Chasse aux djihadistes d’Al-Qaeda en Somalie
Alain RODIER
Début mai 2005, les Américains ont lancé de nombreuses opérations de reconnaissance sur la côte nord de la Somalie. Une des régions visée est le Somaliland, nommé ainsi depuis que le clan Issak qui compose en majorité sa population a déclaré unilatéralement son indépendance en 1991. Une autre est le Puntland 1 (dépendant du clan des Darods), située à l'Est du Somaliland. Des informations font état de la présence de combattants islamistes internationaux dans ce secteur. Ils y seraient protégés par des militants du Al-Itihad Al-Islamiya (AIAI, Unité de l'Islam), mouvement créé en 1992-93 avec l'aide d'Ussama Ben Laden alors réfugié au Soudan. L'objectif principal des Américains est de retrouver le responsable opérationnel d'Al-Qaeda en Afrique de l'Est, le Comoro-kenyan Fazul Abdullah Mohamed 2 et l'officier recruteur d'Al-Qaeda, un certain Saleh Ali Saleh Nabhan. Cependant, il semble que Abdullah Mohamed ait fui vers les Comores.
Trois navires de guerre américains – dont un porte-hélicoptères – croisent actuellement au large des côtes nord de la Somalie. Un commando d'une vingtaine de Marines a débarqué le 5 mai dans le village côtier de Maydh (au Somaliland, à 200 kilomètres à l'ouest de Bender Cassim) et a interrogé la population en lui montrant des photographies de terroristes recherchés. D'autres Marines ont fait de même au port de Laasqoray (ou Las Koren) au Puntland. Des vols d'hélicoptères ont également été signalés dans la région de Berbera (Somaliland). Il est probable que des reconnaissances plus discrètes ont également lieu, d'autant que le clan des Issaks qui « gouverne » le Somaliland semble fermer les yeux sur ces incursions de troupes étrangères. Pour sa part, le Premier ministre somalien intérimaire, Ali Mohhamed Gedi, n'a même pas relevé les incursions américaines. Il faut dire que le 3 mai, il a échappé à la mort dans le stade de Mogadiscio lors d'une manifestation publique. 15 personnes ont été tuées dans une explosion présentée comme « accidentelle » : un des gardes du corps aurait dégoupillé une grenade par mégarde … 3
La Somalie reste une base privilégiée des djihadistes internationaux. En effet, à la suite de l'intervention de la coalition antiterroristes en Afghanistan, en 2001, de nombreux mouvements maritimes ont été détectés entre le Pakistan et les côtes somaliennes. Washington pense que des activistes islamiques ont fait partie du voyage. Peu à peu, ils se seraient réorganisés en se mêlant étroitement à certains clans locaux constituant l'AIAI, afin de ne pas être repérés. Depuis leurs repaires, ils tentent d'étendre leur influence au reste de la Corne de l'Afrique. Ainsi, le 19 février 2005, un Soudanais et deux Kenyans étaient arrêtés par la police kenyane à proximité de la frontière somalienne dans la région du fleuve Tana. Ils sont soupçonnés d'avoir voulu former une cellule clandestine qui envisageait la réalisation d'un attentat dans le pays.
Le responsable régional d'Al-Qaeda recherché par les Américains est Fazul Abdullah Mohamed. Il est accusé d'avoir été l'un des planificateurs des attentats du 7 août 1998 contre l'ambassade américaine de Nairobi. Il avait alors agi sous les ordres de l'Egypto-kenyan Mustafa Mohamed Fadhil, lequel avait également organisé l'attentat contre l'ambassade de Dar es Salam, en Tanzanie. Il ne fait plus guère de doute aujourd'hui que, non seulement les bombes utilisées ont été confectionnées en Somalie, mais aussi que les opérations ont été conçues et préparées dans ce pays. Fazul aurait ensuite été responsable des attaques contre des touristes israéliens résidant à l'hôtel Paradise, à Mombasa, le 28 novembre 2002 (16 morts, en majorité des Kenyans). Le même jour, il aurait lui-même tiré un des deux missiles anti-aériens portables SAM 7 contre le vol charter 582 de la société israélienne Arkia. Heureusement, l'appareil n'a pas été atteint. Entre ces deux opérations, il a trouvé refuge dans l'île de Siyu 4 où il aurait épousé (sous le pseudonyme d'Abdul Karim) une native, Amina Kubwa. Il aurait alors exercé la profession d'imam au sein d'une école coranique.
