Colombie : situation sécuritaire à l’automne 2008
Alain RODIER
La Colombie est l'un des pays les plus dangereux d'Amérique latine. La violence se concentre plus particulièrement dans les zones rurales et dans la jungle. Grâce à l'aide massive de Washington, les autorités de Bogota assurent un semblant de sécurité aux populations citadines et regagnent peu à peu le contrôle du pays, à l'exception de la jungle qui, par définition, est non contrôlable.
Le gouvernement colombien demeure confronté à trois problèmes majeurs : la criminalité organisée, les mouvements d'extrême-droite et les guérillas marxistes. Ces trois entités violentes se livrent toutes à des activités criminelles, en tête desquelles se trouve le trafic de drogue. Malgré la guerre déclarée à la drogue, les surfaces cultivées de coca (estimées à 99 000 hectares) ont augmenté de 27% en 2007, certes pour une production relativement constante.
La criminalité organisée
Actuellement, le Cartel del Norte del Valle est l'organisation criminelle transnationale la plus importante en Colombie. Historiquement, il peut être considéré comme le successeur du fameux cartel de Cali. Cependant, suite à l'arrestation et l'extradition de son chef Diego Leon Montoya Sanchez – alias Don Diego – vers les Etats-Unis en septembre 2007, puis à l'assassinat du rival de ce dernier (Wilber Alirio Varela) au Venezuela, le 29 janvier 2008, une lutte pour le contrôle de cette organisation criminelle transnationale (OCT) est engagée.
Le cartel del Norte del Valle est un amalgame de plusieurs clans qui généralement coopèrent, mais parfois se combattent, dans le but de se partager les profits financiers dus essentiellement au trafic de la cocaïne. Deux principaux camps se distinguent, quoique d'autres luttes intérieures y soient aussi engagées.
Le camp de Don Diego Montoya
Le camp de Diego Montoya est le plus puissant. Très structuré, ayant une grande expérience du trafic international de la cocaïne et possédant des filières importantes de blanchiment des profits financiers générés par ce commerce illicite, ses différents responsables se jaugent actuellement pour savoir qui va être le nouveau leader en remplacement de Don Diego Montoya. Ce round d'observation peut déboucher sur un accord global ou sur une guerre interne fratricide.
La personnalité la plus importante est Carlos Alberto Renteria Mantilla – alias Beto Renteria – âgé de 63 ans. Sa tête est mise à prix 5 millions de dollars par les Américains. Il a développé un important réseau de blanchiment d'argent sale qui passe par des sociétés agro-alimentaires, médico-pharmaceutiques et même par le club de football professionnel Cortulua, qui évolue en deuxième division colombienne. Renteria a son propre clan qui se charge de recueillir et d'acheminer de la coca, de soudoyer des fonctionnaires et parfois, d'éliminer les gêneurs. Les autorités policières pensent que Renteria a les capacités de prendre peu à peu le contrôle du camp Montoya puis, si la chance lui sourit, de l'ensemble du Cartel del Norte del Valle. Pour cela, il faut qu'il reste en vie ou ne se fasse pas arrêter suite à une « dénonciation anonyme ».
En effet, ses concurrents sont nombreux. Tout d'abord, il y a Jorge Ivan Urdinola Perea dit l'Iguane. Âgé de 43 ans, il est à la tête de la très puissante garde prétorienne de Montoya, appelée « Los Machos ». C'est peut-être lui qui aurait commandité l'assassinat de Varela pour venger l'arrestation de son patron. Il est vraisemblable qu'il représente aujourd'hui les intérêts de Montoya qui, depuis sa prison américaine, peut encore faire passer ses directives à l'extérieur. Il semble qu'il ait le soutien d'Oscar Varela Garcia – alias Capachivo (55 ans) – qui, quoique étant un ancien ami de Varela, s'est résolument rangé aux côtés de Don Diego.
Enfin, l'ancien guérillero des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), Gildardo Rodriguez Herrera alias Camisa Roja (40 ans), pourrait jouer les troubles fêtes en s'appuyant sur ses anciens amis politico-mafieux.
Le camp de feu Varela
Wilber Valera était le seul à s'opposer à Diego Montoya. Il a été assassiné au Venezuela le 30 janvier 2008. Son camp est plus dispersé. Cela est principalement dû au fait qu'il n'est pas organisé selon une structure pyramidale. En effet, Varela avait de multiples adjoints spécialisés (finances, branche armée, garde rapprochée, coordination du trafic de drogue, etc.), mais il dirigeait tout lui-même, n'ayant pas de second. C'est vraisemblablement ce qui a causé sa perte car, selon les enquêteurs, il aurait été assassiné par des proches qui souhaitaient nouer de nouvelles alliances avec l'« Iguane » du camp Montoya. En effet, les autorités soupçonnent fortement Luis Enrique Calle Serna – alias Combatiente (32 ans) – ou Combo et Diego Pérez Henao – alias Diego Rastrojo (34 ans) – d'avoir criblé de balles Varela et son garde du corps dans sa chambre d'un complexe touristique à Merida, au Venezuela.
