Afghanistan : la région de la Kybher Pass sous le feu des talibans
Alain RODIER
En mars 2008, les forces de la coalition ont eu la confirmation que la région de Torkham – située à l’est de Jalalabad – qui donne accès à la fameuse Khyber Pass, reliant l’Afghanistan au Pakistan, constitue un des objectifs opérationnels prioritaires pour les talibans.
En effet, cette route est le point de passage obligé principal entre l’Ouest du Pakistan et l’Afghanistan. En dehors du commerce qui y transite habituellement, un important flux de ravitaillement l’emprunte pour approvisionner les forces de la coalition depuis le Pakistan. Parallèlement, de nombreux insurgés afghans utilisent cette région pour aller se ravitailler en armes et munitions dans les zones tribales pakistanaises qui sont sous le contrôle des islamistes radicaux.
Déjà, du temps de l’occupation de l’Afghanistan par les forces soviétiques, c’est par la Khyber Pass que passaient la plupart des convois chargés d’alimenter la résistance en armements divers.
Même si le mollah Bradar Muhammad Akhand, un des principaux leaders taliban, a annoncé au début de l’année, qu’une opération portant le nom de code « Ebrat » (leçon) devrait enflammer l’ensemble du territoire afghan afin d’obliger les soldats de l’OTAN à se retirer du pays, les officiers de renseignement alliés savent pertinemment qu’un effort opérationnel important serait porté sur cette région frontalière en raison de son importance logistique et historique. Le but des talibans est de perturber au maximum les approvisionnements des forces de l’OTAN qui empruntent cet axe vital. S’ils y parviennent, le résultat sur le plan logistique et moral peut être catastrophique.
Les insurgés bénéficient dans la zone de trois avantages tactiques considérables.
- Le premier réside dans la présence dans les zones tribales pakistanaises voisines, de nombreux activistes en ordre de marche.
- Le deuxième est le terrain montagneux et escarpé qui favorise les embuscades et les coups de mains ponctuels. Même l’aviation a beaucoup de mal à y intervenir en raison du relief accidenté qui ne permet pas d’effectuer des appuis sol efficaces.
- Un troisième avantage, mais qui est commun à beaucoup de régions afghanes, réside dans le fait que les moudjahiddines y bénéficient du soutien (volontaire ou forcé) d’une grande partie de la population qui leur apporte aide logistique et renseignements.
Le 20 mars, un premier coup de main audacieux a eu lieu sur un parking de Torkham où étaient stationnés une centaine de camions-citernes destinés à approvisionner les forces de la coalition. Une quarantaine d’entre eux ont été détruits lors de cette opération. Le plus rageant réside dans le fait que les conducteurs y attendaient depuis des jours les autorisations administratives nécessaires pour poursuivre leur route vers leur destination finale. De là à supposer que les autorités afghanes locales auraient quelque chose à voir avec ces retards interminables, il n’y a qu’un pas ! Soit elles attendaient la réception des bakchichs habituels, soit elles étaient complices des insurgés.
A noter que la confiance accordée aux forces de police afghanes présentes dans le sud et l’est du pays est si faible que les alliés ont décidé en avril d’arrêter leur instruction et ont stoppé de les approvisionner en armes !
Les « nouveaux taliban »
Au cours de l’année 2007, de nombreux chefs de guerre taliban ont été neutralisés par les forces de la coalition 1. Ils sont remplacés peu à peu par de plus jeunes activistes qui, étant très influencés par les théories d’Al-Qaida, semblent être plus radicaux. A la différence de leurs aînés qui s’attaquaient surtout aux forces « ennemies » et aux représentants du pouvoir officiel, en tentant d’éviter les pertes collatérales, cette nouvelle génération n’hésite plus à s’en prendre à la population civile, qui a du fuir ses villages et grossir le flot des réfugiés. Elle intensifie les attaques contre les écoles laïques, les madrasas étant, elles, préservées.
Retranchés dans des régions non contrôlées et difficiles d’accès, surtout dans l’Est et le Sud de l’Afghanistan, ces nouveaux taliban enrôlent en masse des recrues souvent très jeunes.
Sur le plan tactique, ils intensifient l’utilisation de commandos-suicide et d’engins explosifs improvisés (IED), techniques très pratiquées en Irak. Enfin, ces nouveaux combattants ne montrent pas les réticences qu’entretenaient leurs « anciens » vis-à-vis d’Al-Qaida. En effet, ces derniers les considéraient souvent comme des « étrangers » dont le combat internationaliste ne les concernait pas.
