Iran : Téhéran poursuit ses recherches militaires dans le domaine nucléaire
Alain RODIER
Le 3 décembre 2007, la Direction du renseignement national américain rendait publique une estimation affirmant que l'Iran avait arrêté son programme nucléaire militaire à la fin 2003 en raison des pressions internationales.
En plus d'interceptions de communications entre différents responsables iraniens se plaignant de l'arrêt de l'effort militaire dans le domaine nucléaire militaire, les renseignements ayant permis la rédaction de ce National Intelligence Estimate (NIE) étaient basés sur le fait que l'Iran avait détruit le complexe de Lavizan-Shian. Connues sous le nom de « Centre de préparation sur la technologie de défense avancée », ces installations centralisaient les recherches militaires dans le domaine nucléaire. En effet, des scientifiques iraniens travaillaient sur ce site sur des problèmes de miniaturisation et d'amorçage de charges nucléaires.
L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) devait inspecter les installations de Lavizan-Shian en juin 2004. Les autorités iraniennes, prévenues officiellement six mois à l'avance de cette démarche, commencèrent à détruire ce site en décembre 2003 (cf. vues ci-dessous), ces opérations durant 3 mois. A leur arrivée, les inspecteurs constatèrent que la terre avait été retournée sur quatre mètres de profondeur à l'aide de bulldozers. Cependant, les études approfondies de l'AIEA révélèrent des traces d'uranium enrichi à 20%, indice probant que des recherches nucléaires à caractère militaire avaient bien eu lieu sur ce site !
De plus, le complexe de Lavizan-Shian dépendait du Centre de recherche de physique appliqué (PHRC), un organisme subordonné au ministère de la Défense et non à l'Agence iranienne de l'énergie atomique (AIEO) qui a en charge le programme nucléaire « civil ». Pourquoi les militaires s'intéresseraient-ils au nucléaire alors que le but affiché par Téhéran est officiellement civil ?
Les trois vues montrent de haut en bas :
- le complexe de Lavizan-Shian (Lavizan I) le 11 août 2003,
- le même site après le 22 mars 2004 juste avant la visite des inspecteurs de l'AIEA en juin de la même année,
- le même endroit de nos jours. Ce site est devenu un complexe sportif dépendant de la municipalité de Téhéran.
Le NIE n'est donc pas faux : la partie purement « militaire » de la recherche nucléaire a bien été interrompue fin 2003 sur le site de Lavizan-Shian (Lavizan I). Le problème réside dans le fait que les Iraniens auraient déménagé l'ensemble des installations de Lavizan-Shian en les séparant en onze entités différentes réparties sur plusieurs autres sites. En plus de l'avantage de discrétion que cela représente, cet éparpillement des moyens peut aussi permettre de déjouer une « inspection impromptue » de représentants de l'AIEA [1]. En effet, hormis certaines recherches très caractérisées, chaque entité peut prétendre travailler dans un but apparemment purement civil, la finalité militaire n'étant avérée que si l'on relie l'activité de plusieurs complexes entre eux. Le revers de la médaille tient dans le ralentissement des travaux que cela entraîne.
Selon les Moudjahiddines du peuple , le groupe d'opposition iranien le plus structuré mais actuellement reconnu comme « terroriste » par les Etats-Unis et l'Union européenne, l'effort militaire nucléaire a repris progressivement dès la fin 2004 et non en 2007 comme le laisse entendre le NIE, qui ne parle lui, que d'une « possibilité ». A noter que ce mouvement qui semble détenir d'excellentes sources en Iran, aurait répertorié plusieurs nouveaux sites suspects.
Un complexe baptisé « Lavizan II » ou « Mojdeh » situé à quelques kilomètres au nord-ouest de Lavizan aurait récupéré une bonne partie des activités développées à Lavizan-Shian. Il jouxte l'ouest de l'université Malek Ashat qui, avec ce centre, constitue le « Centre de préparation et de technologie défensive avancée », organisme qui camoufle en fait la direction de la recherche militaire dans le domaine nucléaire. Ce site est dirigé par le brigadier-général des Pasdarans Hosseini Tash, qui est aussi secrétaire adjoint du Conseil suprême de la sécurité nationale (CSSN), la plus haute instance de défense en Iran. Tash a été un temps ministre de la Défense sous le règne du « réformateur » Khatami. En fait, c'est à cette époque que l'effort nucléaire iranien a été le plus important !
