l'ambassade des Etats-Unis qui se trouve en front de mer à Tel-Aviv. Il a eu l'occasion de la prendre sous plusieurs angles. C'est d'ailleurs ses activités de « photographe » qui auraient attiré l'attention des services de police sur lui.
L'agent aurait également détaillé aux enquêteurs les modalités de contacts convenues avec ses officiers traitants, afin qu'il soit débriefé et réorienté au retour de ses missions menées en Israël.
Le fait d'avoir photographié des sites sensibles laisse penser qu'il était en repérage d'objectifs pour des opérations offensives potentielles de type terroriste (appelé en jargon spécialisé des « reconnaissances à fin d'action »). Certes, tous les services secrets se livrent à ce type d'exercice, mais la volonté de monter des dossiers d'objectifs par les pasdaran demeure inquiétante. Cela signifie qu'ils envisagent de mener des actions offensives en Israël même, si le besoin s'en fait sentir.
Il est également à noter que le Shin Bet n'a pas jugé bon de « retourner » Alex Mans, ce qui est le must en matière de guerre de l'ombre. Peut-être était-ce trop difficilement réalisable.
Photos de l'ambassade américaine et de l'intérieur de l'aéroport Ben Gourion
trouvées en possession du présumé agent iranien.
Une affaire d'espionnage qui tombe au mauvais moment pour Téhéran
Cette affaire fait un peu désordre au moment où le nouveau président Rohani tente de faire des ouvertures en directions de l'Occident en général, et des Etats-Unis en particulier. Le major-général Suleimani aurait voulu saborder les efforts de Hassan Rohani qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Il est vrai que, pour un agent digne de ce nom, se faire prendre après avoir photographié des lieux dont on peut trouver d'excellentes vues sur internet semble pour le moins curieux. C'est d'ailleurs au cours de son dernier séjour en Israel qu'Alex Mans s'est intéressé à la représentation diplomatique américaine, dont les abords sont, d'évidence, très surveillés.
On ne peut donc s'empêcher de penser à ce que faisait dire Georges Lautner à son personnage représentant le chef des services secrets français dans son film Le professionnel : « vendu ? Non, donné… ». Cette éventualité n'est pas à exclure dans le cadre de la lutte d'influence qui se livre aujourd'hui au sommet de l'Etat iranien. Pour faire simple, il y a d'un côté les partisans de l'« ouverture[1] », autour du président Rohani, et de l'autre, ceux de la « ligne dure », autour des pasdaran dont le major-général Suleimani et son chef suprême, Mohamad Ali Jafari. Ces derniers, malgré la mise en demeure émise de ne pas se mêler de politique par le président et même par Ali Khamenei, multiplient les mises en garde à l'égard des velléités d'ouverture de Rohani. Ce double discours dans lequel excellent les Iraniens depuis des années ne devrait pas faciliter la compréhension de ce qui se passe dans la région par les chancelleries occidentales[2]. En fin de compte, rien de bien nouveau sous le soleil !
- [1] Politique destinée essentiellement à desserrer l'étau des sanctions internationales qui pèsent sur l'économie iranienne et qui peuvent, à terme, mettre en péril le régime des mollahs de l'intérieur.
- [2] Il est difficile de savoir si ce sont les chancelleries qui se trompent ou les pouvoirs politiques qui les coiffent. En ce qui concerne la politique étrangère française au Proche et Moyen-Orient, elle, fait penser à la phrase du regretté Edgar Faure : « ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent ».