Cas Uniross : le patriotisme économique à l’épreuve des faits
Éric DENÉCÉ
Depuis plusieurs années, acteurs publics et privés réclament une doctrine de sécurité économique, qui permette de définir clairement les intérêts nationaux dans la compétition commerciale et technologique mondiale. Si une telle doctrine n'existe pas encore – certains considèrent que l'ordonnance de 1959 sur la défense économique suffit encore – plusieurs initiatives gouvernementales vont déjà dans le sens d'une clarification : création du poste de Haut responsable à l'intelligence économique auprès du Premier ministre, promotion de la notion de patriotisme économique, mise en place des pôles de compétitivité, lancement d'un fonds souverain à la française par le président Sarkozy, plan de soutien à l'activité et aux entreprises, nomination d'un médiateur du crédit, etc.
Toutefois, ces mesures apparaissent encore insuffisantes ou inopérantes, car elles ne sont pas de nature à mobiliser tous les acteurs et à les contraindre à jouer leur rôle, comme l'illustre l'analyse des difficultés rencontrées par l'entreprise Uniross, pour poursuivre son développement malgré la crise.
La nouvelle volonté gouvernementale d'appuyer les entreprises stratégiques
Du patriotisme économique…
Issue du rapport Carayon[1], l'expression « patriotisme économique » a été adoptée par les autorités gouvernementales en juillet 2005, par la voix du Premier ministre Dominique de Villepin, à la suite des rumeurs d'OPA hostile sur Danone.
Ce concept vise à élargir les objectifs du gouvernement à la défense des intérêts nationaux via le soutien de l'activité des territoires, des pôles de compétitivité et des entreprises françaises grandes et petites, grâce à l'innovation.
L'élément moteur en est la volonté de protéger les entreprises françaises jugées stratégiques ou situées sur des marchés "sensibles" contre les agressions extérieures. Une telle démarche ne pouvait avoir lieu sans désigner les secteurs stratégiques – tels la recherche ou la sécurité des systèmes d'information – et réglementer les acquisitions (OPA) des sociétés par des capitaux étrangers.
En conséquence, un décret visant la protection des secteurs jugés stratégiques par l'État a été publié au Journal officiel du 31 décembre 2005 qui définit les domaines prioritaires : la recherche ; la production en matière d'armement ou toute industrie fournissant le ministère de la Défense ; les systèmes de technologies de l'information pouvant être utilisés dans les domaines civil et militaire ; la sécurité privée ; la lutte contre "l'utilisation illicite, dans le cadre d'activités terroristes, d'agents pathogènes ou toxiques" ; la cryptologie ; les systèmes d'interceptions ; et de manière plus surprenantes, les jeux d'argents.
… Au Plan de soutien à l'activité et aux entreprises
En réponse à la crise financière qui, depuis l'été 2007, paralyse le système bancaire et frappe notre économie, le gouvernement a pris deux mesures :
– un Plan de financement à l'économie, destiné à fournir des liquidités aux banques impactées par la crise. L'objectif est éviter l'effondrement du système financier et de rétablir la circulation des capitaux et du crédit. Pour autant, l'Etat ne signe pas un chèque en blanc aux banques : le gouvernement a demandé des contreparties aux institutions financières en matière d'éthique et de financement de l'économie ;
– un Plan de soutien à l'activité et aux entreprises comprenant un plan de soutien de 22 milliards d'€ pour assurer le financement des PME, la mobilisation des services de l'Etat pour assurer le suivi de la façon dont les banques accordent les prêts et la création d'un fonds stratégique d'investissement.
Parallèlement, le président de la République a décidé, en octobre 2008, la mise en place d'une Mission de médiation du crédit, considérant qu'aucune entreprise ne devait rester seule face à ses difficultés. L'objectif est que l'accès au crédit soit facilité à chaque entreprise quelle que soit sa taille, dès lors qu'elle est en situation de blocage avec ses banques, par exemple à la suite d'une modification de concours bancaires ou d'un refus de crédit.
Dans un communiqué de presse, le 12 novembre 2008, Le Médiateur du crédit et la Fédération bancaire française ont confirmé leur volonté d'agir pour accompagner l'activité économique et anticiper les conséquences de la crise pour les entreprises, notamment en las aidant à résoudre leurs difficultés de trésorerie et de financement.
Les représentants des établissements financiers se sont engagés à assurer la croissance de leurs encours de crédit à un rythme de 3 à 4% annuel jusqu'à fin décembre 2009. Ils ont par ailleurs confirmé leur volonté de continuer à accompagner leurs entreprises clientes dans leur activité, sans réduction de l'enveloppe globale des encours pour chacune d'entre elles, sans augmentation des garanties personnelles – sauf situation exceptionnelle et après avoir envisagé toutes les solutions possibles – permettant par une restructuration de la dette, si nécessaire, la poursuite du soutien bancaire. Ils se sont également engagés à identifier toutes les sources de financement possibles pour répondre aux besoins des entreprises y compris en mobilisant les fonds d'investissement, notamment ceux résultant des exonérations d'impôt sur la fortune.
