Iran-Israël : la guerre des opérations « homo » bat son plein
Alain RODIER
En janvier 2012, une cellule terroriste qui préparait des attentats contre la représentation diplomatique israélienne et des rabbins de l'école juive Chahab, de Bakou (Azerbaïdjan) a été démantelée par les autorités locales. Trois personnes ont été appréhendées. Balagardash Dadashov, un Azéri qui vivait à Ardabil, en Iran, a été accusé d'être l'instigateur du complot pour le compte des services secrets iraniens. Il aurait proposé à Rasim Aliyev son beau-frère, et à Ali Alihamza Huseynov 150 000 dollars pour mener à bien ces assassinats.
Le lundi 13 février, deux motards plaçaient une bombe magnétique sur le côté arrière droit d'une voiture diplomatique israélienne à New Delhi. L'épouse de l'attaché de défense israélien qui se trouvait à bord pour aller chercher ses enfants à l'école a été gravement blessée lors de l'explosion. Des éclats de métal ont dû être extraits d'un de ses reins et de sa mœlle épinière avant qu'elle ne puisse être rapatriée vers Israël. Son chauffeur et deux passants ont également été légèrement blessés. Selon le chef de la police indienne, les exécutants étaient « très entraînés ».
Le même jour, le chauffeur d'un diplomate israélien en poste à Tbilissi, en Géorgie, remarquait un objet suspect collé contre le véhicule diplomatique garé à une centaine de mètres de l'ambassade de l'Etat hébreu. Les artificiers, prévenus aussitôt, désamorçaient une bombe magnétique.
Le lendemain, 14 février, une explosion accidentelle survenait dans une maison d'un quartier huppé de Bangkok. Trois hommes prenaient la fuite et l'un d'entre eux, dont la course était ralentie par une blessure, lançait un engin explosif sur un taxi qui avait refusé de le prendre en charge, avant d'envoyer une grenade en direction de policiers qui tentaient de l'appréhender. Cette dernière explosion le blessait très gravement aux jambes, obligeant les chirurgiens à l'amputer des deux membres inférieurs. Un passeport iranien au nom de Saeid Moradi était trouvé en sa possession. Un deuxième suspect était arrêté à l'aéroport de Bangkok alors qu'il tentait de prendre un vol pour l'étranger. Le troisième individu a réussi à rejoindre la Malaisie. Toutefois, il a été arrêté à Kuala Lumpur le 15 février.
Selon les autorités thaïlandaises, les objectifs de cette cellule – qui comportait également une femme ayant quitté la Thaïlande le 5 février – étaient des membres du personnel diplomatique israélien dont l'ambassadeur.
Un citoyen libano-suédois, proche du Hezbollah, avait déjà été arrêté à Bangkok, début janvier, en possession de 4 000 kilos d'engrais et du nitrate d'ammonium, les produits de base entrant dans la fabrication d'explosif artisanal. Cet élément inquiétant avait poussé les Américains et les Israéliens à mettre en garde leurs ressortissants voyageant dans le pays contre un attentat possible dans les zones touristiques.
Les représentations diplomatiques israéliennes à l'étranger avaient été recemment placées en état d'alerte renforcée car le 12 février était le quatrième anniversaire de la date de la mort d'Imad Moughnieh, le chef des opérations extérieures du Hezbollah libanais, tué dans l'explosion de sa voiture à Damas, opération attribuée au Mossad.
Les enquêtes se poursuivent avec la participation d'officiers du service israélien. Un des premiers éléments recueillis est que les bombes magnétiques de Bangkok, New Delhi et Tbilissi étaient composées d'un même explosif, ce qui indique qu'une seule et même organisation les a confectionné. Le fait que tous ces attentats aient eu lieu dans un laps de temps très court indique également qu'un seul service devait coordonner ces opérations.
Plus que la commémoration de la mort d'Imad Mougnieh, il semble que Téhéran ait voulu répondre aux assassinats de scientifiques iraniens travaillant dans le domaine nucléaire qui se sont succédés ces dernières années. Le processus de la mine magnétique a été employé à plusieurs reprises pour effectuer ces opérations Homo. Le fait d'utiliser la même méthode peut être analysé comme une « signature », Téhéran voulant bien faire comprendre aux observateurs avertis – dont le Mossad – d'où venaient les attaques. Une sorte de « retour à l'envoyeur » en quelque sorte !
Les Iraniens se sont attaqués, certes à des représentations diplomatiques israéliennes qui, traditionnellement sont sur le qui-vive, mais pas à des objectifs vraiment « durs ». Aucun diplomate de haut rang n'a été directement touché par ces actions. Seule l'épouse de l'Attaché de défense qui, certes possède un passeport diplomatique, a été atteinte alors qu'elle allait chercher ses enfants à l'école.
Les membres des commandos n'ont pas fait preuve d'un grand professionnalisme ni d'une imagination débordante. Les services iraniens nous avaient habitué à mieux dans le passé, il suffit pour cela de se rappeler de l'assassinat, le 7 août 1991 à son domicile de Suresnes, de Chapour Bakthiar, le dernier Premier ministre du Shah alors qu'il était protégé par une section de CRS.
Quel service a commis ces attentats ? Il convient de se rappeler que l'homme qui monte actuellement à Téhéran est le major général Qassem Souleimani. Il est le chef de la composante Al-Qods des pasdaran. C'est elle qui est chargée des opérations clandestines, aussi bien à l'intérieur qu'à l'étranger. Souleimani a la confiance du Guide suprême de la Révolution, l'ayatollah Ali Khamenei. Or, ce type d'opération ne peut se faire sans l'aval des plus hautes autorités du pays. Il est donc probable que ce sont des membres de cette unité d'élite qui sont passés à l'action. Par contre, ils ont très bien pu employer des agents extérieurs, comme les citoyens azéris cités au début de cette note et des membres du Hezbollah, inféodés aux pasdaran et qui présentent l'avantage d'être très bien implantés à l'étranger, via la diaspora libanaise.
Ces affaires sont aussi à rapprocher du projet d'attentat dirigé contre l'ambassadeur d'Arabie saoudite aux Etats-Unis en 2011 par Mansour Arbabsiar[1]. Il obéissait déjà aux instructions d'un membre de la division Al-Qods.
La tension monte actuellement de manière significative entre Tel-Aviv et Téhéran. L'Iran lance de véritables provocations, cette vague d'attentats en constituant une de plus. C'est à se demander si le régime des mollahs ne souhaite pas être la cible d'une attaque aérienne de l'Etat hébreu car cela bouleverserait alors les cartes du jeu au Proche-Orient. En effet, Téhéran n'a pas pour l'instant l'avantage face à ses rivaux, l'Arabie saoudite et le Qatar, qui jouent en rôle de premier plan dans les révolutions arabes en général et en Syrie en particulier. De plus, les difficultés intérieures se multiplient suite aux sanctions décidées par les Occidentaux. Rien de tel qu'une petite guerre pour remettre les pendules à l'heure et réunifier les Iraniens derrière ses dirigeants ?
- [1] Cf. Note d'actualité n°259 du 18/10/2011