Europe : la menace terroriste est réellement très élevée
Alain RODIER
Tous les responsables politiques, particulièrement français, parlent d’une menace terroriste élevée en Europe. A la longue, une partie du public ne semble plus y croire car rien ne se passe depuis un certain temps et l’oubli, malgré les multiples commémorations, fait rapidement son œuvre en dehors des personnes qui ont été directement ou indirectement touchées. Ce pouvoir d’absorption est d’ailleurs fascinant. C’est une véritable « arme » qui participe à la résilience des populations.
Mais tous les analystes spécialisés ne se font guère d’illusions : les seules questions qui se posent sont désormais : « quand » et « où » ? Les services de sécurité font tout pour parer cette menace et des arrestations ont lieu toutes les semaines ; mais la tâche est immense, les effectifs et les moyens restent limités et ne peuvent être augmentés indéfiniment. De plus, en raison de cet état d’alerte permanent, la lassitude due à la fatigue peut parfois gagner certains membres des services de sécurité et des forces de l’ordre, même si leur motivation reste intacte. Il leur est impossible de rester constamment totalement attentifs. Les attaquants ont l’avantage de la surprise car ce sont eux qui choisissent les réponses aux questions « quand » et « où », ne se préoccupant que du « comment ».
Tous les signaux sont au rouge. Depuis des semaines, et plus particulièrement depuis ces derniers jours, la propagande de Daech déverse de multiples appels au meurtre via ses différents canaux comme le « Centre de médias » An-Nur (édité en français) qui écrit le 29 novembre : « en tant que musulman, je me sens obligé de prendre mon camion et de me diriger vers mes ennemis à qui je vais infliger une vraie punition jusqu’à les affliger ». Le 27 du même mois il publie le texte suivant : « Ô Partisan du Califat, Les Soldats du Califat ont entraîné les adeptes de la mécréance dans une guerre et sanglante et éprouvante. Des affrontements féroces font rage dans chaque contrée et les mujahidin, arme à la main, affrontent, sans répit, les ennemis d’Allah afin d’éradiquer l’idolâtrie. Quant à vous, ô partisan(e)s du Califat, ô frères et sœurs en Allah, ne soyez pas dans l’attente des publications et communiqués ! Invoquez Allah, sans qui les victoires ne sauraient être possibles. Publiez et partagez les informations, prenez le contrôle des réseaux sociaux et participez à la guerre médiatique. Qu’Allah bénisse les mains par lesquelles la vérité éclate jour après jour ».
Indéniablement, ces messages sont destinés à des fidèles de la cause salafiste-djihadiste qui vivent déjà en Europe afin qu’ils se décident à passer à l’acte. A noter que la référence à l’islam est permanente et répétée.
Le dernier rapport d’Europol souligne d’ailleurs que la menace pourrait être le fait d’individus qui se sont autoradicalisés sur le net. Les moyens qu’ils pourraient employer vont du couteau au poids lourd lancé sur la foule. Il n’est pas impossible, toujours selon cette étude, que des véhicules explosifs et même des armes chimiques soient employées. En ce qui concerne les cibles, l’hypothèse la plus probable est l’attaque de « cibles molles », mais pas d’objectifs protégés comme des infrastructures du type centrales nucléaires. Il est légitime d’avoir quelques doutes sur ces assertions pour le moins optimistes.
Des Inghimasi qui viennent de l’extérieur ?
Le passage à l’acte d’individus implantés localement est la première menace. Toutefois, celle-ci provient également des volontaires au martyre qui se multiplient – pour venger les musulmans « assassinés » par les infidèles sur les différents théâtres de guerre -, notamment des femmes[1]. Ainsi, il n’est pas impossible que des commandos soient envoyés depuis le front syro-irakien ou de Libye.
Et c’est là que l’on reparle des Inghimasi (les « immergés »), les héritiers des Heyssessini (assassins). Cette appellation apparue en 2011 fait référence à des activistes qui partent au combat sans espoir de retour, mais qui, à la différence des kamikazes – les Istishhhadi – doivent combattre avant et ne se sacrifier que s’ils risquent d’être capturés ou de se retrouver à court de munitions.
Fréquemment employés en petits groupes sur le front syro-irakien et en Libye, ils existent au sein de tous les mouvements salafistes et Al-Qaida « canal historique » en a beaucoup utilisé. Il convient de ne pas oublier que cette organisation est responsable de l’attaque de la rédaction de Charlie Hebdo en janvier 2015 à Paris.
Les Inghimasi sont équipés d’armes d’infanterie – majoritairement de fusils d’assaut – et portent un gilet explosif. Si sur les champs de bataille, ils participent aux combats aux avant-postes, souvent revêtus de l’uniforme de leurs adversaires pour mieux les tromper[2], ils peuvent aussi mener des opérations de type terroriste à l’extérieur, notamment en Europe. Les activistes de Daech qui se sont attaqués au Bataclan et aux terrasses de café à Paris, le 13 novembre 2015, peuvent être assimilés à des Inghimasi. A la différence des kamikazes (Istishhadi) du stade de France, qui n’avaient pas d’armes à feu et qui devaient uniquement se faire exploser au sein de la foule, ils ont conduit des combats d’infanterie (plutôt des tueries puisqu’ils s’attaquaient à des civils désarmés) et ne se sont fait sauter qu’au dernier moment. En fait, le but des Inghimasi est de combattre le plus longtemps possible pour faire un maximum de victimes, ce qui les amène immanquablement à être coincés par les forces adverses sans être en mesure de s’exfiltrer. Ils choisissent alors de se sacrifier.
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Aux résidents islamistes convaincus et aux commandos infiltrés[3], il convient d’ajouter les migrants qui constituent un cheptel de recrutement particulièrement intéressant. En effet, ces populations rencontrent des conditions de vie pitoyables et certains risquent d’être tentés de rejoindre des recruteurs qui viennent leur expliquer que leur seul salut est dans la lutte.
Le sentiment principal qui motive tous ces aspirants au martyre est la haine de l’autre et la possibilité de rédemption par la violence qui va jusqu’au sacrifice suprême.
[1]
Qui, paradoxalement, ne sont pas en accord avec l’idéologie prônée jusqu’ici par Daech, qui leur refuse un rôle combattant direct.
[2] Ils sont alors utilisés en forces de rupture, accompagnant souvent un (ou des ) véhicule(s) bourré(s) d’explosifs conduits par des kamikazes dits Istishhadi. Ils peuvent aussi être employés en combat retardateur pour permettre aux autres combattants de s’exfiltrer plus facilement.
[3] Qui peuvent comprendre à la fois des Inghimasi et des Istishhadi.