Son directeur scientifique, également membre des gardiens de la révolution, est le docteur Mohsen Fakhrizadeh Mahabadi, qui n'a jamais été entendu par les inspecteurs de l'AIEA. Pour le moment, Lavizan II n'a jamais été soumis aux inspections de l'Agence internationale. Or, ce centre s'occuperait particulièrement de la fabrication de polonium 210 qui, combiné à du béryllium également fabriqué sur place, permet de produire les neutrons nécessaires au déclenchement de la réaction en chaîne d'une arme nucléaire. Une partie des installations de Lavizan II auraient été enterrée entre novembre 2004 et février 2005. Enfin, en avril 2007, un « Centre de commandement et de contrôle » supervisant le programme nucléaire militaire iranien dans son ensemble serait entré en fonction à Lavizan II (Mojdeh).
Il serait supervisé par Moshen Fakhrizadeh Mahamadi, lequel dirigerait de nombreux scientifiques dont certains exerceraient leurs fonctions au sein de l'université Malek Ashtar : Naser Ehsani chargé de la production de Beryllium et de graphite pur artificiel ; Asghar Ebn Rassoul qui participe à la réalisation de centrifugeuses ; les autres scientifiques dépendant directement de lui seraient : Ali Mehdipour Omrani, Saiid Borji, Mehdi Tajdar, Bahman Toutiyaii, Fereydoun Abbasi de l'université Imam Hossein, Mehdi Fesharaki, Mohammad Hossein Ghezelayaq, Ali Karimi, Mansour Asgari, Mohammad Amin Bassam, Majid Rezazadeh, etc.
Vue aérienne de Lavizan II (Mojdeh). Les installations sont camouflées au milieu d'immeubles d'habitations. Ceci est destiné à éviter tout bombardement ennemi, lequel provoquerait des pertes civiles. L'université Malek Ahat est située autour du stade à gauche de la photo.
Un complexe enterré secret aurait été construit à partir de mars 2005 en pleine ville à proximité de Shahrak-e-Bazi (Miny-City) sur la route reliant Téhéran à Lashkarak. Son nom de code serait le « tunnel Hormuz ». Il s'enfoncerait à 50 mètres sous terre pour rejoindre quatre galeries parallèles, et ses parois seraient fortifiées afin qu'aucune radiation, qu'aucun bruit, qu'aucune émanation de toute sorte ne soient détectables depuis la surface. Le responsable de la construction de cet édifice serait l'ingénieur Hashemi Tabar. La firme chargée de la réalisation des infrastructures serait la Hara Company qui dépend de la principale société de génie civil contrôlée par les Gardiens de la Révolution, la Khatam Al Anbia . Les activités prévues dans ces tunnels souterrains ne sont pas connues, mais les mesures de protection et de discrétion prises laissent entendre qu'il s'agit de travaux sensibles ayant rapport avec des applications militaires.
Quartier de Shahrak-e-Bazi (Miny-City) où auraient été construits les tunnels souterrains « Hormuz ». Là également, la forte densité de population doit empêcher une éventuelle frappe aérienne.
L'université Imam Hossein situé au nord-ouest de Lavizan, regrouperait un département de physique nucléaire où des chercheurs travailleraient à des applications militaires. Le docteur Fereydoun Abbasi, adjoint du Docteur Fakhrizadeh, y conduit notamment des recherches sur l'enrichissement de l'uranium. Cette université qui dépend des Pasdarans est dirigée par le brigadier-général Ahmadian qui a pour adjoint Majid Soleimanpour.
Vue aérienne de l'université Imam Hossein où se déroulent des recherches nucléaires militaires dirigées par les Pasdarans.
L'université technologique de Sharif possède également un département de physique nucléaire qui participerait également aux recherches à caractère militaire.
Enfin, toujours dans la même région, il existe un important complexe de fabrication de missiles sol-sol capables d'emporter des têtes nucléaires. Il est connu sous le nom d'Hemmat et dépend de l'Aerospace Industries Organisation (AIO). En effet, il ne suffit pas de posséder la technologie nécessaire à la conception d'un engin nucléaire militaire, encore faut-il que cette charge puisse être adaptée à un vecteur dont les capacités soient crédibles. Les problèmes techniques rencontrés sont extrêmement complexes et la combinaison vecteur-charge nécessite de nombreux essais. Le centre d'Hemmat semble particulièrement qualifié pour répondre à ces demandes. Il est dirigé par le brigadier-général Danesh Ashtiani et produit déjà des missiles Ghadr 101 et 110 (versions améliorées du Shahab 3) d'une portée maximum de 2 500/3 000 km. L'unité chargée des applications militaires dirigée par Gholi Zadeh porterait le code « 2500 ».
Complexe de fabrication de missiles « Hemmat ».
Récapitulatif des installations nucléaires militaires iraniennes connues dans la région de Lavizan (Nord-Est de Téhéran).