Qu'en est-il dans les faits de toutes ces bonnes intentions ?
Uniross, une Success Story à la française
Spécialisée dans les chargeurs, piles et batteries rechargeables, Uniross a été créée en 1968 au Royaume-Uni. Elle passe sous pavillon français en 1992, rachetée par la Saft, alors filiale d'Alcatel. En 2001, elle est rachetée par ses cadres, sous l'impulsion de Christophe Gurtner, le dirigeant de l'activité grand public de Saft, dans une période de difficultés et de restructuration interne : son propriétaire de l'époque souhaite s'en séparer pour reconfigurer son portefeuille d'activités. Elle s'installe alors en France, à Lognes (77).
L'entreprise va alors connaître une croissance fulgurante : de 5 personnes, elle passe à 70 en France et 700 dans le monde. Elle multiplie son chiffre d'affaire annuel par cinq en seulement six ans ! Uniross devient ainsi le leader européen de la fabrication de piles et de batteries rechargeables, et entre dans le Top 3 mondial. En 2007, présente dans 70 pays, l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 80 millions d'euros, en hausse de 31 % par rapport à 2006.
Les raisons de son succès ? un effort d'innovation sans relâche. Uniross a abandonné son vieux modèle d'affaire – fabrication des piles en Chine vendues sur les cinq continents – pour se lancer dans la conception de systèmes complexes de gestion de l'énergie électrique.
Elle tire parti du marché très porteur des applications numériques fortement consommatrices d'énergie, où la demande a explosé ces trois dernières années. Grâce à sa R&D, Uniross, a su développer des solutions d'énergie mobile adaptées aux demandes de puissance, de durée et de miniaturisation de ses clients industriels ou grand public.
D'une entreprise de main-d'œuvre, elle s'est transformée en une entreprise innovante maîtrisant des technologies critiques. Pour preuve, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) – très impliqué dans la recherche sur les nouvelles technologies de gestion de l'énergie à faible émission de gaz à effets de serre – lui propose de créer une société conjointe pour le développement de sa technologie de pile à combustible.
Surtout, la démarche d'Unirosss s'inscrit pleinement dans les objectifs du développement durable du Grenelle de l'environnement, car ses produits sont une alternative économique et environnementale aux piles classiques et permettent de réduire la pollution qu'elles génèrent en termes de déchets.
Depuis plus de 35 ans, l'entreprise exerce un métier aux conséquences primordiales pour l'avenir de notre planète. Elle s'implique totalement dans la protection de l'environnement avec les associations de collecte et de recyclage. Uniross est notamment, co-fondateur de Recharge, l'association européenne de promotion et de management des batteries rechargeables durant leur cycle de vie.
En mai 2006, Uniross a conclu un partenariat de trois ans avec le WWF, l'une des premières organisations mondiales de protection de la nature. Ce partenariat européen s'étend sur 40 pays et a pour but, durant les 3 prochaines années, de développer des opérations pour sensibiliser le public à l'avantage écologique des piles rechargeables Ni-MH (Nickel Métal Hydrure), des chargeurs, et à la nécessité de les recycler.
Le partenariat se concrétisera par le lancement de piles rechargeables et de chargeurs Uniross marqués du sigle WWF. Par ailleurs, la société française s'est engagé à soutenir financièrement le WWF afin de favoriser ses actions de protection de l'environnement.
Uniross confrontée aux aléas de la conjoncture mondiale
« Nos difficultés ont commencé en 2007 en raison de l'envolée des cours des matières premières », explique Christophe Gurtner. La fabrication de piles et de batteries est en effet gourmande en métaux. Mais le défi n'était pas insurmontable : Uniross aurait pu répercuter la hausse sur ses prix de vente. Parallèlement, la PME est confrontée à un problème d'accès au consommateur. Même si la situation a évolué ces dernières années, les piles rechargeables restent souvent bien cachées dans les rayons des hypermarchés ! Les enseignes de la grande distribution semblent privilégier les piles jetables, qui leur assurent un chiffre d'affaires récurrent nettement plus intéressant que les rechargeables, et font peu d'efforts pour promouvoir ces dernières.
Dès le début de l'année 2008, la crise financière s'accroit. Certains des investisseurs d'Uniross font faillite, alors que l'entreprise cherche des financements provisoires en vue de procéder au lancement de ses nouveaux produits et de compenser la hausse des cours du nickel.
Affecté par une baisse de la consommation et un manque de trésorerie, Uniross se tourne alors vers les banques. Elle a besoin de couvertures bancaires à même de l'aider à affronter les variations brutales du prix de ses approvisionnements.
Mais ses banquiers font la sourde oreille, malgré les performances et la solidité de l'entreprise. Contre toute attente, ils décident de couper toutes ses lignes de crédit et exigent le remboursement de sommes colossales sur une période déraisonnablement courte : des millions d'euros sous soixante jours, sous peine de redressement judiciaire ! Les difficultés s'accroissent donc notablement en raison de l'attitude des banques. Le PDG d'Uniross est contraint de vider ses économies et d'hypothéquer ses biens afin de financer la continuation d'exploitation.