Un exemple intéressant de cette nouvelle génération est celui de Sirajuddin Haqqani alias Khalifa, un des fils de Jalaludin Haqqani 2 , un vétéran de la guerre contre les Soviétiques et ancien proche collaborateur (et ministre) du Mollah Omar, le maître à penser des talibans.
Son fils, âgé d’une trentaine d’années, a été formé dans la madrasa aujourd’hui disparue de Bande Darpa Khel, un village situé au Waziristan nord. Il se montrerait beaucoup plus intransigeant et cruel que son père et privilégierait l’attaque de cibles civiles. C’est lui qui aurait organisé l’attentat contre l’hôtel de luxe Serena à Kaboul, le 14 janvier 2008. 8 personnes dont 3 étrangers avaient trouvé la mort lors de cette opération. Le 3 mars, il aurait dirigé un attentat à Khost qui a coûté la vie à deux soldats de l’OTAN et deux civils. Au début 2008, il aurait favorisé l’entrée de 200 volontaires à l’attentat suicide en Afghanistan.
Les services américains pensent qu’il agit de part et d’autre de la frontière 3 , ayant étendu ses opérations au sud et à l’est de l’Afghanistan. Considéré comme un des principaux chefs militaires de la nouvelle génération, une prime de 200 000 dollars est offerte pour sa capture. Son père qui serait malade, est toujours activement recherché. Il est apparu récemment dans une vidéo de propagande qui appelle les moudjahédines à lancer l’offensive de printemps sous la bannière du mollah Omar.
De leur côté, les djihadistes d’Al-Qaida, sérieusement étrillés en Afghanistan, au Caucase et en Asie centrale, retrouvent en Afghanistan une terre de djihad privilégiée car plus sure. Il est donc probable qu’ils affluent en nombre pour épauler les « nouveaux talibans ».
Les financements sont assurés majoritairement par le trafic de drogue, l’Afghanistan fournissant plus de 90% de l’opium mondial. Cependant, ils ne sont pas les seuls à bénéficier de cette manne financière. De nombreux chefs de guerre se sont fait une spécialité de ce commerce lucratif.
Il convient également de rappeler le rôle prépondérant que jouent les zones tribales pakistanaises qui sont des zones de non-droit où les radicaux islamiques évoluent en toute liberté. La direction des taliban serait réfugiée dans la région de Quetta. Par contre, le QG du « réseau Haqqani » se trouverait toujours dans les environs de Dande Darpa Khel, près de Miramshah, au Waziristan Nord.
A titre d’exemple de la nouvelle stratégie adoptée par les rebelles, le 10 avril, un kamikaze s’est fait exploser au passage d’un convoi de l’OTAN dans la région de Kandahar. Huit civils ont été tués et trois Canadiens légèrement blessés. Le 8 avril, ce sont 17 ouvriers afghans travaillant sur une route dans la province de Zabol qui sont assassinés. Le 17 février, plus de 80 spectateurs qui assistaient à des combats de chiens – « sport » traditionnel en Afghanistan – aux environs de Kandahar ont été tués par l’explosion d’une charge portée par un activiste.
Depuis le début 2008, plus de 30 militaires de l’OTAN ont trouvé la mort, la plupart en sautant sur des IED ou lors d’attentats suicide. Le nombre des pertes civiles se compte déjà en plusieurs centaines. Seulement 30% du territoire afghan serait sous contrôle effectif du pouvoir central. Mais même dans ces régions, la sécurité serait d’une extrême précarité.
De l’aveu même des autorités militaires américaines, les forces de sécurité afghanes ne pourront pas être pleinement opérationnelles avant 2012. D’ici là, les forces internationales devront assurer le plus gros du travail afin de faire face à ces menaces,. C’est le prix à payer pour être surs que les djihadistes ne puissent reconstituer une zone refuge à partir de laquelle ils pourraient planifier des opérations terroristes d’importance à l’étranger.
- 1 4 000 activistes auraient été tués ou faits prisonniers. Parallèlement, environ 200 militaires de la coalition et 2 000 civils ont trouvé la mort
- 2 Deux autres de ses fils font également partie du « réseau Haqqani » : Naisruddin et Badruddin.
- 3 Il appartient à la tribu des Zadran qui a ses racines dans les deux pays.