Afghanistan : des airs de conflit indochinois
Alain RODIER
Le samedi 3 octobre, de furieux combats ont eu lieu dans la région reculée de Kamdesh, dans la province du Nouristan, à proximité de la frontière pakistanaise. Des forces insurrectionnelles vraisemblablement composées de taliban, de membres d'Al-Qaida et de tribus locales ont tenté de s'emparer d'avant-postes fortifiés tenus par des forces de sécurité afghanes épaulées par des militaires américains.
Ces évènements remettent en mémoire ce qui s'est passé lors du conflit qu'a connu la France en Indochine de 1945 à 1954. En effet, tous les historiens se souviennent des mêmes événements tragiques – mais d'une tout autre ampleur, les morts se comptant alors par centaines et parfois par milliers – qui ont eu lieu, particulièrement dans les années 1949-50 le long de la RC 3 (Route Coloniale 3) qui bordait la Chine. Suite à la prise de nombreux avant-postes tenus par l'armée française par les forces vietminh, le corps expéditionnaire avait dû se replier [1] plus au sud. Ce recul était destiné à obéir à une nouvelle stratégie qui consistait à tenir les grands axes et les zones les plus peuplées en laissant le contrôle des zones reculées à l'adversaire. Le résultat a été qu'avec l'aide directe de la Chine communiste, le vietminh s'est alors puissamment organisé dans les régions qui lui ont été abandonnées avant de reprendre l'offensive qui a conduit à Dien Bien Phu.
Même si les circonstances sont aujourd'hui totalement différentes – il ne s'agit pas d'une guerre coloniale, les forces vietminh étaient beaucoup plus puissantes que les taliban, l'appui aérien des forces alliées n'a rien à voir à ce que pouvaient mettre en ligne les aviateurs français, etc. – il est toutefois intéressant de faire un parallèle avec le passé. Afin de préparer leur engagement en Irak, les Américains ont étudié les écrits des militaires français de la guerre d'Algérie (en particulier ceux du colonel Trinquier), il serait peut être utile également de remettre le nez dans les documents qui relatent les guerres d'Indochine et du Vietnam, sans oublier l'expérience soviétique en Afghanistan.
Les faits
Deux postes fortifiés étaient érigés à proximité d'un village situé à l'est de l'Afghanistan, l'un en haut d'une colline, l'autre en bas. Ce dernier était enclavé entre une mosquée, d'un côté, et des habitations, de l'autre. Les effectifs du poste le plus élevé étaient composés d'hommes des forces de sécurité afghanes (des policiers et des militaires) et d'Américains dépendant de la Task Force Mountain Warrior , une unité légère d'infanterie spécialisée dans le combat en montagne. Celui situé en bas de la colline semblait être tenu uniquement par des policiers afghans.
A l'aube, un premier assaut été déclenché contre ce poste à partir de la mosquée et des habitations voisines où des dizaines de moudjahiddines s'étaient infiltrés durant la nuit. Le poste aurait été submergé en quelques instants par les assaillants. Cinq policiers auraient alors été tués et quinze autres, dont le chef de la garnison et son adjoint, faits prisonniers [2].
Les insurgés rejoints par d'autres forces qui étaient en réserve sont ensuite montés à l'assaut du second poste en utilisant deux axes d'attaque différents. L'aviation alertée est alors intervenue en soutien direct des défenseurs. Les combats ont duré plusieurs heures. Les huit Américains et deux militaires afghans ont été tués lors de cette deuxième action ce qui démontre la violence des combats. Il semble que les attaquants aient bénéficié de tirs d'appuis particulièrement nourris.
Les pertes dans les rangs des insurgés ne sont pas connues mais devraient être d'importance en raison des moyens engagés par les forces de l'ISAF (Force internationale d'assistance et de sécurité). Il est à noter que, depuis un certain temps, ces dernières ne donnent plus de bilan car, pour un rebelle abattu, plusieurs se lèvent pour « venger sa mort ».
