ÉTATS-UNIS / RUSSIE : L’ESPIONNAGE COMME AU BON VIEUX TEMPS DE LA GUERRE FROIDE
Alain RODIER
Le 25 mai 2016, Evgeny Buryakov – alias Zhenya -, un citoyen russe de 41 ans, a été condamné à trente mois de prison par le tribunal du district sud de New York. Il risquait cinq ans pour ne pas avoir déclaré aux autorités américaines qu’il dépendait du SVR (Sloujba Vnechneï Razvedki), le Service de renseignement extérieur de la Fédération de Russie. La loi américaine peut parfois paraître un peu étrange, mais quand il est entré aux Etats-Unis, Buryakov a déclaré aux autorités qu’il ne se livrerait pas à des activités d’espionnage. Selon le tribunal, il a donc commis un parjure.
Historique de l’affaire
Pour comprendre cette affaire, il faut remonter à 2012 quand Buryakov est arrivé avec sa femme et ses deux enfants aux Etats-Unis pour travailler au sein du bureau new-yorkais de la banque d’Etat russe Vnesheconombank (VEB). Employé modèle du lundi au vendredi, il se livrait à des activités d’espionnage durant son temps libre. Il a reconnu les faits plaidant coupable lors de son procès.
Il semble que les services russes utilisent trois méthodes pour implanter leurs officiers de renseignement à l’étranger:
- il y a ceux qui bénéficient du statut de diplomate au sein de diverses représentations, par exemple aux Etats-Unis : l’ambassade, les consulats généraux et la représentation auprès des Nations Unies ;
- ensuite, certains agissent sous identité réelle dans des sociétés russes ayant pignon sur rue à l’étranger. Les plus connues sont les bureaux de l’Aeroflot ou de la presse russe.
- enfin, les « illégaux », qui eux bénéficient généralement une identité fictive avec un passé inventé ou reconstitué à l’image des dix agents arrêtés en 2010 aux Etats-Unis, dont la plus connue est la sémillante Anna Chapman 1
Buryakov entrait vraisemblablement dans la deuxième catégorie. N’entretenant pas de relations directes avec la centrale de renseignement russe, il avait comme contactx deux officiers traitants (OT) agissant sous statut diplomatique. Le premier était Igor Sporyshev, qui a occupé les fonctions « officielles » de représentant économique au bureau new-yorkais de l’ambassade de Russie du 22 novembre 2010 au 21 novembre 2014 ; le deuxième était Victor Podobnyy, qui a été affecté du 13 décembre 2012 au 12 septembre 2013 comme attaché de la Mission permanente de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies à New York. Les entrevues avaient lieu très fréquemment en utilisant des méthodes clandestines dont des messages codés
Les autorités américaines n’ont pas dit quand elles avaient commencé à s’intéresser à Buryakov, mais les comptes-rendus mis en avant lors du procès laissent penser qu’il avait été mis sous étroite surveillance dès le printemps 2014. En effet, les rencontres étaient surveillées, parfois enregistrées ou même filmées. Ainsi, le 28 mars 2014, Sporyshev a été enregistré demandant entre autres choses à Buryakov de faire des recherches sur « l’effet des sanctions économiques sur notre pays ».
Le 2 avril, lors d’une conversation téléphonique, toujours enregistrée par le FBI, Sporyshev demande à Buryakov de le rencontrer en dehors de son bureau vingt minutes plus tard. A moment de ces faits, le FBI a eu accès à l’ordinateur de Buryakov où étaient mentionné sur un moteur de recherche : « Sanctions Russia Consequences » et « Sanctions Russia Impact ». A n’en pas douter, Buryakov, qui avait lancé des recherches internet pour répondre à la demande de son OT n’avait pas de « source bien placée » capable de le renseigner. Or, ces recherches auraient pu être faites depuis l’ambassade ou même depuis Moscou !
Le 4 avril, un nouvel appel intercepté fixait un rendez-vous, toujours avec un délai de vingt minutes, précisant que Sporyshev avait rédigé une fiche de demande de renseignements. Les deux hommes se retrouvaient pour deux minutes sur un parking situé à proximité de lieu de résidence de Buryakov, à Riverdale. La rencontre filmée montrait l’échange d’un « petit objet » (une clé USB ?).