Saleh Ali Saleh Nabhan qui serait son subordonné, aurait été le deuxième tireur lors de la tentative de destruction de l'avion charter israélien au Kenya en 2002. Sa base arrière habituelle se trouverait à l'extrême sud de la Somalie dans la région de Kaambooni. Ils communiquaient entre eux par e-mails cryptés. Cependant, Saleh Nabhan peut avoir rejoint le nord du pays.
En 2004, les deux hommes programmaient une opération contre la nouvelle ambassade américaine située dans le quartier de Gigiri, dans la banlieue de Nairobi, au Kenya. Deux attaques simultanées devaient avoir lieu. Alors qu'un camion bourré d'explosifs devait tenter de pénétrer dans l'enceinte du bâtiment, un avion de location décollant de l'aéroport Wilson, situé au sud-est de la capitale, devait s'écraser sur l'ambassade. C'est à l'automne que les services kenyans ont réussi à déjouer cet attentat qui aurait pu être extrêmement meurtrier. La préparation de ces opérations aurait été décelée grâce à des écoutes effectuées par la NSA américaine. En effet, des appels téléphoniques de Saleh Ali Saleh Nabhan – qui se faisait appeler « Alex » – destinés à recruter des kenyans et à structurer un réseau de communications par e-mail auraient été interceptés.
Depuis, Fazul Abdullah Mohamed, se sachant pourchassé aurait rejoint les Comores. Les Américains l'y poursuivent avec détermination. Des troupes ont même débarqué à Moroni 5 où elles ont distribué des boites d'allumettes sur lesquelles figurent la photo du fugitif. En mars 2005, Fazul aurait été aperçu sur un kwassa kwassa (un type local d'embarcation) se rendant à Mayotte. La CIA le recherche actuellement dans cette île et en Grande Comore.
Ces affaires mettent en lumière que les régions côtièresde la Somalie, ainsi que les îles bordant le Kenya et la Tanzanie, servent de zone refuge et de recrutement pour la cellule est-africaine d'Al-Qaeda. Cela est du au manque de moyens des forces de sécurité locales, qui ne peuvent contrôler l'immensité de leur territoire. Cela est du également à la désorganisation politico-militaire de la Somalie et à la mauvaise coopération anti-terroriste entre les Etats de la région. Devant cet état de fait, Washington a décidé de mener directement, ou en liaison avec les pays « amis », sa chasse aux activistes d'Al-Qaeda. L'objectif de ces opérations est d'empêcher les terroristes de conduire des actions d'envergure dans la région.
- 1L'UNICEF a annoncé le 27 mai 2005 qu'elle se retirait du Putland, les conditions minimum de sécurité n'étant pas remplies pour pouvoir agir efficacement.
- 2Il s'agit d'un des dix terroristes les plus recherchés par le FBI. Tout renseignement le concernant peut faire l’objet d’une récompense de cinq millions de dollars
- 3A l’exception des dirigeants du Somaliland, les différents chefs de clans ont désigné un parlement fédéral qui a à son tour a élu le 10 octobre 2004 un président de transition en la personne de Abdillahi Youssouf. Etant donné l’insécurité qui règne en Somalie, le gouvernement a pris ses quartiers à Nairobi au Kenya. Le Premier ministre est chargé de négocier l’installation du nouveau gouvernement sur le sol somalien.
- 4Archipel de Lamu au large des côtes kenyane, aussi appelées îles Pate.
- 5Dans cette île, l’école coranique d’Hadouja est dirigée par Soidiki Mbapandza, l’ancien maître de Fazul Abdullah Mohamed.