Malgré 30% de croissance par an, le développement de technologies clés pour la France, et un vaste réseau de distribution international, le titre Uniross a perdu 80% de sa valeur depuis le début de l'année 2008. Malgré la qualité de ses produits, très bien notés par le magazine Que Choisir[2], en dépit des priorités des pouvoirs publics et des distributeurs en faveur du pouvoir d'achat et de l'environnement, les nouvelles d'Uniross sont paradoxalement très mauvaises. L'entreprise est au bord du dépôt de bilan et a été placée sous procédure de sauvegarde.
Toutefois, après avoir craint d'être placée en redressement judiciaire, le Tribunal de Commerce de Meaux s'est prononcé, le 1er décembre 2008, sur la poursuite de la période d'observation de la procédure de sauvegarde au profit de la société Uniross, marquant ainsi sa confiance en l‘aptitude de l'entreprise à se refinancer et à finaliser sa restructuration. En effet, la société dispose d'un portefeuille de projets, de produits, de technologies et de partenaires à même de renforcer sa position d'acteur majeur du rechargeable en Europe et à travers le monde.
Une absence totale de soutien des pouvoirs publics
Tous les paramètres sont réunis pour qu'une entreprise innovante et prometteuse comme Uniross soit soutenue par les pouvoirs publics au nom du patriotisme économique. En effet, les technologies développées par Uniross apparaissent comme stratégiques dans le domaine de l'énergie et plus précisément le stockage de l'électricité. Pourtant, il n'en est rien.
Son PDG s'est pourtant tourné vers le gouvernement qui parachève la création de son « fonds d'investissement stratégique », destiné à prendre des participations dans des entreprises prometteuses.
Avec l'appui de scientifiques qui reconnaissent la validité de son projet, Christophe Gurtner a rencontré administrations, cabinets ministériels et quelques personnalités politiques. Le CEA a clairement recommandé de soutenir Uniross, avec qui il développe des projets communs. Au-delà des piles à usage domestique, le savoir-faire d'Uniross est en effet déclinable à bien des secteurs, allant des transports à la gestion des réseaux d'énergie. Pour le moment, toutefois, l'État n'a pas donné suite à son appel à l'aide. « Il semble se désintéresser du dossier », déplore Christophe Gurtner.
Ce n'est pas le cas de ses principaux concurrents asiatiques, qui supportent mal que la PME française ai conquis sur les marchés internationaux au nez et à la barbe des géants du métier. La reprise par des concurrents américains ou asiatiques – appuyés par des financiers français connus pour leurs stratégies de prédation et de restructuration agressives, débouchant chaque fois sur des délocalisations – est une menace réelle. Ceux-ci font courir des bruits sur la probité de Christophe Gurtner. C'est le meilleur moyen d'écarter le dirigeant français et de mettre la main sur l'entreprise qui intéresse le monde entier… sauf la France !
Si Uniross était placée en redressement judiciaire, ses concurrents seraient immédiatement candidats pour reprendre la société à moindre frais. Les banques françaises rendraient ainsi un fier service aux Chinois et au développement de leur économie et de leur technologie…
*
Les difficultés de l'entreprise Uniross sont révélatrices des contradictions de la politique industrielle française. Une PME stratégique, innovante, leader européen sur son marché, écologique et citoyenne, risque de disparaître en raison même de l'attitude des banques qui sont sensés soutenir son développement. Dans les faits, celles-ci se comportent comme les fossoyeurs de notre industrie de haute technologie, en contradiction totale avec les mesures gouvernementales destinées à redonner au pays sa compétitivité et l'aider à surmonter la crise.
Pour plus d'informations :
- http://www.huyghe.fr/actu_618.htm
- http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=47569
- http://www.quechoisir.org/article/La-societe-Uniross-vend-
des-produits-de-qualite-ecologiques-et-economiques-Et-
pourtant-elle-risque-le-depot-de-bilan/649BBCDE70E93DC5C1257
50F0057048D/ENVIRONNEMENT-ENERGIE/ENERGIE/
Energie-renouvelable/ACTENE303.htm - http://eco.rue89.com/2008/11/20/uniross-une-pme-torpillee-par-ses-banquiers
- http://www.inter-ligere.net/article-24947868.html
- http://www.infoguerre.fr/?p=1626
- http://s255583513.e-shop.info/online/templatemedia/all_lang/resources/Uniross.pdf
- http://crise-financiere.over-blog.com
- [1] Intelligence économique, compétitivité cohésion sociale, Assemblée nationale, Paris, 2003.
- [2] En décembre 2007, le magazine les avait désignés comme son meilleur choix parmi les fabricants de piles rechargeables. Avec une note de 16,4/20, Uniross surclassait largement ses 22 rivaux sur le plan technique.