Cette opération peut être toutefois considérée comme un succès pour les taliban car, une fois de plus, c'est leur camp qui a eu l'initiative. Elle a été officiellement revendiquée par un de leurs porte-paroles, Zabiullah Mujahid.
Les leçons
Il s'agit là de l'incident le plus grave depuis la mort, dans une embuscade, de dix militaires français en août 2008. Depuis, six soldats italiens sont tombés dans un attentat à l'IED dans la capitale, Kaboul. Déjà, en juillet 2008, neuf militaires américains avaient trouvé la mort dans des conditions presque analogues, lors de l'attaque de leur poste fortifié situé, dans la même région, à proximité de la frontière pakistanaise. Depuis, le commandement à décidé d'évacuer ces avants postes pour se focaliser sur des zones plus peuplées – même stratégie adoptée en Indochine il y a presque 50 ans .
2009 aura été l'année la plus sanglante depuis le début du conflit : ce sont déjà 394 membres de la coalition – dont 236 Américains – qui ont été tués depuis le début de l'année. Depuis 2001, les pertes s'élèvent à 1 430 soldats étrangers.
La guerre du Vietnam n'a été que la continuation de la guerre d'Indochine mais avec des moyens beaucoup plus importants des deux côtés. Les Américains ont renouvelé les erreurs des stratèges français [3]. Les Soviétiques ont fait de même en Afghanistan en ne contrôlant que les axes principaux et les grandes agglomérations.
Aujourd'hui, il semble que l'on se dirige vers une même stratégie, avec en filigrane l'idée qu'il convient de mettre sur pied le plus rapidement possible un pouvoir politique acceptable [4] appuyé par des forces de sécurité assez conséquentes pour leur laisser la conduite de la guerre. Si c'est le cas, il convient de ne pas se nourrir d'illusions : la guerre civile s'étendra à tout le pays, le pouvoir en place à Kaboul sera défait dans les années – voire les mois qui suivront – et la force la plus puissante et la mieux organisée, les taliban, reviendra sur le devant de la scène. En effet, les moyens actuellement engagés ne permettent pas d'adopter une stratégie de victoire politico-militaire qui consisterait à quadriller le pays, à encadrer les populations dans les domaines de l'éducation, de la santé, du développement social, et surtout, à reprendre l'ascendant sur l'adversaire. Il est vrai qu'aucun pays n'est prêt à payer le prix nécessaire pour sauver l'Afghanistan.
Les combats du 3 octobre annoncent peut-être le début d' « un retrait sur des positions préparées à l'avance » comme le disaient les responsables militaires français en 1914. Mais ce retrait en annonce un deuxième qui sera moins glorieux : le départ de toutes les forces étrangères du pays car les opinions publiques ne pourront tolérer longtemps les pertes occasionnées et le coût que cette guerre représente, sans espoir de voir poindre l'ombre d'une solution.
- [1] Ce repli avait amené l'évacuation de la base avancée de Cao Bang par la RC 4. Ce fut alors un drame car les forces vietminh qui étaient beaucoup plus puissantes que ne le sont actuellement les taliban, ont quasi exterminé la colonne Charton (du nom du Lieutenant-colonel Pierre Charton qui commandait la garnison de Cao Bang), la colonne de recueil et le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1er BEP) qui était venus à sa rencontre. Lire à ce sujet les remarquables ouvrages de Paul Bonnecarrère, Par le sang versé , et de Marc Dem, Mourir pour Cao Bang.
- [2] Il y a très peu de chances de retrouver vivants ces prisonniers, les taliban ne faisant généralement pas de quartier, surtout lorsqu'il s'agit de gradés.
- [3] Mais ces derniers n'avaient pas vraiment le choix car les moyens qui leur étaient dévolus étaient notoirement insuffisants.
- [4] D'où les dernières élections – même truquées – qui sont plus valables et surtout plus présentables que pas d'élection du tout !