D'autres centres sont soupçonnés se livrer au développement d'un programme nucléaire militaire, notamment ceux de Parchin et de Natanz. Ainsi, à Parchin, une technologie d'enrichissement de combustible nucléaire au laser serait en fonction Cependant, cette technique, qui a été expérimentée aux Etats-Unis et en France, est extrêmement compliquée. Il est donc peu probable que Téhéran ait obtenu des résultats concluants dans ce domaine. A Natanz (cf photo ci-dessous), les Iraniens après avoir testé des centrifugeuses de type P1 – dont la technologie avait été obtenue auprès d'Abdul Qader Khan, le « père » de l'armement atomique pakistanais – construiraient des centrifugeuses de type P2, de technologie allemande rebaptisées IR-2, également destinées à l'enrichissement de l'uranium. Selon certaines sources, les Iraniens seraient capables d'y obtenir assez de combustible à caractéristique militaire (25 kg d'uranium 235 enrichi à 90%) pour construire au moins une arme avant la fin 2008 !
Le site de Natanz est bien connu des experts. Ce serait l'endroit où l'Iran construirait des cascades de centrifugeuses P2 destinée à enrichir l'uranium afin de le rendre « militaire ».
Il est très probable que d'autres installations secrètes doivent exister ici et là, bien à l'abri des regards indiscrets, particulièrement ceux des satellites (d'où l'enfouissement de la plupart des installations).
Selon les Moudjahiddines du peuple, un de ces sites se trouverait à une trentaine de kilomètres au sud-est de Téhéran dans la région de Khojir sur un complexe de 120 km2. La couverture utilisée serait « Alizera Nory Industries ». Des travaux importants auraient repris depuis avril 2007 sur le site rebaptisé « Domaine d'expansion du déploiement de technologies avancées ». En fait, sur cet endroit très protégé qui est un lieu d'expérimentation de missiles sol-sol, des recherches dans le domaine de la conception de têtes nucléaires pour missiles seraient en cours. Ce programme ultrasecret développé sur une partie ultra sécurisée du complexe, serait connu uniquement sous le code « Nori 8500 ». Son directeur scientifique serait le docteur Mehdi Naghiyan Fesharaki, ancien directeur de l'Aerospace Industries Organisation (AIO).
Vue générale du complexe de Khojir. C'est sur ce site dédié au test de missiles sol-sol que le projet « 8500 » qui porte sur la réalisation de têtes nucléaires serait actuellement en cours.
Entrée du complexe de Khojir. Les postes de contrôle ainsi que les parkings visiteurs sont parfaitement visibles
Les Moudjahiddines du peuple désignent ces installations situées au sein du complexe de Khojir comme étant l'endroit où le projet « Nori 8500 » est développé (adaptation de charges nucléaires sur des ogives de missiles Shahab 3).
Entrées des tunnels creusés dans la montagne de Khojir. Ces installations feraient partie du projet « 8500 ». La visite d'inspecteurs de l'AIEA dans ces tunnels serait certainement instructive.
Installations situées au sud du complexe de Khojir. Ce sont vraisemblablement des aires de lancement de missiles sol-sol sur lesquels les scientifiques iraniens tentent d'adapter des têtes nucléaires (particulièrement des Shahab-3). Là également, une visite des inspecteurs de l'AIEA pourrait être utile. C'est la société Hemmat, filiale de l'entreprise aéronautique iranienne qui procède à ces tests.
Test d'un missile Shahab 3 sur lequel les Iraniens tentent d'adapter une tête nucléaire.
Schéma du Shahab 3. Le problème technique consiste à fabriquer une charge nucléaire assez miniaturisée pour qu'elle vienne se loger dans la tête (Warhead). Cette charge doit également être extrêmement résistante à la chaleur, aux vibrations afin de pouvoir parer aux phénomènes naturels de la balistique mais aussi à d'éventuelles contre-mesures adverses (en jargon de spécialiste, cette tête doit être « durcie »).
Il semble avéré que l'effort nucléaire iranien, qu'il soit civil ou militaire – et il est fortement probable que les deux se rejoignent – dépend totalement du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, les plus purs défenseurs du régime théocratique iranien. Les moyens colossaux qui y sont consacrés et le fait que l'Iran n'a aucun besoin, à court ou moyen terme, de l'énergie nucléaire civile, ne laissent planer aucun doute : l'objectif est bien militaire : se doter de « la bombe ». En outre, le général Hossein Salami, le commandant de la composante aérienne des Pasdarans a déclaré publiquement que l'Iran était capable de développer des missiles balistiques équipés de têtes militaires multiples. Ce type de missile ne se conçoit que s'il emporte des charges nucléaires ! En dehors des raisons géostratégiques et de prolifération avancées, cela représente un risque incontestable de la part d'un régime qui a affirmé à plusieurs reprises souhaiter la disparition pure et simple de l'Etat d'Israël.
Alain Rodier
Mars 2008
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[1] Plusieurs mois de préavis et d'âpres négociations sont nécessaires à l'AIEA pour conduire une inspection sur un site iranien.