Calle Serna dirigeait avec ses frères Javier Antonio et Juan Carlos toutes les activités de trafic de drogue vers l'étranger. Henao était le chef de la garde prétorienne de Varela, « Los Rastrojos »[1]. Si l'alliance avec l'« Iguane » se confirme, il est possible qu'elle s'oppose directement aux ambitions de Renteria du camp de Don Diego. Dans le monde criminel, les alliés d'hier peuvent être les ennemis de demain et inversement !
Un autre homme d'importance de l'ex-camp Varela pourrait faire valoir ses droits : Jaime Alberto Marin Zamora. En effet, en temps que financier du mouvement, il entretient de nombreuses relations d'importance. Il est épaulé par German Gomez Orrego, Jose Ignacio Bedoya et Roberto Londoño, des spécialistes du blanchiment d'argent. Leurs possibilités financières peuvent leur accorder les grâces de Julio Cesar Lopez Peña, le chef de l'appareil militaire de Varela.
Le contrôle du Cartel del Norte del Valle attire de nombreuses convoitises tant ses affaires sont florissantes. En effet, il fournit la plupart de la cocaïne colombienne aux Etats-Unis et à l'Europe où la demande explose depuis plusieurs années au détriment des drogues considérées comme plus « douces ». Si un semblant d'ordre est rétabli au sein de cette OCT, ses exportations de drogue vers l'étranger, déjà très importantes, vont considérablement augmenter.
Les milices d'autodéfenses colombiennes
Le 13 mai 2008, le gouvernement colombien a extradé vers les Etats-Unis 13 chefs des milices d'extrême-droite Autodéfenses nies de Colombie (AUC). Les plus grands leaders du mouvement font partie de cette « charrette » : Salvatore Mancuso[2], Rodrigo Tuvar Pupo, Diego Fernando Murillo, Herman Giraldo, Ramiro Vanoy, etc.
Le président Alvaro Uribe a rompu l'accord conclu le 13 mai 2004[3] avec les AUC dans le cadre de la loi « justice et paix »[4], car « certains continuaient à se livrer à la délinquance, d'autres ne coopéraient pas convenablement avec la justice et tous ne respectaient pas le cadre de l'indemnisation des victimes en occultant des biens ou en retardant leur remise ».
Ces responsables qui ne risquaient pas plus de huit années d'emprisonnement en Colombie, vont désormais être confrontés à la justice américaine qui pourrait se montrer extrêmement sévère à leur égard. Les accusés ont en effet inculpés de « complot pour importer de la cocaïne, complot pour produire et distribuer de la cocaïne, production et distribution de cocaïne, fourniture d'aide à une organisation considérée comme terroristes et blanchiment d'argent ». Ils encourent plusieurs centaines d'années de prison.
Traditionnellement très liées au pouvoir politique colombien[5], les AUC viennent d'essuyer un véritable affront de la part de président Uribe qui tient à démontrer qu'il se montre aussi inflexible avec les criminels d'extrême-droite qu'avec les FARC d'extrême-gauche. Il faut dire que de récentes études attribuent quelques 10 000 « disparitions » aux AUC entre 1996 et 2003, sinistre bilan qui place la Colombie devant l'Argentine de la dictature militaire en matière d'exactions ! Cependant, la rupture de cet accord laisse mal augurer des négociations qui pourraient avoir lieu dans l'avenir pour parvenir au désarmement des guérilleros, de quelque que bord ils soient.
Les héritiers des AUC
Depuis la reddition des AUC, de petits groupes de récalcitrants ont pris la relève. Ils sont surtout présents sur la côte des Caraïbes et à Cucuta, dans le nord-est du pays. Ces paramilitaires ont encore accentué leurs activités de trafic de drogue tout en s'opposant à la présence des FARC dans les territoires qu'ils contrôlent. Comme tous les cartels colombiens, ils exportent de la cocaïne vers les Etats-Unis et l'Europe. Cependant, ces groupes sont désormais indépendants les uns des autres et parfois, se livrent une guerre sans merci.
Les nouveaux chefs sont Alberto Mora Ricardo, Daniel Randon Herrera – alias Don Mario-, Mary Luiz Nova Carjaval, Daniel Barrera – alias le fou – et son adjoint Pedro Guerrero. Le groupe de ces deux derniers hommes assurerait le passage de drogue au Venezuela. Pour leur part, les frères Munera, qui étaient à la tête de l'organisation la plus importante avant leur neutralisation par les forces de sécurité, étaient en contact avec la ‘Ndrangheta calabraise[6] qui leur permettait d'exporter une demi tonne de cocaïne vers l'Europe tous mois. Miguel Angel Mejia Munera a été arrêté en mai 2008 et son frère Victor Manuel abattu en avril de la même année. Leur successeur n'est actuellement pas connu.