La manoeuvre du FBI
Tout cela était bien beau mais ne permettait toujours pas au FBI d’apporter des preuves d’activités délictueuses de Buryakov, un bon avocat pouvant arguer qu’il entretenait des relations « normales » avec des diplomates de son pays qui lui demandaient des informations économiques non classifiées, ce qui pouvait relever d’échanges dans le cadre de ses activités professionnelles d’employé d’une banque d’Etat. Le seul « hic » qui lui a été reproché par la suite est qu’il informait directement des officiers de renseignement et pas sa hiérarchie. Son chef n’aurait été mis au courant des activités annexes de son subalterne par un « ponte » du SVR que bien plus tard.
Le FBI a donc lancé une opération de provocation dont il a le secret. Aux Etats-Unis, elles sont parfaitement légales, ce qui n’est pas le cas en France, sauf exception rarissime (avec le risque de faire alors annuler la procédure). Deux agents du FBI agissant sous couverture prirent contact avec lui sous le prétexte d’un projet d’implantation d’un casino en Russie. Lors de ces rencontres, ils lui remirent des documents provenant soi-disant d’une agence gouvernementale américaine. Selon eux et comme par hasard, ils contenaient des informations potentiellement utiles pour la Russie, et en particulier portant sur les sanctions américaines. Bien sûr, l’occasion était trop belle pour Buryakov d’obtenir des informations exclusives qui ne sortaient pas des medias ou d’Internet. Il allait enfin pouvoir briller auprès du SVR. Mais il n’a pas vu venir le piège. En vrai professionnel, il aurait dû se douter que la mariée était un peu trop belle pour être honnête.
Cette opération a permis au FBI de remonter le réseau russe et de lancer plusieurs mandats d’arrêt en janvier 2015. Les deux OT « diplomates » étaient alors rentrés en Russie mais, même s’ils avaient été appréhendés, les conventions internationales auraient pas permis à Washington de les appréhender : ils auraient été expulsés après avoir été déclarés persona non grata.
La surveillance dont ont été l’objet les deux OT russes a permis de constater qu’ils tentaient aussi d’approcher des étudiants et des citoyens américains versés dans l’économie, ce qui montre qu’elle est un des axes de recherche des services de renseignement russes à l’heure actuelle. Par contre, il semble qu’ils ne rencontraient pas beaucoup de succès dans leurs manœuvres d’approche et que cela se ressentait sur leur moral.
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Profitant de l’aubaine, Washington joue les offusqués en affirmant que c’est un retour aux « heures les plus noires de la Guerre froide » et que les services de renseignement russes sont encore plus actifs aujourd’hui que par le passé. Cet épisode est à replacer dans la guerre d’influence que mènent les Etats-Unis contre la Russie. S’il est éminemment probable que, sous l’impulsion du président Vladimir Poutine – qui est parfaitement conscient de l’importance à accorder à la collecte de renseignements par des moyens parallèles – la Russie poursuit ses actvités de renseignement contre les Etats-Unis, Washington n’est pas en reste et fait exactement la même chose, mais avec des moyens techniques et financiers infiniment supérieurs. C’est pourquoi la posture de donneur de leçons de morale – pour ne pas dire de vierge effarouchée – adoptée par Washington fait sourire les hommes de l’art.
Pour revenir à cette affaire, il est surprenant de constater une fois de plus que le SVR semble faire preuve d’un manque de professionnalisme 2. Les OT russes se doutaient bien qu’ils devaient être placés sous surveillance par le contre-espionnage américain, c’est la routine habituelle du métier. Pour le moins, ils ont été peu discrets dans les relations entretenues avec leur informateur, en particulier pour les coups de fils passés à son bureau et les rendez-vous d’urgence menés sans aucune précaution. Quant à Buryakov, son amateurisme frise l’inconscience. Cela permet même de douter de son appartenance au SVR. Il n’était peut être qu’un agent extérieur ou un « Honorable Correspondant » (HC) s’il n’était pas rémunéré pour ses services. Par contre, sa famille aurait été prise en charge par Moscou. C’est la condition minimum pour un service de renseignement pour pouvoir bénéficier de nouveaux volontaires dans l’avenir.
- Son physique en a fait un objet de propagande après coup mais il ne semble pas qu’elle ait particulièrement brillé par les renseignements -très fantaisistes- qu’elle aurait glanés et livrés à Moscou. ↩
- Cf. Note d’Actualité n°441, « Un agent du SVR arrêté à Rome », juin 2016. Depuis la rédaction de cette note, Frederico Carvalhão Gil a été extradé vers son pays d’origine. Son OT russe est toujours incarcéré en Italie. ↩