Les Forces armées révolutionnaires de Colombie
Les FARC ont été obligées de se réorganiser suite au décès de leur leader Manuel Marulanda et des revers importants subis depuis le début de l'année 2008.
Ainsi, sur les 7 membres que comportait le « secrétariat » (l'organe de direction du mouvement), 3 ont disparu depuis début 2008. Marulanda est décédé de mort naturelle le 26 mars ; Raul Reyes (le numéro 2) a été tué le 1er mars lors d'une opération menée par les forces colombiennes en Equateur ; et Ivan Rios a été assassiné le 7 mars (alors qu'il dormait) par son propre chef de la sécurité. Le successeur désigné de Marulanda est Guillermo Leon Saenz – alias « Alfonso Cano » – qui est considéré comme l'idéologue des FARC. Il semble que son autorité ne soit pas entièrement reconnue par les autres chefs militaires : Victor Julio Suare Rojas – alias Jorge Briceño ou « Mono Jojoy » -, Luciano Marin Arango – alias « Ivàn Marquez » – et Rodrigo Londoño Echeverri – alias Timoleon Jimenez ou « Timochenko ». De nouveaux membres ont été désignés au sein du secrétariat. Milton de Jesus Toncel Redondo – alias « Joaquin Gomez Usuriaga » – prend la place de Raul Reyes : Jaime Alberto Parra – alias « El Médico » – remplace Ivan Rios ; enfin, Jorge Torres Victoria – alias « Pablo Catatumbo » – y entre comme membre de plein droit[7].
Le mouvement est également considérablement affaibli par la défection de nombreux membres dont certains responsables militaires locaux[8]. Selon les autorités, 12 000 combattants auraient déserté depuis 1992. Les offres de récompenses lancées par Bogota et la lassitude ne sont pas être étrangères à ces défections. Il semble également que les services secrets colombiens aient pénétré profondément le mouvement. C'est pour cette raison que Bogota est à même d'annoncer médiatiquement des informations que les FARC sont obligées de confirmer postérieurement (la mort de Marulanda, la libération d'Ingrid Betancourt, celle du fils de Carla Rojas, etc.). Ces deux faits ne peuvent qu'accentuer la paranoïa destructrice qui existe dorénavant au sein des FARC.
De plus, les informations contenues dans les trois ordinateurs saisis lors de l'opération ayant eu lieu en Equateur et dans celui apporté par l'assassin d'Ivan Rios ont révélé de nombreux faits qui ont considérablement terni l'image de marque des FARC à l'étranger. A titre d'exemple, Alfonso Cano, le nouveau chef des FARC envisageait de commettre des attentats en Espagne en liaison avec l'ETA ! Ce fait n'est pas totalement nouveau lorsque l'on sait que les FARC et l'ETA ont développé dans le passé une sorte de « centrale d'achats » d'armements, le pourvoyeur principal étant la Camorra italienne.
A l'intérieur du pays, la population colombienne ne soutient plus les FARC car leur côté social s'estompe de plus en plus au profit de leur facette purement criminelle.
Il est possible que le mouvement éclate en de multiples entités non contrôlées par le pouvoir central et ne mènent désormais leur propre combat en s'appuyant encore un peu plus sur le trafic de drogue et les enlèvements crapuleux pour financer leurs besoins.
- [1] Ce groupe aurait été fondé en 2002 avec 50 anciens paramilitaires des milices d'autodéfense de Colombie (AUC). Son effectif aurait atteint 600 hommes.
- [2] Le successeur du créateur des AUC, Carlos Castaño qui a vraisemblablement été assassiné par ses pairs
- [3] Connu sous le nom de « Fatima ».
- [4] Il prévoyait notamment la non extradition des membres des milices paramilitaires.
- [5] L'actuel vice-Premier ministre Juan Manuel Santos, le ministre de la Défense Francisco Santos, Mario Uribe Escobar, un cousin du président Uribe (arrêté le 22 avril 2008) et 64 parlementaires auraient eu des liens avec les AUC.
- [6] La ‘Ndrangheta qui est la mafia italienne la plus active aujourd'hui, est aussi en affaires avec les FARC et le Carle del Norte del Valle.
- [7] Deux remplaçants sont également désignés : Félix Antonio Muñoz Lascarro, alias « Pastor Alape », et Bertulfo Ivarez, alias « Hermilio Cabrera Diaz ».
- [8] Le plus célèbre est Nelly Avida Moreno, une égérie du mouvement qui commandait le 47e front qui s'est rendue le 18 mai.